La création d’une nouvelle église est également définie par les critères canoniques établis plus haut : éloignement des autres églises et accroissement de la population1029. Mais ces principes ne sont pas seulement des éléments de justification pour la construction d’un nouveau lieu de culte, ils en déterminent également l’implantation géographique. Une lettre du cardinal Gerlier de juillet 1960 à propos du quartier dit de « Bonneterre » à Villeurbanne est particulièrement éloquente de ce point de vue : « Étant donné d’une part l’importance qu’aura ce nouveau quartier d’habitations, son éloignement des églises voisines (La Nativité de Villeurbanne, Sainte-Thérèse, Notre-Dame-de-l’Espérance, Saint-Julien-de-Cusset), et d’autre part la surcharge de population à prévoir pour chacune des églises que je viens d’énumérer, le diocèse de Lyon se voit dans la nécessité de créer pour ledit quartier un centre religieux. L’emplacement le meilleur serait certainement le vaste terrain que possède à cet endroit l’EDF »1030. C’est la conjonction du souci de la distance et du problème de la croissance démographique qui a conduit l’autorité religieuse à se préoccuper d’urbanisme.
Dans de nombreux cas, la centralité telle que l’entend l’Archevêché consiste essentiellement à trouver un terrain à proximité directe des nouveaux logements ou des groupes scolaires en construction. De nombreux exemples en témoignent. Ainsi, dès la fin des années 1950, c’est « à côté des immeubles » nouvellement construits que l’Archevêché recherche une parcelle sur le territoire de Saint-Charles-de-Serin. À Yvours, sur la paroisse Saint-Pie-X d’Irigny, un quartier neuf sort de terre près de la cité de l’Arsenal ; un terrain a été acquis « au cœur de ces habitations ». Dans le quartier du Charréart à Vénissieux, un projet d’église s’élabore exactement au carrefour de plusieurs ensembles neufs d’habitations : « Á la jonction de l’ancienne cité Berliet qui va être doublée d’une nouvelle cité Berliet de 250 maisons individuelles, d’une cité HLM de Vénissieux comprenant quatre grands collectifs, d’une cité SNCF de soixante logements, [ce lieu de culte] permettra le service religieux de 3 000 personnes de fraîche implantation »1031. Concernant l’enjeu crucial des masses d’enfants à catéchiser, l’archiprêtre de Villeurbanne a par exemple dès le début des années 1950 alerté son évêque des multiples ouvertures de classes dans les quartiers nouvellement urbanisés. Dans le secteur de la Poudrette à Vaulx-en-Velin, il explique : « Revoir la question de l’église dont cette cité de 3 à 4 000 âmes ne pourra se passer indéfiniment. Une grande école technique de jeunes gens vient d’être installée dans le vaste local de l’ancienne hôtellerie. La municipalité de Vaulx y construit une école primaire. Il n’y a que le secteur religieux qui reste en souffrance »1032. En juillet 1953, le même justifie la nécessité d’un lieu de culte dans le quartier de la Ferrandière à Villeurbanne par la prévision de « gros effectifs d’enfants »1033. À Saint-Fons, le terrain acquis par l’Association diocésaine fait face à une vaste école primaire, comme ce fut le cas au début des années 1930 pour l’église de Saint-Antoine de Gerland construite face au groupe scolaire communal Aristide-Briand1034.
Cette recherche de centralité se poursuit sans solution de continuité jusque dans les années 1970, alors même que se pose la question de construire ou non des lieux de culte. Lorsque la création d’une église est décidée, c’est encore et toujours l’obsession d’être au centre qui domine la logique d’implantation, pour être au plus près des nouvelles habitations et des bâtiments scolaires. Ainsi, la Commission des Biens Immobiliers estime suffisante l’aumônerie du CES « Le Chalin » qui se construit à Écully en 1973 car « l’emplacement est assez central pour convenir aux deux CES et au futur lycée technique »1035. En 1975, à Saint-Fons, les prêtres décident de déménager la cure qu’ils jugent trop peu fréquentée par les paroissiens. Ils souhaitent l’installer rue Parmentier, à côté de la nouvelle chapelle, qui est « au contraire au centre de la ville »1036.
L’exemple de la Zone à urbaniser en priorité (ZUP) de Vaulx-en-Velin est significatif de la persistance du critère de centralité dans la recherche de terrains. L’Archevêché de Lyon avait bénéficié en 1962 d’une donation par un couple de notables installé à Paris, les Durand-Smet. Sur ce terrain de 6 500 m2 environ avait été édifiée une chapelle en préfabriqué, qui dessert le quartier dit de « la Grapinière », au nord de la commune. Or, au début des années 1970, le projet de création d’une ZUP plus au sud bouleverse les prévisions. S’il n’est pas envisagé de supprimer la chapelle en dépit d’un faible nombre de pratiquants le dimanche (quarante à cinquante personnes pour une population estimée cent fois supérieure), le problème se pose d’établir un lieu de culte pour les 50 000 habitants dont les services d’urbanisme prévoient l’installation à échéance de cinq ans. La Société d’équipement de la région lyonnaise (SERL) en charge du projet a réservé un emplacement pour un éventuel lieu de culte au centre de la future ZUP, mais l’Archevêché doit trouver les fonds nécessaires pour acquérir ce terrain. Celui-ci est idéalement placé car il est situé « à l’endroit où sera créé le centre commercial et administratif du Grand-Vire »1037. Pour se procurer l’argent nécessaire, la vente de la moitié du terrain Durand-Smet (celle qui ne comprend pas la chapelle) est envisagée, mais les donateurs ont posé plusieurs clauses restrictives, dont celle de ne pas vendre partie ou totalité du terrain à un tiers. L’Archevêché doit donc convaincre les époux Durand-Smet de revenir sur cette décision initiale. Or, c’est la nécessité pour l’Église d’être au centre du nouveau quartier qui est au cœur de l’argumentaire : « Mais comme cette vente est impossible en raison des clauses restrictives de la donation de 1962, la CBI [Commission des biens immobiliers] estime qu’il est indispensable d’effectuer une démarche auprès de M.Durand-Smet. Il faudrait sans le heurter, lui faire comprendre que par suite de la création de la ZUP, toute l’activité de Vaux-en-Velin et l’essentiel de toutes les constructions vont s’effectuer dans cette ZUP ; et par contre le quartier de la Grapinière ne se développera pas comme on pouvait le croire en 1962. L’AD [Association diocésaine] envisage de construire une nouvelle église au centre de la ZUP et il serait normal qu’une partie du terrain donné par M. Durand-Smet puisse, avec son accord naturellement, être vendue pour permettre d’acquérir le terrain à l’intérieur de la ZUP, nécessaire pour la construction nouvelle »1038. La centralité géographique et symbolique apparaît donc comme une donnée essentielle dans les choix de l’Église diocésaine. Cette dimension est particulièrement explicitée dans les cas où des études de planning paroissial ont été menées de façon scientifique.
Voir chapitre 6.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.127, lettre du cardinal Gerlierà Louis Dupré la Tour, directeur régional de l’EDF, 3 juillet 1960.
Pour les trois derniers exemples : AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport « Les projets des futurs paroisses », sans date, vraisemblablement 1956-1957.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport du chanoine Veyron, archiprêtre de Villeurbanne, à Mgr Caillot, évêque de Grenoble, 25 juillet 1951.
Idem, 28 juillet 1953.
Voir chapitre 1.
AAL, fonds Delorme, I. 1542, compte-rendu de la réunion de la Commission des biens immobiliers, 27 juin 1973.
Le rapport ajoute, à propos des prêtres : « Ils ne sont donc pas du tout opposés à quitter la cure actuelle, bien au contraire » (AAL, fonds Delorme, I. 1542, compte-rendu de la réunion de la Commission des biens immobiliers, 28 janvier 1975).
AAL, fonds Delorme, I. 1511 bis, compte-rendu de l’entretien du 9 novembre 1972 à l’Archevêché entre M. Durand-Smet, le chanoine Buttin, l’abbé Maurice Delorme et Charles Callard (ODPN), 10 novembre 1972.
AAL, fonds Delorme, I. 1542, compte-rendu de la réunion de la Commission des biens immobiliers, 17 mai 1972. Ce lieu de culte ne sera finalement jamais construit.