Chapitre 6 : Pourquoi construire ? Les fondements d’une politique de constructions d’églises nouvelles (1957-1975).

L’obsession du retard face à la croissance urbaine et les difficultés de financement qui se posent à l’ODPN occultent souvent dans les sources la question fondamentale des causes des chantiers diocésains. Pourquoi construire ?881 Avant le « boom » des constructions diocésaines à partir du début des années 1960, la réponse n’est pas explicitée dans les rares documents qui évoquent la question des nouvelles églises. Par exemple, un encart de la Semaine religieuse en décembre 1944 s’en tient à la revendication d’un espace au nom de motivations floues : « Trop souvent, MM. les curés ne savent pas qu'ils ont à faire valoir leurs droits et leurs désirs882, lorsqu'un plan d'aménagement et de reconstruction d'une ville s'élabore. Cinémas, piscines, magasins se trouvent avantagés, parce que ceux qui s'en occupent en font réserver l'emplacement, et il ne reste que des terrains insuffisants et mal situés pour les édifices religieux. Il est indispensable que MM. les curés se mettent, dès le début des études, en rapport avec l'urbaniste, afin qu'il réserve un vaste terrain pour l'église et les annexes indispensables à un Centre paroissial »883. En 1959 encore, soit deux ans après la création de l’ODPN, le cardinal Gerlier justifie le second emprunt diocésain auprès de ses fidèles par la formule un peu rapide : « À quartiers nouveaux, paroisses nouvelles »884.

Quelles logiques théologiques, pastorales ou urbanistiques sont à l’œuvre dans le diocèse de Lyon de la fin des années 1950 au milieu des années 1970 ? Ces fondements ont-ils été modifiés pendant cette quinzaine d’années ? L’ouvrage Construire des églises de l’abbé Paul Winninger paru en 1957 apporte une première réponse à la question des justifications des chantiers, mais les catholiques lyonnais ont-ils lu Winninger et s’en inspirent-ils ? Quelles références sont mobilisées par les autorités diocésaines, les curés-bâtisseurs et même les fidèles pour justifier ces constructions ? L’enjeu est important, car il touche aux fondements de l’appartenance catholique. Il ne s’agit pas simplement de bâtir un édifice, mais de construire l’Église. Il faut replacer la construction de ces centres paroissiaux dans une histoire plus générale de la mission, à l’échelle locale et diocésaine comme à l’échelle de la Chrétienté.

La première partie de ce chapitre s’efforcera d’abord de montrer que la construction de nouvelles églises ne va pas de soi jusqu’au début des années 1960 au moins, tant le contexte religieux est marqué par les débats sur l’efficacité de la paroisse urbaine. De nouvelles méthodes d’apostolat, plus soucieuses de témoignage discret et d’enfouissement dans l’anonymat (dans la lignée de Charles de Foucauld notamment) concurrencent le modèle de la mission conquérante.

Pourtant, la perspective reste celle d'une société chrétienne qui ne laisse de côté aucun groupe : le projet reste celui d’un catholicisme intransigeant, au sens où l’Église ne renonce pas à l'espoir d’une reconquête. Celle-ci passe par ses marges, et donc par un marquage des confins urbains par la construction de nouvelles églises. Le droit canon est de toute façon très clair sur ce point : il en va de la responsabilité de l’évêque en charge d’âmes de construire des lieux de culte. Ce souci pastoral du salut des hommes qui vivent sur le territoire diocésain sera rappelé dans une deuxième partie.

Surtout, les chantiers diocésains s’inscrivent dans une perspective missionnaire qui voit converger en France, précisément autour de 1960, les réflexions sur la mission extérieure et celles sur la mission intérieure885. La séparation entre pays de chrétienté et pays de mission devient caduque. Le concile Vatican II confirme cette option en déclarant que l’Église est par nature missionnaire. Avant que s’épuise ce modèle, contesté par l’aile gauche du catholicisme, l’unanimité qui le porte se traduit en particulier par un large consensus dans les années 1960 autour de la nécessité de construire de nouveaux lieux de culte. Seront donc déclinées dans une troisième partie les caractéristiques de ce modèle missionnaire, tel qu’il apparaît dans le discours des responsables pastoraux lyonnais.

Notes
881.

La réponse à cette question a déjà fait l’objet d’une esquisse présentée lors d’un colloque récent d’histoire religieuse dont les actes ont été publiés. Voir Olivier Chatelan, « Les fondements d’une politique de construction d’églises nouvelles dans l’agglomération lyonnaise (1957-1973) », dans Jacqueline Lalouette et Christian Sorrel (dir.), Les lieux de culte en France…, op. cit., p. 187-198.

882.

C’est nous qui soulignons.

883.

« Urbanisme et paroisses nouvelles », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 29 décembre 1944. Cet encart est le résumé d’un article de l’urbaniste Gaston Bardet paru dans la revue L’Art sacré (références non données).

884.

« Deuxième emprunt diocésain pour les paroisses nouvelles. Appel aux habitants du diocèse de Lyon », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 12 avril 1959.

885.

Claude Prudhomme, « Le grand retour de la mission ? », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 66, avril-juin 2000, p. 119-132.