1. La centralité : un critère déterminant

La centralité n’est pas d’abord géographique. L’espace n’est pas seulement le support par lequel se matérialise l’action pastorale. Cette notion renvoie sur le plan ecclésiologique à la place de la paroisse dans l’évangélisation.

Certes, la pastorale présuppose l’espace : il constitue en quelque sorte un a priori au sens kantien du terme, c’est-à-dire une représentation nécessaire, qui sert de fondement à toutes les intuitions extérieures. C’est une condition de possibilité des phénomènes. Mais des théologiens lyonnais s’emploient à approfondir la réflexion sur l’espace paroissial et à dépasser cette première approche « instrumentale ». Dans un texte de 1957 diffusé auprès du clergé diocésain, le théologien Henri Denis explique ainsi la relation qu’entretient la paroisse avec son territoire : celui-ci est empreint d’une signification théologique déterminante. L’espace du quartier est polarisé par la présence de l’église-bâtiment. L’existence du lieu de culte crée de l’hétérogénéité dans l’espace environnant, et confère un sens (en jouant sur la polysémie) à l’étendue qui se déploie autour de l’église. Pour Henri Denis, « le territoire paroissial, loin d'être une borne à l'action pastorale ou encore les limites d'une propriété privée (dont le curé serait bénéficiaire) doit être plutôt conçu comme le centre d'un foyer de rayonnement éclairant l'ensemble des relations humaines des paroissiens en union avec les autres pasteurs, dont le curé partage les responsabilités »1025. Le texte de Henri Denis, long de dix-neuf pages, est en effet intégralement inséré dans le bulletin diocésain : la publicité donnée à cette analyse répond par conséquent sans doute à des interrogations de la part du clergé local sur ces questions.

Cette réflexion n’est en effet pas isolée dans le diocèse de Lyon et recoupe au contraire les débats sur le rôle de la paroisse urbaine. En mars 1964, l’évêque auxiliaire Gabriel Matagrin, rédigeant le compte-rendu d’une conférence de François Houtart sur le monde urbain et la pastorale urbaine, reprend des termes analogues à propos de la dimension territoriale de la paroisse urbaine : « Quant au territoire, il sert à la délimitation des compétences juridiques. Il crée un devoir de sollicitude et non un droit de propriété. La paroisse doit se découvrir comme une institution centrifuge »1026. L’église paroissiale s’envisage comme le point à partir duquel s’organise la vie chrétienne dans le nouveau quartier. Elle en constitue le « cœur »1027, au sens quasiment physiologique du terme : un organe de redistribution continue, irriguant jusqu’aux plus lointaines extrémités. De façon significative encore, le cardinal Gerlier et Mgr Mazioux parlent, à partir de la création de l’ODPN, de « centres religieux ». Il s’agit, certes, de désigner tout bâtiment à construire en lien avec le culte catholique : presbytère, salles de réunion ou de catéchisme… Mais il montre aussi que la centralité dans le quartier est une préoccupation de l’Archevêché. L’idée est de créer, sinon le « centre du centre » - car les autorités religieuses prennent acte de la multiplicité des types d’appartenance et des sphères d’influence1028 - mais au moins une partie du centre, afin de maintenir une présence dans tous les quartiers neufs.

Notes
1025.

Henri Denis, « La paroisse », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 28 mars 1958 (texte rédigé à Francheville (Rhône), 24 septembre-8 novembre 1957).

1026.

Gabriel Matagrin, « Note de pastorale urbaine, par François Houtart », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 17 avril 1964.

1027.

Terme cité deux fois (pour les quartiers des États-Unis et du Tonkin à Villeurbanne) dans le rapport « Les projets des futurs paroisses », vraisemblablement rédigé par Mgr Dupuy (AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, sans date, avec la mention manuscrite de l’archiviste « 1958, je pense ». Des recoupements d’informations laissent plutôt conclure pour 1956 ou 1957).

1028.

« L’attitude des pasteurs devant la ville a été trop souvent négative, M. le chanoine Boulard l’avait déjà fait remarquer. On ne reconnaissait pas la vie urbaine comme un mode d’existence valable. Et surtout, on était tenté de se replier, de façon plus ou moins crispée, sur l’institution paroissiale, sans distinguer l’essentiel de l’accessoire, sans apercevoir que si la paroisse a toujours un rôle fondamental à jouer dans une civilisation urbaine, ce n’est plus celui qu’elle remplissait dans une civilisation de type rural. Combien d’essais de renouveau qui furent des impasses, sinon des retours en arrière, parce qu’on cherchait à recréer en ville une communauté de type rural, et parce qu’on refusait pratiquement les organismes spécialisés, débordant le cadre trop étroit de la paroisse ? » (Gabriel Matagrin, « Note de pastorale urbaine…, op. cit.).