L’idée d’un optimum de localisation renvoie aux débats de l’entre-deux-guerres sur la localisation industrielle qui se poursuivent après 1945 autour des mêmes figures et des mêmes mouvances1091. Avant que l’aménagement du territoire ne devienne une politique et soit institutionnalisé comme élément « fédérateur » (Olivier Dard), un discours sur le nécessaire rééquilibrage de l’espace français est tenu par des revues (Urbanisme…) et groupes de réflexion (X-Crise) animés par des hauts fonctionnaires et des ingénieurs de formation. Sous l’Occupation, au sein de la Délégation générale à l’équipement national (DGEN), la réflexion se poursuit en particulier autour de la question de la « décentralisation industrielle ». Sous l’impulsion de François Lehideux, premier directeur de la DGEN, une enquête sur ce thème est confiée à Gabriel Dessus, directeur de la Compagnie parisienne de distribution d’électricité. Parmi les organismes ou personnalités consultés apparaissent la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) - représentée en particulier par Henri Bourdais, l’un des dirigeants nationaux et Albert Bouché, aumônier général adjoint - et la Fondation Alexis-Carrel, représentée notamment par François Perroux1092. Un seul géographe est consulté : il s’agit de l’universitaire lyonnais André Allix, dont on a vu plus haut l’implication dans les travaux pionniers de Jean Labasse au cours des années 19501093. La question de l’optimum devient dès lors un thème récurrent chez nombre d’experts et d’universitaires dans les années 1940-1950. Pierre George, entré au début de 1944 à la DGEN, rédige par exemple un plan de travail relatif aux « Observations sur les moyens de déterminer les dimensions optima d’un centre industriel »1094. La définition même de l’aménagement du territoire que donne en 1950 Eugène Claudius-Petit, alors ministre de la Reconstruction et de l’Urbanisme, situe explicitement l’enjeu autour de la question de la meilleure distribution possible des hommes et renvoie directement au problème de la localisation optimale : l’aménagement du territoire consiste en effet en la « recherche, dans le cadre géographique de la France, d’une meilleure répartition des hommes en fonction des ressources naturelles et de l’activité économique, dans la constante préoccupation de donner aux hommes de meilleures conditions d’habitat et de travail, de plus grandes facilités de loisir et de culture. Cette recherche n’est donc pas faite à des fins strictement économiques mais, bien davantage, pour le bien-être et l’épanouissement de la population »1095. Parmi d’autres exemples possibles, Philippe Pinchemel fait paraître en 1959, en collaboration avec des chercheurs d’autres disciplines, une étude sur les « niveaux optima des villes », pour lesquels les auteurs déterminent une série de critères et paramètres qui ont de fortes analogies avec les facteurs retenus dans le cadre du planning paroissial1096.
Le paragraphe qui suit s’inspire dans ses grandes lignes de l’article d’Olivier Dard, « La construction progressive d’un discours et d’un milieu aménageur des années trente au début des années cinquante », dans Patrice Caro, Olivier Dard et Jean-Claude Daumas (dir.), La politique d’aménagement du territoire : racines, logiques et résultats, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2002, p. 65-77.
Denis Pelletier a montré les liens de François Perroux avec le mouvement Économie et Humanisme (Denis Pelletier, Économie et Humanisme…, op. cit., notamment chap. 2 sur les utopies communautaires et p. 354 sur l’influence de sa théorie des « pôles de développement » sur la notion d’aménagement dans la mouvance EH).
Voir chapitre 3.
Centre des Archives Contemporaines, 7700777/1 (source donnée par Olivier Dard, « La construction progressive… », op. cit., p. 71, note 30).
Citation tirée d’une communication intitulée « Le plan national d’aménagement du territoire » présentée en 1950, reprise dans l’article d’Aliette Delamarre, « Les acteurs, les cadres et les modes d’intervention de l’aménagement du territoire », dans Patrice Caro, Olivier Dard et Jean-Claude Daumas, La politique…, op. cit., p. 89-102, citation p. 89.
Philippe Pinchemel, A. Vakili et J. Crozzi, Niveaux optima des villes. Essai de définition d’après l’analyse des structures urbaines du Nord et du Pas-de-Calais, Comité d’études régionales économiques et sociales (CERES), 11ème Cahier, Lille, Faculté de Droit, 1959.