5. Quelle pastorale pour les églises nouvelles ?

L’ODPN a-t-elle créé son propre service de sociologie religieuse pour l’étude de l’implantation des nouveaux lieux de culte ? La « section d’études sociologiques » qui est mentionnée dans l’encart de la Semaine religieuse de mai 1959 - aussi appelée « service d’études sociologiques » dans l’ordo de 1958 - pourrait avoir cette fonction, mais elle ne dépend pas directement de l’ODPN et de l’Archevêché. Elle n’apparaît d’ailleurs plus dans la présentation de l’Office diocésain que détaille Mgr Mazioux au début des années 1960870. Elle est en fait assurée par l’Institut de sociologie des Facultés catholiques de Lyon qu’anime Jean Labbens871.

En outre, une éphémère « section pastorale » est active à la fin des années 1950 au sein de l’ODPN. Celle-ci, voulue par Mgr Dupuy, est constituée exclusivement de prêtres, chargés d’ « étudier de près les problèmes nouveaux d'ordre pastoral posés par les conditions assez particulières de vie des populations des nouveaux quartiers »872. Cette structure qui n’apparaît plus dans les documents ultérieurs mérite notre attention. Car à prendre au pied de la lettre ce libellé officiel, on peut remarquer des éléments nouveaux dans la pastorale diocésaine. Nouveauté dans la prise en compte spécifique des espaces en cours d’urbanisation, situés principalement en périphérie de la ville ; nouveauté des conditions d’existence des habitants, souvent marquées par l’éloignement par rapport au centre, le manque d’équipements ou encore la présence massive d’enfants ; nouveauté enfin des questions posées par ces réalités urbaines inédites à l’apostolat diocésain, avec l’idée que l’évangélisation n’est pas la conséquence mécanique de l’érection canonique d’une paroisse ou de l’édification d’un lieu de culte. Que peut signifier dès lors la rapide disparition de cette section, sans doute au début des années 1960 ?

L’absence de cette section peut être interprétée semble-t-il de deux façons : les questions pastorales portant spécifiquement sur les effets de la croissance urbaine sont soit évoquées ailleurs, soit ne sont plus évoquées, au moins dans un cadre institutionnalisé. La question de la pastorale dans les banlieues lyonnaises en tant que question spécifique ne fait pas l’objet d’une commission ou d’un service diocésain particulier dans le diocèse de Lyon à partir du début des années 1960 et jusqu’au terme chronologique de notre étude (milieu des années 1970). En revanche, une réflexion portant entre autres sur la pastorale urbaine (et non seulement les problèmes particuliers posés par la croissance urbaine) prend forme, au sein de l’Archevêché, dans la mise en place d’une « pastorale d’ensemble », puis dans un travail de coordination pastorale à l’échelle de la grande ville sous l’impulsion de l’archidiacre Maurice Delorme. C’est en tout cas l’hypothèse qui sera soutenue dans la troisième partie.

Lieux d’expertise catholique de la ville dans les deux cas, Institut de sociologie et ODPN n’ont pas les mêmes finalités. Le premier, même s’il dépend juridiquement des Facultés catholiques et donc de l’épiscopat, n’entend pas être un quasi service diocésain de sociologie appliquée. La démarche de Labbens est soucieuse d’autonomie, sur le plan financier comme sur le plan scientifique.

Le second agit quant à lui dans une stricte visée pastorale : il s’agit de construire les lieux de culte qui font alors défaut dans les marges de l’agglomération. Cette différence de nature dans les projets explique aussi sans doute les différences constatées dans la genèse des deux organismes : l’Office diocésain est né de la volonté d’un évêque auxiliaire, Mgr Dupuy, qui a trouvé en Mgr Mazioux un successeur zélé et fin administrateur, dans un contexte théologique et pastoral où la question des églises nouvelles fait assez largement consensus873. Cette fondation cléricale a donc peu à voir avec l’Institut de sociologie : celui-ci a pu exister grâce à la mise en place par un laïc de stratégies de légitimation scientifiques et institutionnelles.

Par ailleurs, il faut reconnaître que l’essai de « radiographie » de la « machine administrative874 ODPN » laisse en suspens, faute de sources suffisantes, bien des questions déterminantes sur cet organisme à vocation urbaine : comment, par exemple, sont choisis ces experts qui siègent dans les différentes commissions ? Y a-t-il cooptation ou la décision est-elle du seul ressort de l’autorité diocésaine ? Le jeu des recommandations joue-t-il autant que la sélection sur les aptitudes intellectuelles ou les compétences professionnelles ? Sans doute est-ce au croisement de ces différentes possibilités que se nouent les décisions de recruter tel ou tel spécialiste. Il faut à coup sûr ne pas négliger la part d’improvisation de la part de l’Archevêché. L’étude qui vient d’être présentée laisse somme toute un goût d’inachevé faute d’informations complémentaires sur certains points de l’analyse.

Cela étant, cet aperçu des hommes en charge des églises nouvelles fait tout de même apparaître un certain nombre de caractéristiques. Bien que l’intitulé des commissions ait visiblement pris un peu de temps pour se stabiliser - ce qui témoigne d’une certaine plasticité dans la structure interne de l’Office diocésain - il semble que cette spécialisation des tâches l’emporte sur la polyvalence et ce, malgré l’omniprésence de l’équipe permanente. Par ailleurs, le pouvoir décisionnel est inégal selon les groupes d’experts - la Commission technique passant ainsi pour l’équipe la plus influente au détriment de la commission d’art sacré, au moins au début des années 1960. Le fonctionnement de ce microcosme ne va donc pas sans conflits ni rivalités internes. En revanche, la continuité constatée dans la composition des commissions laisse supposer, malgré une inévitable routine, une bonne connaissance des dossiers et un dévouement inconditionnel de la part de laïcs et de clercs qui ne comptent pas leur temps pour l’institution.

Le résultat le plus probant se lit dans les chiffres : la machine administrative fonctionne puisqu’ une quarantaine de lieux de culte sont construits dans l’agglomération lyonnaise entre 1957 et 1975. Bâtir de nouvelles églises est l’une des priorités de l’Archevêché à partir du début des années 1960. Pour plusieurs années, c’est désormais sous la forme d’un aménagement du territoire que le diocèse envisage fondamentalement la question de la ville.

Notes
870.

Mgr Joannès Mazioux, Les églises nouvelles…, op. cit.

871.

« L’action nécessaire du diocèse de Lyon pour de nouvelles paroisses » par Mgr Mazioux, Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 29 mai 1959. L’annuaire 1957-1958 des Facultés catholiques de Lyon mentionne en page 51 : « L’Institut se préoccupe aussi de sociologie appliquée, notamment dans le domaine religieux et du planning des paroisses urbaines ».

872.

« L’action nécessaire du diocèse de Lyon pour de nouvelles paroisses » par Mgr Mazioux, Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 29 mai 1959.

873.

Voir chapitre 6.

874.

Pour reprendre les expressions heureuses de Claude Prudhomme analysant le fonctionnement interne de la Congrégation de la Propagande à la fin du XIXème siècle (voir Claude Prudhomme, Stratégie missionnaire du Saint-Siège sous Léon XIII (1878-1903), École française de Rome, 1994, première partie).