3. La plantatio ecclesiae comme rassemblement d’une communauté

Ce besoin supposé de Dieu dans les nouveaux espaces urbanisés se double du besoin prêté aux nouveaux arrivants de créer des communautés chrétiennes. Or, le lieu de culte est posé comme un préalable irremplaçable dans la constitution de tels groupes. Le cardinal Renard l’affirme dans l’éditorial du journal Paroisses nouvelles en décembre 1967 : « Les nouveaux quartiers sont peuplés de personnes vivantes ; elles ont besoin d’air, de pain, de culture, de loisirs ; elles ont besoin de Dieu. Comment sans lieux de culte ? Un lieu de culte dans un quartier est un "signe" de la présence de l’Église au monde : car c’est dans le lieu de culte que la communauté chrétienne s’assemble à la messe pour écouter la parole de Dieu »⁹⁵⁸. La communauté est entendue traditionnellement comme le lieu possible de l’interconnaissance, dans laquelle le fidèle est connu par son entourage et par son curé. Opposée à la « société » dans la dialectique célèbre de Ferdinand Tönnies, elle récuse l’individualisme qui nie les solidarités organiques. La communauté est à l’antipode de la notion de contrat qui fait du groupe une association artificielle entre des individus isolés⁹⁵⁹.

Dans cette communauté, noyau de la future paroisse et témoignage vivant de la présence de Dieu dans les confins de la ville, le prêtre est l’élément central. Le théologien Henri Denis en fait le fondement de la communauté naissante : « Deuxièmement, l'auteur rappelle à bon droit que toute communauté ecclésiale au sens strict suppose un prêtre, source de cette communauté. Loin de s'opposer ou de se substituer à l'apostolat spécifique du laïc, le prêtre est là pour le susciter et l'animer »⁹⁶⁰. Certains prêtres qui exercent leur ministère dans les grands ensembles se disent investis par les habitants d’une responsabilité particulière : « Ici [dans le grand ensemble] comme ailleurs, les gens veulent que le prêtre joue un certain personnage social. Qu’il soit le gardien des gosses, je l’ai déjà dit. Le prêtre est aussi, pour eux, le représentant d’une certaine spiritualité : il doit donc être présent à côté du maire et des pouvoirs publics pour que la structure de la société soit normale. S’il n’y avait pas de prêtre ici, les gens seraient vraiment convaincus qu’un grand ensemble n’est pas une vraie ville »⁹⁶¹. L’église nouvelle doit donc faire partie du paysage urbain. Avec la mairie, elle est le lieu symbolique (y compris pour les non catholiques) d’une communauté de destin. Cette fonction sociale permet aux nouveaux habitants de s’identifier à un quartier. Le grand ensemble n’est plus dès lors un espace indéterminé aux marges de l’agglomération : l’église contribue à l’intégration symbolique au reste de la ville.

Construire un lieu de culte, c’est enfin resserrer les liens d’une autre communauté, entièrement cléricale cette fois : celle qui unit l’évêque à son clergé⁹⁶².

C’est donc la totalité des liens de la communauté ecclésiale, par un jeu d’emboîtements successifs, qui se trouve renforcée par la création de nouvelles églises. Loin de distendre ou de dissoudre ces liens, la fondation d’une église nouvelle renforce la cohésion de l’Église locale et universelle. Cette vision cléricale de la communauté est perpétuée dans certains écrits malgré les orientations du Concile en faveur d’une reconnaissance accrue du laïcat. En témoigne par exemple cette exhortation à la générosité en faveur des églises nouvelles à la fin de l’année 1967, qui fait du prêtre le sujet implicite mais bien réel de toutes les actions des jeunes communautés : « L'effort de construction ne doit pas être ralenti : sans lieu de culte, la messe du Christ ne peut être offerte, la Foi ne peut être enseignée, le Peuple de Dieu ne peut être rassemblé, ni envoyé pour le témoignage en pleine vie ! »⁹⁶³. Dès lors apparaît au travers de l’analyse de cette communauté une autre composante majeure de la mission : la présence et l’exercice d’une autorité, qui est à la fois source de l’envoi vers le monde et instance de contrôle et de régulation⁹⁶⁴.