4. Les missions de l’ODPN

La mission de l’Office diocésain n’est pas sans ambiguïtés. Si sa raison d’être semble évidente a priori - à savoir construire des églises - une étude plus minutieuse des sources montre que la tâche de l’ODPN n’est pas exempte de contradictions, ou tout au moins d’équivoques.

Il faut rappeler que le texte du cardinal Gerlier précisant dès sa création la mission de l’Office diocésain stipulait l’étude d’un triple champ de compétence : l’urbanisme, l’architecture et le droit. Il faut donc constater avant toute autre considération que l’ODPN, de façon inattendue, n’est pas désignée comme l’instance qui construit ou finance les églises nouvelles. L’Office diocésain est l’organe d’expertise chargé d’analyser les conditions dans lesquelles s’effectuent les constructions nouvelles, non directement un organisme d’exécution des chantiers. Cette conception se retrouve logiquement dans le discours du directeur de l’ODPN, qui considère sa tâche comme celle d’un accompagnement des curés-bâtisseurs : « La mission générale de l’OD [pour Office diocésain] est d’aider les paroisses qui ont la lourde charge de bâtir »776.

Cependant, ce suivi des chantiers ne semble pas se résumer à une fonction de conseil. L’Office diocésain ne s’est à aucun moment pensé comme un organe consultatif n’intervenant qu’à la demande ponctuelle des associations paroissiales en charge des constructions. Car l’ODPN est soumis parallèlement à une exigence de résultats qui condamne par avance toute passivité. Lors d’une réunion d’archiprêtres en 1961, le cardinal Gerlier énonce en effet une perspective supplémentaire pour l’équipe de l’Office diocésain : « Il est possible au diocèse de faire face à ses besoins, en évitant dans toute la mesure du possible la charge d'emprunts onéreux. Dans les dix années à venir, nos quelque quatre-vingts églises peuvent être édifiées et sur le point d'être payées »777. Bien que l’Office diocésain ne soit pas explicitement nommé ni désigné pour accomplir cette tâche, cet objectif est repris un grand nombre de fois dans les documents de l’ODPN sous la formule : « Tout doit être bâti et payé dans les dix années à venir »778.

Dès lors, la mission de l’Office diocésain change de nature : il s’agit toujours d’agir au service des prêtres bâtisseurs et au plus près de leurs préoccupations, mais aussi et en même temps de satisfaire à une obligation de résultats, à l’échelle du diocèse et dans un temps limité. Dans les discours et dans les faits, ce second volet tend à l’emporter sur le premier. Mgr Mazioux en fait la ligne directrice de son travail : « La mission générale de l’OD est d’aider les paroisses qui ont la lourde charge de bâtir et de faire en sorte que l’opération d’ensemble soit menée à bien en temps voulu »779. Dans le même document, le directeur de l’ODPN conclut dans des termes similaires : « L’ambition de l’OD est d’aider nos confrères bâtisseurs par tous les moyens susceptibles d’être mis en œuvre. Nous les sentons bien soucieux, impatients, inquiets et parfois découragés. Nous voudrions partager le poids de leur fardeau : mais certains ont de la peine à réaliser que le Diocèse est engagé dans une opération d’ensemble exigeant un minimum d’organisation et, il faut le dire, de discipline consentie en vue de la réussite commune »780.

De fait, l’interventionnisme de l’Office diocésain est démultiplié par le libellé de cette seconde mission très générale, et se décline selon une multitude de domaines au nom de l’aide apportée aux curés bâtisseurs : « Acquisition de terrains, programme des constructions, questions techniques, art sacré, financement, démarches administratives en particulier auprès du MRU, des municipalités, des services publics, liaison avec les paroisses marraines, information de l’opinion catholique, liaison avec le Comité national, etc… »781. Mais pourquoi ne pas laisser les prêtres agir seuls ? En quoi la création d’un service diocésain spécialisé sur ces questions s’avère-t-elle nécessaire ?

Pour les responsables de l’ODPN, ce sont les modalités nouvelles de la construction d’après-guerre qui ont imposé la mise en place d’un tel organisme. Le développement de la construction après 1945 est à la fois « massif, rapide, soumis à des règlementations étroites etcoordonnées et réalisé par de grands organismes »782. Le diocèse a dû par conséquent s’adapter à ce nouvel urbanisme. La réactivité indispensable pour faire face à des programmes de logements de masse ne permet plus le maintien d’actions isolées et ponctuelles. Invoquer des contraintes extérieures est aussi une façon pour le vicaire général de légitimer son action auprès des curés bâtisseurs : « Nous aussi, nous devons aller vite, et de façon coordonnée. Cette nouvelle manière de procéder s’est imposée d’elle-même à nous. Bien vite, en effet, nous nous sommes aperçu qu’il ne suffisait plus d’attendre qu’un curé se soit rendu compte que sur le territoire de sa paroisse surgissaient de nouveaux quartiers, appelant ainsi de sa part des initiatives pastorales nouvelles. Il n’aurait pu aller assez vite ; surtout il aurait manqué des ressources nécessaires, et il n’aurait guère eu de puissance pour traiter avec les organismes privés ou publics, considérables, chargés de la construction »783.

En remplissant cette fonction d’interlocuteur des paroisses nouvelles auprès des autres acteurs impliqués sur les marchés immobiliers et en drainant les capitaux nécessaires, l’ODPN n’est-il pas en train de se substituer à l’organisme traditionnellement dévoué à ces questions temporelles : l’Association diocésaine ? Le problème a vraisemblablement été soulevé plusieurs fois à l’Archevêché car une circulaire de l’Office diocésain indique de façon très précise comment doit s’effectuer le partage des tâches entre les deux entités784. L’Association diocésaine se charge d’acquérir les terrains et de donner aux associations paroissiales le mandat d’organiser localement le chantier et son financement. C’est elle qui devient propriétaire des édifices au fur et à mesure de l’exécution des travaux. Le rôle de l’ODPN est de mettre à la disposition des curés et des associations paroissiales trois types de soutien : des moyens juridiques en fournissant des modèles de contrats et des explications sur les législations en vigueur ; des moyens financiers par le biais de prêts éventuels ; des moyens techniques enfin en établissant des directives d’ordre urbanistique et architectural.

La brochure de présentation de l’ODPN rappelle que « l’Office travaille, bien entendu, en liaison avec les archidiacres et les divers services de l’Archevêché, en particulier avec l’Association diocésaine et la Chancellerie (Mgr Denis) »785. Il reste que les compétences s’enchevêtrent parfois, notamment dans le domaine financier. Il est en effet prévu que l’Association diocésaine puisse dans certains cas fournir par l’intermédiaire de l’Office diocésain une première mise de fonds pour les associations paroissiales mandatées. Par ailleurs, l’ODPN doit déterminer le budget nécessaire des paroisses bâtisseuses « par le canal de l’Association diocésaine », seule habilitée à émettre des emprunts et à recevoir des dons786.

La mission de l’ODPN est-elle appelée à des modifications si des besoins nouveaux se font jour ? Autrement dit, l’Office n’est-il chargé que des églises nouvelles, ou sa compétence est-elle étendue à la construction d’autres types de bâtiments nécessaires à la vie de l’Église ? Le programme de l’Office diocésain mentionne fréquemment la construction de « centres paroissiaux », qui comprennent, outre le lieu de culte lui-même, toute une série de locaux utiles à la paroisse, essentiellement des salles de réunion et de catéchisme et un presbytère. La présence de ces bâtiments est très variable selon les cas, mais construire ces annexes fait partie de la mission de l’ODPN. S’ajoute également à celle-ci la création de nouvelles aumôneries scolaires. Mgr Mazioux explique cette prise en charge par « l’extension considérable des établissements scolaires de type secondaire », au moment où la massification de l’enseignement se traduit en effet en France par la multiplication des collèges d’enseignement secondaire787. En revanche, la construction des écoles catholiques ne rentre pas dans les missions de l’ODPN. D’une part, parce que ces chantiers supplémentaires seraient trop onéreux pour le diocèse. D’autre part, parce que l’implantation de ces écoles dans l’agglomération lyonnaise appelle selon Mgr Dupuy un plan différent de celui adopté pour les églises nouvelles, ce qui supposerait la création d’un organisme spécialement voué à cette mission788.

Il faut dire que la tâche que s’est fixée l’Office diocésain est déjà redoutable. Elle nécessite une solide organisation et une équipe à la fois compétente et dévouée. Après l’analyse des missions de l’ODPN, c’est donc à présent à celle des moyens humains et techniques mis en œuvre qu’il faut s’intéresser.

Notes
776.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport général de l’ODPN par Mgr Joannès Mazioux, 23 juin 1961.

777.

« Les églises nouvelles. Résumé des directives données par Son Éminence au sujet des églises nouvelles à l'occasion de la réunion des archiprêtres le 14 avril 1961 », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 5 mai 1961.

778.

Par exemple dans la circulaire ODPN n°8.

779.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport général de l’ODPN par Mgr Joannès Mazioux, 23 juin 1961. C’est Mgr Mazioux qui souligne.

780.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport général de l’ODPN par Mgr Joannès Mazioux, 23 juin 1961. La brochure de présentation de l’ODPN aux diocésains se contente de juxtaposer les deux missions : « La mission générale de l’Office diocésain est d’organiser et de conduire au mieux l’opération "églises nouvelles" sur l’ensemble du diocèse. Il est donc d’abord à la disposition des prêtres qui ont la lourde charge de construire pour les aider à résoudre les nombreux problèmes posés par une tâche de cette importance » (Joannès Mazioux, Les églises nouvelles…, op. cit., p. 53).

781.

Mgr Joannès Mazioux, Les églises nouvelles…, op. cit., p. 53.

782.

« L’action nécessaire du diocèse de Lyon pour de nouvelles paroisses » par Mgr Mazioux, Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 29 mai 1959.

783.

Idem.

784.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, « Circulaire ODPN n°8. Première partie : notes d’ordre pastoral, administratif et financier », sans date, vraisemblablement 1960 ou 1961.

785.

Mgr Joannès Mazioux, Les églises nouvelles…, op. cit., p. 53.

786.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, « Circulaire ODPN n°8. Première partie : notes d’ordre pastoral, administratif et financier », sans date, vraisemblablement 1960 ou 1961.

787.

Dans le cadre de la présente thèse, seuls les centres religieux ont été étudiés.

788.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport de Mgr Dupuy au cardinal Gerlier, non daté, vraisemblablement 1959.