Le père Paul Winninger est un prêtre alsacien ami du théologien Yves Congar qui enseigne au séminaire de Strasbourg892. L’ouvrage de Paul Winninger est traditionnellement considéré comme le premier plaidoyer argumenté en faveur de la construction de nouveaux lieux de culte catholiques. Il faut rappeler cependant que l’auteur consacre de nombreuses pages à réfuter les idées de ses détracteurs, ce qui prouve la vigueur d’un courant que l’on pourrait qualifier ici d’ « anti-territorial ». Si les conclusions sont opposées, le point de départ de Winninger est le même que celui de ses adversaires, à savoir l’insuffisance et l’impuissance de la paroisse urbaine actuelle à maîtriser son espace : « Mais l’insuffisance de la paroisse apparaît surtout au regard de l’expérience et de la réflexion pastorales modernes. On en a pris clairement conscience à la suite d’analyses sociologiques, de l’étude des milieux et d’une meilleure connaissance des hommes d’aujourd’hui […]. Le principe territorial, expression d’un monde terrien et stable, a perdu de sa valeur en notre siècle urbain et mobile. Les contemporains ne sont plus guère enracinés en un lieu. Ils ont plusieurs attaches, localement séparées et parfois contradictoires mentalement […]. Plus grave encore est la difficulté, pour la paroisse, d’atteindre certains milieux socioprofessionnels, en particulier les ouvriers manuels […]. Tout cela est si vrai que le droit canon a maintenu, quoique avec une nette réserve, les paroisses personnelles par-dessus les territoriales […]. La découverte de l’Action catholique spécialisée et le sentiment vif de l’insuffisance de la pastorale territoriale,affectée d’ailleurs d’un gigantisme aberrant, ont jeté une ombre sur la paroisse, et certains donnent l’impression de la condamner » 893. Au milieu des années 1950, la paroisse urbaine missionnaire est donc en partie discréditée, notamment par les tenants de l’Action catholique spécialisée ou par les partisans d’un enfouissement de l’Église dans les masses déchristianisées, à la manière des prêtres-ouvriers. Elle agirait même comme un agent de déprise religieuse auprès des populations qu’elle est sensée desservir, tant l’inadéquation paraît grande entre l’image d’une Église « bourgeoise » qu’elle véhicule et la réalité sociologique qu’elle souhaite atteindre894. Winninger s’emploie de ce fait à justifier sur plus de quatre-vingts pages (sur les 250 que comporte l’essai) la construction de nouvelles églises dans les grandes villes, prouvant à l’évidence qu’une telle politique ne fait pas l’unanimité dans les diocèses français.
Dans le diocèse de Lyon, c’est le théologien Henri Denis qui assure la recension officielle du livre de Winninger. Le compte-rendu insiste sur le contexte dans lequel paraît l’ouvrage. Henri Denis explique que la« maladie de la pierre » est une critique souvent adressée aux curés. Il devine des résistances de la part des partisans de l’Action catholique spécialisée: « On pourra refuser l'argumentation de l'auteur, en disant qu'il ignore complètement les questions d'évangélisation des milieux. Il est vrai que l'auteur ne s'y arrête pas »895. L’équipement religieux ne fait donc pas l’objet d’un consensus. La question met en lumière des clivages qu’Émile Poulat analyse trois ans plus tard, dans un article qui confirme que la construction de nouveaux lieux de culte n’était pas pour les catholiques la seule façon de poser le problème de l’urbanisation.
Paul Winninger a également introduit en France la réflexion et les expériences menées en Allemagne sur le diaconat permanent (Vers un renouveau du diaconat, Paris, 1958). Voir Bruno Dumons, « Le rétablissement du diaconat permanent en France (1964-1976), Revue d’Histoire de l’Église de France, 92, 2006, p. 415-434.
Idem, p. 40-42.
Idem, p. 16.
Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 14 mars 1958.