2. La consultation des laïcs et du clergé local pour le choix du site

De l’aveu même du cardinal Gerlier, comme le montre en négatif la première phrase de sa lettre du 17 février 1957 (« Ailleurs, ces populations appellent, elles-mêmes, la création de centres religieux »), le choix de la localisation d’un nouveau lieu de culte est fait alors même qu'il n'y a pas nécessairement de demande ou de besoin exprimés par les habitants sur place.

Dans l’organisation pratique des chantiers diocésains telle que la définit Mgr Mazioux au début de l’opération des églises nouvelles, figure en première place le principe selon lequel « les frais d’achat du terrain sont couverts par le diocèse ». Cette mission d’acquisition des terrains est confiée à l’Association diocésaine1148. L’Archevêché, en tant que seul futur propriétaire de ces terrains, peut en droit décider seul du choix des parcelles. Pour les responsables de l’ODPN, l’avis des communautés sur place ne doit en tout cas pas remettre en cause la politique diocésaine en matière de constructions de lieux de culte. À propos du cas de la ZUP de la Grapinière à Vaulx-en-Velin, Mgr Mazioux écrit en 1971 : « Consultation des usagers ? Ce serait normal, en principe, mais ne devons-nous pas prévoir l’avenir ? Retenir au moins le terrain ? Ce ne sera pas [sic] quand le train sera en marche que nous pourrons le prendre »1149. Cependant, tous les membres du clergé diocésain ne sont pas du même avis, se considérant eux aussi comme des « usagers ». Ainsi, certains curés dénoncent l’absence de concertation en matière de chantiers diocésains. Les propos du père Rivoire de Pierre-Bénite montrent que l’émulation entre paroisses voisines au XIXème siècle reste d’actualité au XXème siècle pour la construction d’églises nouvelles : « La Mulatière construira son église, nous aussi, pourquoi pas Saint-Genis-Laval : sans aucune concertation des besoins d’ensemble et des priorités, sans que la question d’un travail en commun soit posé […]. Ne risque-t-on pas, faute de recherche pastorale, de multiplier les lieux de culte sans avoir découvert ceux dont l’implantation est à privilégier ? Compte tenu de l’évolution géographique, sociologique, un projet bon aujourd’hui aura-t-il une existence durable, ou faudra-t-il en faire exister un autre dans quelques années, sous prétexte de répondre aux besoins ? »1150. Répondre aux attentes d’un groupe d’habitants n’est donc pas toujours un critère valable aux yeux du clergé local, surtout s’il est le signe d’un égoïsme des communautés.

Malgré tout, il semble que l’Archevêché ait dans l’ensemble eu le souci de consulter, sur le choix du site de la future église, sinon les laïcs, du moins le clergé concerné. Les prêtres sur le terrain sont en effet les plus à même de décider du lieu précis de l’implantation du lieu de culte. De nombreux documents consultés prouvent cette participation du personnel sacerdotal à la décision de la localisation. Les ordonnances le rappellent de façon quasiment systématique, sans que l’on puisse y voir une simple clause d’usage strictement conventionnel, tant les formulations varient d’une ordonnance à l’autre. Ainsi, l’acte de création de la paroisse Notre-Dame-de-l’Espérance à Villeurbanne en 1956 précise en préambule : « Après avoir consulté M. l'archiprêtre de la Nativité, M. le curé de Saint-Julien-de-Cusset, et M. le curé de la Sainte-Famille, Nous conformant au plan des limites établies avec eux […] »1151. De même, c’est « sur l'avis favorable de M. l'archiprêtre de Saint-Maurice, à Lyon » que sont érigées les paroisses de la Sainte-Trinité et de Saint-Marc en novembre 19601152. La paroisse de Sainte-Anne-de-Ménival dans le 5ème arrondissement de Lyon est fondée en septembre 1967 « en accord avec l'archiprêtre de Sainte-Thérèse-de-la-Plaine et de MM. les curés »1153, celle de Saint-Luc en janvier 1968 « après consultation de tous les curés intéressés, du Conseil archiépiscopal et du chapitre cathédral »1154.

Encore ne s’agit-il ici que des fondations de paroisses, et non des lieux de culte eux-mêmes et de leur localisation. Mais dans des documents produits par l’ODPN au cours des années 1957-1970, la question de la consultation du clergé à propos du choix du site est parfois directement évoquée. Devant les archiprêtres du diocèse réunis pour évoquer le problème des chantiers, Mgr Mazioux rappelle qu’il ne faut « retenir que les projets correspondant à une réelle nécessité pastorale, reconnue après consultation des prêtres intéressés », principe qu’ont confirmé, d’après le compte-rendu qu’en dresse la Semaine religieuse, certains participants1155. En décembre 1971, pour le cas du lieu-dit « la Charrière » à Saint-Fons, il est décidé d’abandonner tout projet de centre religieux « après accord de tous les responsables du secteur »1156. En février 1973, la question d’un éventuel lieu de culte supplémentaire à Saint-Rambert-l’Ile-Barbe prouve l’implication du clergé local sur ces questions de topographie urbaine: « La future église - si elle doit être construite - serait bien placée, mais cependant assez proche de l’ancienne église de Saint-Rambert ; cette dernière est assez mal située par rapport aux constructions nouvelles et serait certainement insuffisante. Étant donné l’importance des constructions projetées dans ce secteur où la population atteindra vite 10 à 12 000 habitants, l’affaire doit être étudiée très sérieusement, après plusieurs visites sur place avec les prêtres responsables »1157. Ces exemples masquent-ils des pratiques plus centralisées dans le travail quotidien des membres de l’ODPN ? Il faut à ce titre rappeler que la Commission de programme de l’Office diocésain prend seule la décision d’implanter une église et en règle les modalités de façon assez stricte. En outre, les trois curés bâtisseurs recrutés par l’ODPN pour leur expérience du terrain ne font pas partie de cette commission à notre connaissance1158. Malgré l’appui des curés sur place, c’est également l’Office diocésain qui mène directement les négociations d’achats et de ventes de terrains1159.

Notes
1148.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, circulaire ODPN n°8, sans date, probablement 1960-1961.

1149.

AAL, fonds Delorme, I. 1542, lettre de Mgr Joannès Mazioux au père Maurice Delorme, vicaire général, 24 novembre 1971. Il est vrai que la date tardive du document invite à replacer cette citation dans un contexte marqué par une remise en cause aiguë de la politique de construction de lieux de culte (voir chapitre 12).

1150.

AAL, fonds Delorme, I. 1511 bis, lettre du père Rivoire à Mgr Maurice Delorme, 9 décembre 1970.

1151.

« Ordonnance de l'érection de la paroisse de Notre-Dame-de-l'Espérance à Villeurbanne, Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 5 mai 1956.

1152.

« Érection de la paroisse de la Sainte-Trinité à Lyon », Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 12 novembre 1960 (idem pour celle de Saint-Marc).

1153.

« Érection de la paroisse de Sainte-Anne-de-Ménival à Lyon (5ème) », Semaine religieuse du diocèse de Lyon,23 septembre 1967.

1154.

« Érection de la paroisse de Saint-Luc à Lyon (5ème) », Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 10 janvier 1968.

1155.

« Nécessité de ne pas multiplier sans discernement les lieux de culte : l'implantation doit être étudiée judicieusement » (« Où en est le problème des nouveaux centres religieux? », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 11 septembre 1964).

1156.

AAL, fonds Delorme, I. 1542, lettre de Ch. Callard à Mgr Maurice Delorme, 10 décembre 1971.

1157.

AAL, fonds Delorme, I. 1542, compte-rendu de la réunion de la Commission des biens immobiliers, 27 février 1973.

1158.

Voir chapitre 5.

1159.

En attestent tous les comptes-rendus des réunions générales annuelles de l’ODPN autour de Mgr Mazioux, puis des réunions mensuelles de la Commission des Biens Immobiliers autour de Mgr Maurice Delorme et Charles Callard à partir de 1972.