B. L’application de ces principes à la croissance urbaine lyonnaise

Le droit canon ne précise pas la nature exacte des contraintes qui peuvent s’exercer sur l’accessibilité à l’église paroissiale. Dans le cas des sources consultées pour l’érection de paroisses nouvelles dans l’agglomération lyonnaise, c’est essentiellement le problème de la distance qui est invoqué du fait de l’étalement spatial des quartiers en voie d’urbanisation. C’est le cas par exemple dans l’ordonnance érigeant la paroisse de Saint-Pie-X à Irigny : « Constatant la nécessité d'assurer le service religieux de cette population, éloignée des églises paroissiales voisines »928. Il semblerait que cette cause canonique soit surtout évoquée lors des premières érections de paroisses de l’après-guerre: elle apparaît pour les paroisses de Notre-Dame-de-Lourdes à Vaise-Écully en janvier 1948, de Sainte-Marie-de-la-Guillotière en mai 1952, le Christ-Roi à Bron en novembre 1956 ou Saint-François-d’Assise à Saint-Rambert-l’Île-Barbe en mai 1958929. Elle n’apparaît plus comme seule cause canonique à partir de cette date.

L’autre cause canonique, « l’accroissement du nombre des paroissiens », est beaucoup plus fréquente. Très souvent en effet, la seule justification donnée en tête de l’ordonnance est celle du développement rapide de l’agglomération ou de la population de la paroisse nouvelle. C’est le cas par exemple lors de l’érection de la paroisse de Notre-Dame-de-l’Espérance à Villeurbanne en mai 1956, qui fait explicitement allusion au canon 1427 : « Vu le rapport qui Nous a été présenté sur le développement de la population sur le territoire de la paroisse de Saint-Julien-de-Cusset, sur celui de la paroisse de la Nativité, et sur celui de la paroisse de la Sainte-Famille, à Villeurbanne […]. En vertu des pouvoirs de notre charge épiscopale (canon 1427 du Code de droit canonique […] »930. Ce texte montre qu’il s’agit de construire pour des paroissiens potentiels, car toutes ces ordonnances ne précisent pas, même si tel est le cas, qu’une communauté de catholiques préexiste au nouveau lieu de culte. Ainsi, lors de la création de la paroisse de Sainte-Marie-de-la-Guillotière, l’archevêque prend acte de la présence d’un noyau de fidèles qui facilitera sans nul doute la naissance d’une communauté (« Reconnaissant qu'un groupe important de jeunesse est déjà constitué sous le vocale de Sainte-Marie »931), mais il s’agit d’une raison de convenance, non d’un motif canonique.

Le cas le plus fréquent dans les ordonnances reste cependant l’association des deux motifs évoqués dans le paragraphe 2 du canon 1427. Il en va ainsi par exemple lors de la création de la paroisse de Saint-François-d’Assise à Saint-Rambert-l’Ile-Barbe : « Vu le rapport qui Nous a été présenté sur le développement de la population sur le territoire de la paroisse de Saint-Rambert-l'Ile-Barbe. Constatant la nécessité qui s'impose d'assurer le service religieux de cette population nouvelle, dont une grande partie habite loin de l'église paroissiale actuelle […] »932.

Enfin, les ordonnances insistent très fréquemment sur le caractère permanent de cet accroissement démographique, et ce quelle que soit la localisation dans l’agglomération, comme le montrent ces quelques exemples : « Vu le rapport qui Nous a été présenté sur le développement constant de la population sur la portion du territoire de la paroisse de Bron actuellement desservie par la chapelle de secours des Essarts » (paroisse de Notre-Dame-de-Lourdes à Bron)933, « Vu le développement constant de l'agglomération de Villeurbanne depuis le rattachement de cet archiprêtré au diocèse de Lyon » (paroisse du Cœur-Immaculé-de-Marie à Villeurbanne)934, « Vu le développement constant de la population dans l'agglomération de Cuire »(paroisse Saints-Côme-et-Damien à Cuire) 935 , « Vu le développement constant de la population et de l'agglomération du quartier de Ménival » (Sainte-Anne-de-Ménival dans le 5ème arrondissement de Lyon)936.

Pour les nouvelles paroisses du sud-est de l’agglomération lyonnaise, la croissance démographique est parfois attribuée non pas au seul quartier concerné, mais un ensemble plus flou, seulement qualifié par sa position orientale sur la carte. C’est le cas pour trois paroisses érigées simultanément en novembre 1960 : « Vu l'augmentation constante de la population dans les nouveaux quartiers de l'est de la ville de Lyon » pour la paroisse de la Sainte-Trinité, « Vu le développement de la partie est de la ville de Lyon et l'afflux constant de population qui s'y produit » pour celle de Saint-Marc, « Vu le développement constant de la population dans le sud-est de la ville de Lyon » pour Saint-Jean-Apôtre dans le quartier des États-Unis937.

Entre 1945 et 1967, treize paroisses nouvelles ont été fondées dans l’agglomération lyonnaise938. Les autorités diocésaines ont donc la nette conscience d’une urbanisation massive et d’une dynamique de peuplement hors du commun, qui suffisent à elles seules à justifier l’érection de plusieurs paroisses. Le cas de la paroisse Notre-Dame-des-Étroits, qui est elle supprimée en 1969, renvoie en négatif aux mêmes arguments canoniques : le rattachement de ce territoire aux paroisses voisines est ordonné « vu le nombre des habitants de ce quartier situé le long de la Saône (quai des Étroits et quai Jean-Jacques-Rousseau) »939. Ce critère de densité minimale permet du même coup d’affecter le personnel ecclésiastique vers d’autres paroisses aux besoins plus aigus.

L’Église de Lyon, comme les pouvoirs publics, est confrontée aux mêmes pressions de l’urbanisation. Pour l’autorité diocésaine, l’adaptation du maillage paroissial, pressentie avant le recensement religieux de 1954 et confirmé par le dépouillement, est vécue à partir de la fin des années 1950 comme une urgence. Cependant, pour comprendre les justifications données à une politique de construction, il faut déplacer l’analyse vers un autre objet, distinct des paroisses nouvelles mais que l’Archevêché tend parfois lui-même à confondre : les églises nouvelles. L’Office diocésain des paroisses nouvelles, malgré son intitulé, s’intéresse en fait aux églises-bâtiments, non à l’érection canonique des paroisses, qui est du ressort du seul archevêque et qui ne nécessite pas la mise en place d’une structure ad hoc. Certes, les ordonnances apportent une première réponse à l’interrogation sur les fondements des chantiers diocésains. Mais les motifs canoniques de l’accessibilité de l’église paroissiale et du nombre de fidèles renvoient à des logiques pastorales qui ne sont pas seulement d’ordre juridique. Si le terme de « théologie » des églises nouvelles est sans doute excessif, il est possible néanmoins de parler de « principes théologiques » pour qualifier une partie au moins des intentions qui animent les responsables diocésains dans la construction d’églises nouvelles dans l’agglomération.

Notes
928.

« Décret d'érection de la paroisse de Saint-Pie-X à Irigny », Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 19 novembre 1954.

929.

Respectivement : Semaine religieuse du diocèse de Lyon des 11 janvier 1948, 24 mai 1952, 17 novembre 1956 et 3 mai 1958.

930.

Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 5 mai 1956.

931.

Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 24 mai 1952.

932.

Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 3 mai 1958.

933.

Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 16 septembre 1955.

934.

Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 1er juillet 1959.

935.

Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 8 juin 1963.

936.

Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 23 septembre 1967.

937.

Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 12 novembre 1960.

938.

Notre-Dame-de-Lourdes à Vaise-Écully (1948), Sainte-Marie-de-la-Guillotière (1952), Notre-Dame-de-Lourdes à Bron (1955), Notre-Dame-de-l’Espérance à Villeurbanne (1955), Saint-François-d’Assise à Saint-Rambert-l’Ile-Barbe (1958), Cœur-Immaculé-de-Marie à Villeurbanne (1959), Sainte-Trinité (1960), Saint-Marc (1960), Saint-Jean-Apôtre (1960), Saint-François-Régis (1961), Saints-Côme-et-Damien à Cuire (1963), Sainte-Anne-de-Ménival (1967), Saint-Luc (1968).

939.

« Extinction de la paroisse Notre-Dame-des-Étroits et son rattachement à la paroisse de Saint-Georges à Lyon et à la paroisse de La Mulatière (selon les parties du territoire de cette paroisse) », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 26 septembre 1969.