2. La politique de l’ODPN a-t-elle résorbé le sous-équipement cultuel de l’est de l’agglomération ?

Le graphique ci-dessous (Fig. 13) montre que l’effort d’équipement religieux a clairement porté sur la partie orientale de l’agglomération lyonnaise, là précisément où l’enquête de sociologie religieuse avait signalé une carence dans le maillage paroissial : dix-huit églises sur les vingt-cinq construites dans les périphéries lyonnaises l’ont été sur la rive gauche du Rhône.

Fig. 13 : Nombre d’églises nouvelles par secteurs de l’agglomération (hors Lyon).
Fig. 13 : Nombre d’églises nouvelles par secteurs de l’agglomération (hors Lyon).

Est-ce à dire qu’à partir de 1975, l’est de l’agglomération est aussi bien doté que l’ouest ou sa partie centrale ? Le calcul du nombre d’habitants par lieu de culte (église paroissiale et annexes éventuelles) pour la fin de la période montre une certaine homogénéisation de l’équipement religieux pour le noyau central de l’agglomération, c’est-à-dire pour la commune de Lyon et la première couronne (Fig. 14) :

Fig. 14 : Nombre d’habitants par lieu de culte paroissial dans l’agglomération lyonnaise en 1975
Fig. 14 : Nombre d’habitants par lieu de culte paroissial dans l’agglomération lyonnaise en 1975 Entre parenthèses : nombre de communes par classe. Carte réalisée à partir du logiciel de cartographie assistée par ordinateur Mapinfo. .

Dans cette auréole, le ratio oscille entre 6 000 et 9 000 habitants par lieu de culte, à l’ouest comme à l’est de Lyon. Il y a cependant des exceptions, qui témoignent d’une persistance d’un déséquilibre au détriment de la partie orientale de l’archidiaconé Saint-Jean : cinq communes de l’est (Vénissieux, Saint-Priest, Villeurbanne, Vaulx-en-Velin et Décines-Charpieu) connaissent un ratio particulièrement défavorable (supérieur à 9 000 habitants par lieu de culte), contre seulement deux à l’ouest (Oullins et Pierre-Bénite). La médiane se situe aux environs de 6 000 habitants par lieu de culte, puisque les trente-quatre communes retenues pour cette étude se répartissent équitablement de part et d’autre de ce ratio (cf. légende de la fig. 14). Comment interpréter ce résultat statistique : de façon pessimiste en montrant les carences de l’ODPN ou d’une manière plus optimiste en soulignant les efforts réalisés ? Dans la mesure où il a été établi plus haut que le chiffre de 5 000 habitants par lieu de culte préconisé par Winninger est loin d’avoir été un impératif pour l’ODPN, il apparaît que l’Archevêché a tout de même réussi à assurer un ratio tout à fait acceptable pour la moitié des communes de l’archidiaconé. Faut-il y voir une volonté ou des logiques particulières de la part de l’Archevêché ?

Pour répondre , il est utile de revenir une nouvelle fois au recensement religieux de 1954 qui peut servir ici de point de comparaison. Dans son travail d’enquête, Jean Labbens était parvenu aux résultats suivants : en 1954, on comptait en moyenne un lieu de culte pour 820 habitants à l’ouest de la Saône, contre un pour 4 000 au-delà du Rhône, soit un écart de 1 à plus de 41127. D’après nos propres calculs et en considérant les mêmes espaces, on obtient pour l’année 1975 : un lieu de culte pour 4 680 habitants à l’ouest de la Saône, contre un lieu de culte pour 9 930 habitants à l’est du Rhône1128. L’écart dans l’équipement religieux, désormais de l’ordre de 1 à 2, s’est donc fortement réduit entre les périphéries est et ouest de l’agglomération, mais la dichotomie persiste.

En moyenne, à l’est comme à l’ouest, la politique des chantiers diocésains n’a donc pas permis de conserver les ratio de 1954. Malgré les efforts de l’ODPN, l’accroissement démographique dans ces communes de banlieue n’a pas été contenu. Il est à remarquer que c’est à l’ouest de la Saône que le « retard » sur la croissance urbaine » a été le plus net : en 1975, un lieu de culte doit accueillir cinq fois plus d’habitants qu’en 1954 (4 680 contre 820 en moyenne), alors qu’au-delà du Rhône, la charge a « seulement » doublé (passant de 4 000 à 9 930 habitants en moyenne par lieu de culte). Deux explications peuvent être avancées à titre d’hypothèses : l’Office diocésain n’a pas perçu l’urbanisation de l’Ouest lyonnais avec la même acuité que pour la partie orientale de l’agglomération, où les grands ensembles concentrent les populations de façon sans doute plus visible ; d’autre part, la multiplication par cinq du nombre d’habitants par lieu de culte à l’ouest ne donne pas une charge paroissiale moyenne excessive : 4 680 habitants par lieu de culte, c’est pratiquement la moyenne que recommande Paul Winninger.

Les disparités restent grandes entre les communes de l’archidiaconé. Ainsi, les espaces les moins urbanisés de l’agglomération, concentrés principalement au nord-ouest de l’archidiaconé (Dardilly, Limonest, Dommartin et La-Tour-de-Salvagny), sont les mieux dotés en lieux de culte : le nombre d’habitants par église ou chapelle paroissiale n’excède pas 2 000 habitants. Entre la commune la plus favorisée (Sathonay-Village, avec un lieu de culte pour 675 habitants) et celle qui est la moins privilégiée (Vénissieux, avec un lieu de culte pour un peu plus de 18 000 habitants), l’écart est donc de l’ordre de 1 à 26 !

Bien que le gradient est-ouest se soit estompé en grande partie pour la proche banlieue, il reste donc de grandes disparités spatiales dans le maillage religieux au milieu des années 1970. Il serait assez aisé de conclure que l’Archevêché et l’ODPN n’ont pas tenu compte sur le terrain des quelques principes théoriques énoncés plus haut. Le maintien d’une dichotomie est-ouest et l’inégale perception de la croissance urbaine selon les communes tendent à prouver que les chantiers diocésains n’ont en dernière analyse obéi à aucune logique particulière. Il semble toutefois que s’en tenir à cette interprétation serait assez réducteur. Si l’on ne peut effectivement parler de logiques d’implantation, conscientes ou non, de la part des responsables diocésains, il reste que le choix des sites pour l’érection d’un lieu de culte témoigne d’un savoir-faire particulièrement efficace qui traduit une bonne compréhension des mécanismes à l’œuvre dans le marché foncier urbain.

Notes
1126.

Entre parenthèses : nombre de communes par classe. Carte réalisée à partir du logiciel de cartographie assistée par ordinateur Mapinfo.

1127.

Jean Labbens, La pratique dominicale…, op. cit. (fascicule I), p. 14.

1128.

Nous avons pris pour base de calculs les dix-neuf communes de l’archidiaconé situées à l’ouest de la Saône et les dix communes situées à l’est du Rhône.