2. L’ « équipe permanente » : le véritable organe exécutif

L’expression « équipe permanente » n’apparaît pas dans la première présentation de l’ODPN publiée dans la Semaine religieuse de mai 1959, lorsque Mgr Dupuy en est encore l’animateur802. L’expression est utilisée par le groupe restreint mis en place par Mgr Mazioux pour s’auto-désigner. En comptant le directeur qui partage son temps entre Lyon et Saint-Étienne où un « relais du secrétariat » a été installé803, cette équipe permanente est, d’après la brochure Les églises nouvelles, composée de cinq personnes804. Des recoupements permettent vraisemblablement de l’assimiler au « Bureau » de l’ODPN évoqué dans l’ordo et dans le journal Paroisses Nouvelles 805. Ses membres se répartissent entre eux les tâches de l’exécutif. Ainsi deux laïcs, Godinot et Jaillard, se chargent respectivement des questions financières et administratives. Garnier quant à lui est responsable des achats de terrains et des « questions techniques » : ingénieur de métier, ses services sont particulièrement appréciés par Mgr Mazioux806. Le nom du (ou de la) secrétaire de l’ODPN n’a en revanche pu être identifié. Cette équipe permanente détermine le calendrier des différentes étapes des chantiers, centralise et diffuse les informations pour établir le cadre et les termes du débat807. Mais elle doit aussi s’assurer du soutien d’une autorité diocésaine que Mgr Mazioux juge parfois insuffisamment réactive.

Certes, un mois près sa nomination au poste de directeur de l’ODPN, Mgr Mazioux avait été en mesure de présenter un « plan général de travail » que le cardinal Gerlier avait approuvé le 21 décembre 1960808.Mais plusieurs réunions plénières avec les curés bâtisseurs au début du mois de janvier 1961 et les réflexions menées en interne à l’Office diocésain entre Mgr Mazioux et ses proches collaborateurs ont considérablement accru la masse des informations et soulevé de nouvelles questions, au point de prendre de court la hiérarchie.

Plusieurs documents témoignent d’une certaine impatience chez le directeur de l’ODPN en raison du silence de l’autorité diocésaine sur la question des églises nouvelles. Ainsi, en janvier 1961, Mgr Mazioux qui souhaite connaître l’avis du cardinal sur les orientations de l’ODPN laisse entendre un certain flottement sur les mesures à prendre : « Car il m’a semblé, qu’après ces deux mois de recherches personnelles, je ne pouvais aller plus avant sans connaître, Éminence, votre pensée, celle de Mgr Villot, des archidiacres et du grand trésorier de l’Archevêché ; bien plus, sans qu’un minimum d’unité se fasse sur despoints qui peuvent être décisifs pour le succès de l’effort diocésain », concluant au terme d’un rapport de huit pages: « Mais je serais bien désireux de savoir ce que pensent de ces "cogitations" votre Éminence, Mgr Villot et NN. SS. les archidiacres »809. Dès le lendemain, Mgr Mazioux se fait plus pressant : « Et les jours passent ! Bien des problèmes concernant mon rayon restent en suspens alors que les curés bâtisseurs attendent, non sans impatience, et que le nouveau directeur de l’Office diocésain désirerait bien savoir s’il n’est pas "hérétique" dans sa manière de voir et de faire »810. Deux mois plus tard, l’autorité religieuse ne semble pas avoir validé la politique de l’ODPN car son directeur est excédé de l’incertitude dans laquelle il dit s’enliser : « Si l’on ne croit pas au miracle à tous les coups, il est nécessaire et urgent de prendre certaines décisions importantes, précises et fermes, sinon nous allons, de toute façon, à l’aventure […]. L’autorité diocésaine doit se convaincre, une fois pour toutes, que "l’opération Églises Nouvelles" est beaucoup plus difficile en elle-même et de beaucoup plus longue haleine que "l’opération Boulard" (enquête de sociologie religieuse préparatoire à la mise en route de la Pastorale d’ensemble). En conséquence, il convient d’employer une méthode analogue, au moins aussi rigoureuse et aussi suivie de près à tous les échelons, de l’Archevêché à la paroisse. J’ai vivement regretté, pour ma part, que l’on n’ait pas mis àprofit pour sensibiliser l’opinion du clergé, des religieuses et des laïcs les grandes sessions pastorales qui viennent de se tenir. Trente minutes auraient suffi, mais on les a mesurées à dix au maximum et l’autorité religieuse, sauf Mgr Maziers à Saint-Étienne, n’a pas jeté son poids dans la balance […]. Si l’on veut réussir l’opération "Églises Nouvelles" tout ce programme est d’une nécessité absolue. Il n’est pas irréalisable, mais il faut que l’autorité le veuille et en prenne les moyens »811. Cette longue citation révèle que la construction d’églises nouvelles n’est pas le seul dossier qui préoccupe les autorités religieuses au début des années 1960 : la pastorale d’ensemble en particulier est un autre chantier auquel l’Archevêché est particulièrement attentif.

Mgr Mazioux doit donc insister auprès du cardinal pour transformer un sentiment diffus de retard sur la croissance urbaine en une véritable priorité du diocèse. Si l’on en croit le directeur de l’ODPN, les chantiers d’églises nouvelles n’ont donc pas toujours été pensés comme un axe « naturel » de la politique du cardinal Gerlier : elles sont aussi en partie l’œuvre d’un travail de sensibilisation de Mgr Mazioux, qui a su créer une bureaucratie de l’expertise autour de la question des églises nouvelles.

Notes
802.

« L’action nécessaire du diocèse de Lyon pour de nouvelles paroisses » par Mgr Mazioux, Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 29 mai 1959.

803.

Il siège au 4 rue Mi-Carême à Saint-Étienne.

804.

Mgr Joannès Mazioux, Les églises nouvelles…, op. cit., p. 54.

805.

Paroisses nouvelles, supplément à L’Écho-Liberté du 30 octobre 1966.

806.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, note de Mgr Joannès Mazioux au cardinal Gerlier, 30 juin 1961. Ce laïc ne doit pas être confondu avec Étienne Garnier, né en 1906, docteur en théologie et chanoine honoraire, nommé archiprêtre de Saint-Charles à Saint-Étienne en 1960 et également membre de la Commission diocésaine de liturgie et de chant sacré (Ordo du diocèse de Lyon, 1961).

807.

Sur des problématiques similaires du fonctionnement politique d’une structure d’Église, voir : Jacques Palard, Pouvoir religieux et espace social. Le diocèse de Bordeaux comme organisation, Paris, Cerf, 1985 ; Gilles Routhier, Les pouvoirs dans l’Église. Étude du gouvernement d’une Église locale : l’Église du Québec, Montréal, Éditions Paulines, 1993 ; Jacques Palard (dir.), Le gouvernement de l’Église catholique, Paris, Cerf, 1997.

808.

AAL, 11.II.31, rapport de Mgr Joannès Mazioux au cardinal Gerlier sur les églises nouvelles, 23 janvier 1961.

809.

AAL, 11.II.31, rapport de Mgr Mazioux au cardinal Gerlier sur les églises nouvelles, 23 janvier 1961.

810.

AAL, 11.II.31, rapport de Mgr Mazioux au cardinal Gerlier sur les églises nouvelles, 24 janvier 1961.

811.

AAL, 11.II.31, « rapport ODPN sur la situation générale » de Mgr Mazioux au cardinal Gerlier, 29 mars 1961.