2. Les Commissions technique et d’art sacré

a) Des rapports conflictuels

Dans les premières années de fonctionnement de l’ODPN coexistent deux commissions distinctes sur la question de la construction et de l’aménagement du nouveau lieu de culte. Bien qu’existe déjà, en dehors de l’Office diocésain, la Commission diocésaine d’art sacré étudiée plus haut, une Commission technique (encore appelée « service de constructions »817, « directoire technique »818, « service technique »819 après l’arrivée de Mgr Mazioux ou encore « section technique »820), est chargée d’étudier les plans de construction dressés par les architectes afin de s’assurer de la valeur technique des projets et de leur réalisation dans les conditions prescrites par la Commission du Programme. Elle examine également les devis proposés par les artisans et notamment les matériaux employés pour bâtir le lieu de culte821.

La Commission comprend initialement trois personnalités lyonnaises : les architectes Jean-Gabriel Mortamet et Georges Curtelin, déjà cités comme membres de la Commission diocésaine d’art sacré, auxquels s’ajoute l’entrepreneur de BTP Lucien Pitance822. Celui-ci est choisi quelques mois plus tard par le père de Pazanan pour la réalisation du chantier de l’église Sainte-Marie-de-la-Guillotière entre mai 1958 et décembre 1959823. En 1960, Mgr Dupuy leur adjoint quatre autres architectes, en précisant que ceux-ci feront également partie de la Commission diocésaine d’art sacré824. Cinq sont finalement choisis : Joseph Bacconnier, l’architecte DPLG de l’église Sainte-Marie-de-la-Guillotière ; l’urbaniste et architecte René Gagès; les architectes François-Régis Cottin, Joseph Bissuel et Ferrand825. Au total, la commission technique de l’ODPN se compose donc de sept membres (Curtelin meurt en 1960) dans la décennie 1960.

Au sein de l’équipe permanente, certains souhaitent accroître le rôle de la Commission technique dans l’étude et la validation des projets d’églises. « Disons-le tout net », affirme Garnier lors de la réunion du 23 juin 1961, « sans elle nous ne pouvons pratiquement rien et tous nos efforts sont voués à l’échec »826. Mais le champ d’intervention de ces hommes de l’art risque de recouper le travail de la Commission diocésaine d’art sacré qui intervient également dans le processus de consultation et de décision. Garnier ne cache pas sa volonté d’intervenir directement sur les questions d’art sacré, avec le sentiment que ceux qui en sont traditionnellement chargés le font avec quelque indulgence et approximation : « C’est ici [après étude réalisée par la Commission du Programme] que le rôle de la Commission technique devient capital. Il lui appartient, à mon avis, de juger, sans faiblesse [l’expression est répétée quelques lignes plus loin], si le projet soumis répond au programme à la fois au point de vue artistique et au point de vue coût »827.

De fait, il semble qu’à cette date-là la Commission diocésaine d’art sacré se trouve déjà marginalisée. En juin 1961, le chanoine Alengrin constate que cette Commission s’est trouvée « un peu en déséquilibre » par rapport à l’ODPN, n’ayant eu à étudier que quatre projets dans l’année courante828. Mgr Alengrin, qui plaide pour « une insertion plus grande de l’art sacré dans les paroisses nouvelles » explique ce dysfonctionnement par la composition de la Commission diocésaine : elle comprend des architectes qui ne font pas partie de la Commission technique, laquelle possède ses propres architectes pour évaluer les plans de construction ! Sauf erreur de notre part, cette affirmation est exagérée : cinq des sept membres de la Commission technique font également partie de la Commission diocésaine d’art sacré829.

Le principe de même composition des deux Commissions est à nouveau entériné après la réunion générale de l’ODPN du 23 juin 1961 et il est alors signifié que vingt-et-un projets seront d’ores et déjà soumis à la Commission d’art sacré dans les jours suivants830. Jaillard, qui intervient après le chanoine Alengrin dans l’ordre du jour de la réunion du 23 juin, ne manque pas de rappeler dans un souci d’apaisement que les projets sont soumis à la Commission technique, « indépendamment de la Commission diocésaine d’art sacré, qui doit toujours être consultée pour un lieu de culte »831. Quelques jours plus tard, Mgr Mazioux va dans le même sens en précisant que « l'ODPN soumet les projets qui ont reçu l'avis favorable de sa Commission technique à la Commission diocésaine d'art sacré, laquelle juge si le projet qui lui est soumis répond aux exigences de l'art sacré et de la liturgie »832.

En 1962, les responsables des deux Commissions consentent à faire taire leurs démêlés : les deux services « ont bien voulu accepter de travailler ensemble sur le même projet », ce qui aboutit dans les faits à l’existence d’une Commission unique dite « technique et d’art sacré »833. Qui anime les débats et emporte les décisions au sein de cette Commission ? Combien de temps cette union a-t-elle été maintenue ? L’ordo du diocèse a toujours présenté séparément les deux commissions, le « service technique » étant intégré à l’Office diocésain, la Commission diocésaine d’art sacré faisant l’objet d’une rubrique spécifique834. En décembre 1971, le dossier de l’église nouvelle de la Sauvegarde dans le quartier de la Duchère fait par exemple apparaître l’existence de deux commissions séparées835. Ajoutons qu’à cette date, la composition de la Commission technique est restée quasiment identique : seuls les architectes Henri Paradis (nommé en 1966) et Jean Bidreman (en 1971) ne figuraient pas parmi les membres cités plus haut.

Notes
817.

Ordo du diocèse de Lyon, 1958.

818.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport de Mgr Claude Dupuy au cardinal Gerlier, non daté, vraisemblablement 1959.

819.

Ordo du diocèse de Lyon, de 1961 à 1976 au moins.

820.

« Pastorale diocésaine. L'action nécessaire du diocèse de Lyon pour de nouvelles paroisses », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 29 mai 1959.

821.

Idem.

822.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport sur les paroisses nouvelles, sans date (avant la mort de Georges Curtelin en 1960). Un rapport de juin 1961 évoque la présence « d’autres spécialistes » dans la commission (AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport sur les problèmes techniques de l’ODPN, par Garnier, 23 juin 1961).

823.

Sainte-Marie-de-la-Guillotière, plaquette de présentation…, op. cit. D’une famille originaire du Limousin (tradition de paysans-maçons), fils d’Eugène Pitance installé à Lyon en 1885 et devenu entrepreneur en bâtiment et maire de La-Villedieu dans l’entre-deux-guerres, Lucien Pitance a repris l’entreprise familiale (Fils d’Eugène Pitance et Cie) à partir des années 1920 en cogestion avec son frère Georges et un cousin ingénieur des travaux publics, André Fontaine. Lucien Pitance se charge plus particulièrement des chantiers et des relations publiques. Il a été avant la guerre président de la Chambre syndicale en maçonnerie, puis à partir de 1944 président du Syndicat départemental, qui regroupe les différentes chambres syndicales du bâtiment. La décennie 1950, après les années difficiles qui suivent la Libération, ouvre une période faste pour l’entreprise avec de multiples commandes : construction des premiers immeubles en copropriété place des Jacobins à Lyon, gros chantiers des ZUP de Vaulx-en-Velin et des Minguettes (Vénissieux) à partir de la fin des années 1960, construction de groupes scolaires dans la Communauté urbaine de Lyon, réalisation de la ZAC de la Part-Dieu. (Voir Bernadette Angleraud et Catherine Pellissier , Les dynasties lyonnaises…, op. cit., p. 620 et 715-718).

824.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport de Mgr Dupuy au cardinal Gerlier, non daté, vraisemblablement 1959.

825.

Ordo du diocèse de Lyon, 1961. Le prénom de l’architecte Ferrand n’a pu être retrouvé.

826.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport sur les problèmes techniques de l’ODPN, par Garnier, 23 juin 1961.

827.

Idem.

828.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport sur l’art sacré et les églises nouvelles, par le chanoine Alengrin, 23 juin 1961.

829.

Rappelons leurs noms : Mortamet, Bissuel, Bacconnier, Gagès, Cottin.

830.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport sur l’art sacré et les églises nouvelles par le chanoine Alengrin, 23 juin 1961.

831.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport sur les questions administratives de l’ODPN, par Jaillard, 23 juin 1961.

832.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, procès-verbal de la réunion de l’ODPN du 28 juin 1961, annexe VI.

833.

Mgr Joannès Mazioux, Les églises nouvelles…, op. cit., p. 55.

834.

Ordo du diocèse de Lyon, de 1957 à 1975.

835.

AAL, fonds Delorme, I.1511, « Accord sur le projet de relais paroissial de la Sauvegarde à la Duchère », 2 décembre 1971.