3. Fermeture des églises trop exiguës

La construction de nouveaux lieux de culte a pu enfin provoquer des réactions hostiles de la part de fidèles qui craignent, parfois à juste titre, la fermeture de l’église ou de la chapelle fréquentées auparavant. Le cas de l’église nouvelle du Roule sur la commune de La Mulatière illustre assez bien une situation que l’on retrouve dans d’autres communes ou quartiers de l’agglomération lyonnaise923.

Dans ce secteur, une église existe depuis 1860, qui devient paroissiale dans les années 1880 à la suite de la création de la commune de La Mulatière sur le territoire de Sainte-Foy-lès-Lyon. L’implantation de nouvelles activités industrielles entraîne après 1945 un accroissement démographique du quartier du Roule, sur la rive droite du Rhône, à environ un kilomètre du centre où se situe l’église. L’ODPN prend la décision de construire une nouvelle église, plus grande et localisée dans ce quartier en extension. Le père Lucien Cognet, originaire de La Pacaudière (Loire), est nommé curé-bâtisseur. Mais la communauté paroissiale de La Mulatière se déchire sur ce projet lorsqu’il est décidé que l’ancienne église, déclarée hors d’usage, serait désaffectée924. L’existence d’une forte opposition, structurée notamment autour du laïc Maurice de La Salle, est confirmée par la réponse de la section l’ACGH locale au questionnaire du CNCE. Le militant qui rédige le document, bien qu’il minimise cette affaire en parlant d’un « cas particulier », se fait l’écho d’un groupe de paroissiens mécontents de la tournure des événements : « À noter que dans le cas de La Mulatière, certains n’admettent toujours pas l’implantation d’une église au Roule "puisqu’il y en a déjà une et que jusqu’à présent certains paroissiens, aussi éloignés que le sont ceux du Roule, ont bien fait l’effort de venir chaque dimanche !" ». L’église nouvelle Notre-Dame-du-Roule, malgré cette résistance, est inaugurée pour la Noël 1970 et remplace une chapelle provisoire qui servait de lieu de culte au Roule depuis le début des années 1960. L’ancienne église est devenue un local utilisé par la municipalité.

La construction d’églises nouvelles se heurte donc à des résistances de la part de fidèles qui voient dans le transfert de leur communauté paroissiale et la fermeture de l’ancienne église un déni de leur histoire. Le conflit avec les partisans de la nouvelle église recoupe sans doute les tensions entre noyau villageois et nouveaux quartiers urbanisés925.

Pourtant, malgré les différents obstacles ou débats qui montrent que la construction de nouveaux lieux de culte n’était qu’une possibilité parmi d’autres pour évangéliser la ville, l’équipement religieux de l’espace urbain devient un phénomène majeur dans les diocèses urbanisés des années 1960, et en particulier dans celui de Lyon. Comment l’Archevêché et l’Office diocésain justifient-ils alors leur politique de renforcement du maillage paroissial ? Au nom de quels principes ou de quelles urgences la construction de nouvelles églises s’est-elle finalement imposée ?

Deux types de justifications ont été apportées par l’autorité diocésaine : d’une part, une argumentation juridique, tirée du droit canon, qui fait de l’évêque le responsable de la vie religieuse de son diocèse, y compris donc dans les périphéries urbaines ; d’autre part, une justification plus proprement théologique et pastorale, qui réutilise l’analyse et le vocabulaire missionnaires pour penser le rapport de l’Église à la croissance urbaine.

Notes
923.

Par exemple lors de la construction de la nouvelle église de Saint-Julien-de-Cusset à Villeurbanne : dans les premiers projets, à la fin des années 1950, Mgr Dupuy envisageait une destruction de l’ancienne église située rue Baratin, aujourd’hui affectée au rite ukrainien sous le vocable de Saint-Athanase. Voir chapitre 9.

924.

Entretien de Maurice de La Salle avec l’auteur, 12 novembre 2007.

925.

Pour la Drôme du XIXème siècle, Bernard Delpal a identifié des conflits similaires lors de « déménagements religieux » vers les bégudes : ces nouvelles agglomérations nées de l’essor commercial et d’une poussée démographique deviennent des pôles attractifs qui concurrencent les noyaux de peuplement originels. Le transfert de l’église paroissiale ou d’une chapelle de secours oppose alors ceux d’ « en haut », professionnellement attachés au travail de la terre et gardiens d’une culture traditionnelle, à ceux d’ « en bas », notables éclairés incarnant le parti du mouvement. Voir Bernard Delpal, « La construction d'églises, un élément du détachement religieux au XIXème siècle », Revue d’Histoire de l’Église de France, 73, janvier-juin 1987, p. 67-74.