Pour les paroisses fondées avant la création de l’ODPN, c’est-à-dire entre 1945 et 1957, toutes les ordonnances épiscopales mentionnent l’existence d’un « rapport » préparatoire sur lequel l’archevêque s’appuie pour motiver sa décision1172. L’auteur de ce rapport n’est jamais mentionné, mais on peut penser à l’archiprêtre ou au curé de la paroisse sur laquelle est amputé le nouveau territoire. Après 1957, c’est l’ODPN qui assure le travail d’enquête, et les ordonnances ne font plus apparaître le mot1173. Dans tous les cas, ce travail préliminaire pour évaluer la pertinence d’une implantation doit s’appuyer sur des informations récentes sur les équipements et les programmes de logements dans les quartiers.
C’est donc vers les organismes publics que se tournent prioritairement les membres de l’ODPN. Gaston Bardet fait même de ces contacts avec les autorités civiles une condition de la réussite de l’équipement religieux et ce, à toutes les échelles : « Pour ce faire, chaque archevêché doit avoir son représentant particulier, en liaison avec l’Inspecteur régional d’urbanisme, chaque évêché son représentant en liaison avec l’Inspecteur départemental d’urbanisme, chaque curé doit être en relation avec l’urbaniste communal ou régional chargéde la ville et du quartier auxquels il appartient »1174. Une telle structure n’a semble-t-il pas été mise en place dans le diocèse, mais les sources consultées témoignent de contacts nombreux avec les organismes publics compétents.
La source d’information des curés bâtisseurs, des archiprêtres ou des membres de l’ODPN n’est pas toujours explicitée dans les documents. Ainsi, Mgr Dupuy signale, dans le quartier dit des « Trois-Gouttes » à Saint-Rambert-l’Ile-Barbe, que l’étude minutieuse des « plans projetés » s’impose pour déterminer l’emplacement du futur centre paroissial, sans que soit précisée l’origine de ces documents1175. Cependant, on peut penser que la lecture de la presse locale et régionale a sans doute joué un rôle non négligeable dans le suivi de la croissance urbaine dans l’agglomération.
D’une manière générale, il y a pour l’Archevêché une obligation de sérieux et de précision dans la collecte d’informations. Le critère de la compétence de l’interlocuteur doit présider à cette recherche, car il est de bons et de mauvais informateurs. Le curé de la jeune paroisse de Notre-Dame-de-Lourdes soutient ainsi que ses renseignements à propos des projets de construction dans le quartier ont été pris « à bonne source (un fonctionnaire de la Commission d’urbanisme de Lyon) »1176.La discrétion est de rigueur dans cette quête d’informations, tant l’Église craint sans doute d’être accusée d’un zèle trop marqué dans l’apostolat des nouveaux quartiers1177. Pour l’ODPN, la qualité et la fiabilité de l’information est proportionnelle à la légitimité institutionnelle de l’interlocuteur. Le directeur de l’Office diocésain explique ainsi en 1971 à propos du cas de la Duchère : « L’avenir de la ZUP : il ne convient pas de se baser sur des conversations quelconques ou des à-peu-près. Nous nous renseignerons auprès de la SERL1178 et du MRU et nous vous tiendrons au courant… »1179. Ce sont encore les services du Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme qui fournissent par courrier les chiffres des nouveaux logements en cours de construction dans l’agglomération1180. Il semble que l’antenne départementale du Ministère aille parfois au-devant des demandes de l’ODPN car à plusieurs reprises, les pouvoirs publics « signalent » de nouveaux programmes de construction ou d’équipement1181. Les prévisions de la préfecture du Rhône sont également connues1182. L’architecte en chef de la ville de Lyon Charles Delfante, qui rencontre Garnier (ODPN) en 1963, met en garde le Diocèse contre toute tentation d’attentisme et l’invite à équiper massivement les nouveaux espaces urbains : « Si pour la seule ville de Lyon vous ne prévoyez pas la construction de quatre églises par an pendant x années, vous serez toujours en retard »1183. Enfin, l’Office diocésain connaît les positions d’experts éminents, comme Paul Delouvrier. Le Délégué général au district de la région de Paris, en contact régulier avec les autorités religieuses, tient en 1963 une conférence organisée par le Comité national de construction d’églises à laquelle Mgr Mazioux semble avoir assisté1184.
Le choix de la localisation des nouveaux lieux de culte obéit à un certain nombre de critères qui se révèlent plus ou moins décisifs selon les réalités locales. Prix du terrain, réponse à la demande d’une communauté constituée qui revendique une autonomie de fonctionnement, proximité avec les écoles et les nouveaux logements, éloignement des autres lieux de culte, appui sur les lieux de culte provisoires… : cette liste qui n’est pas exhaustive montre à la fois la complexité des situations et l’adaptation de l’Église dans des espaces où elle n’est plus toujours au centre, sur le plan symbolique comme sur le plan géographique.
Il ne faut donc pas deviner derrière les choix d’implantation des églises nouvelles des logiques spatiales fermement établies par la volonté des responsables diocésains. L’ODPN organise certes une planification de l’équipement religieux dans le diocèse. Sa structure interne et ses modes de fonctionnement, décrits au chapitre 5, montrent que l’Archevêché souhaite réduire la part de hasard et d’amateurisme dans la prospection des terrains et le choix des sites. Il y a incontestablement une recherche de professionnalisme dans les pratiques quotidiennes de l’Office diocésain.
Cependant, les sources font clairement apparaître que la rationalisation souhaitée par l’ODPN dans la recherche et l’achat de terrains se heurte aux aléas des projets des municipalités. L’Archevêché sait également jouer des opportunités, saisir les occasions et solliciter quand il le faut la bienveillance des élus ou de l’administration, Le professionnalisme recherché est donc fait d’un pragmatisme incontestable, parfois très efficace.
L’Association diocésaine et l’ODPN peuvent-ils néanmoins tout faire, à savoir prospecter de nouvelles parcelles, engager des pourparlers et vérifier les informations sur le terrain ? Les communautés paroissiales sur place, curé en tête, ont un rôle décisif à jouer dans cette course contre le temps. Bien souvent, cet appui a été bien réel. Mais comment ce soutien des équipes locales s’est-il mis en place ? Qui devient propriétaire des terrains une fois le travail de prospection terminé ? Quelle place et quelle autonomie les communautés locales ont-elles pu revendiquer et obtenir ? C’est la question du financement et de la mobilisation des fidèles qui se trouve posée.
C’est en effet le cas pour la création des paroisses suivantes (date de la Semaine religieuse du diocèse de Lyon entre parenthèses) : Notre-Dame-de-Lourdes à Lyon-Vaise (11 janvier 1948), Sainte-Marie-de-la-Guillotière à Lyon (24 mai 1952), Saint-Pie-X à Irigny (19 novembre 1954), Notre-Dame-de-Lourdes à Bron (16 septembre 1955), Notre-Dame-de-l'Espérance à Villeurbanne (5 mai 1956), le Christ-Roi à Bron (17 novembre 1956). Ces rapports n’ont malheureusement pas été retrouvés.
Constat avéré pour les créations de paroisses suivantes : Cœur-Immaculé-de-Marie à Villeurbanne (1er juillet 1959), Saint-François-Régis à Villeurbanne (18 février 1961), Saints-Côme-et-Damien à Cuire (8 juin 1963), Saint-Luc à Lyon (10 janvier 1968), Sainte-Anne-de-Ménival à Lyon (23 septembre 1967).
Gaston Bardet, « L’Église dans la cité »…, op. cit., p. 28.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport « Les projets des futurs paroisses », sans date, vraisemblablement 1956-1957.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport sur la paroisse Notre-Dame-de-Lourdes, 10 novembre 1954.
« Nous vous prions de trouver sous ce pli les états sur la population future de la périphérie lyonnaise ainsi que des études sur les prévisions de logements dans les différentes communes de notre région. Mgr Mazioux nous a particulièrement recommandé de vous dire que ces états qui nous ont été remis confidentiellement resteront strictement dans nos bureaux sans être divulgués » (AAL, fonds Delorme, I. 1542, lettre du secrétariat de l’ODPN au père Maurice Delorme, 5 juillet 1971).
Société d’équipement de la région lyonnaise.
AAL, fonds Delorme, I. 1542, lettre de Mgr Joannès Mazioux au père Maurice Delorme, 24 novembre 1971.
Mgr Mazioux énumère en effet quartier par quartier les prévisions de logements collectifs (AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport de Mgr Joannès Mazioux à la réunion générale de l’ODPN, 19 juin 1963).
« En quelques mois, le MRU nous a signalé 18 500 logements nouveaux à bâtir dans les cités de Bron-Le Terraillon (3 000), Vassieux-Ouest (2 500), Le Pérollier-Château (4 000), Villefranche-sur-Sâone (5 000) et probablement Vernaison-Charly (4 000)… et ce n’est pas fini » (AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, note de Mgr Joannès Mazioux accompagnant le rapport sur « la situation générale des églises nouvelles dans le diocèse de Lyon à la date du 1er octobre 1962 ») ; « Bien que nous ayons établi un ordre d'urgence, et que nous ayons écarté ou remis à plus tard tel ou tel projet qui pouvait être différé, l'ampleur de nos prévisions est encore dépassée par l'évolution démographique : c'est ainsi qu'en quelques mois, la création de 18 500 logements nouveaux (correspondant à une population de 80 000 habitants au moins) a été signalée à l'ODPN pour la seule région lyonnaise » (« Lettre de Son Éminence à l'occasion de la quête annuelle pour les églises nouvelles », Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 14 octobre 1962).
AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport de Mgr Joannès Mazioux à la réunion générale de l’ODPN, 19 juin 1963.
Idem.
« Tout récemment, au cours d’une réunion de notre Comité national, M. Delouvrier nous informait que dans les vingt ans à venir, la ville de Paris verrait encore sa population s’accroître de 50 % et que celle des villes importantes de province allait doubler. La France aura alors rassemblé dans les grandes villes cinquante sur les soixante-dix millions qu’elle comptera vers 1980. Pour des raisons géographiques et économiques, Lyon promet d’être particulièrement gâtée ! Ce sont là des perspectives qui bouleversent les données du problème. Il faut se plier auxfaits : le problème des églises nouvelles restera posé à notre diocèse avec une certaine ampleur pendant trente ou quarante ans » (AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport de Mgr Joannès Mazioux à la réunion générale de l’ODPN, 19 juin 1963). Paul Delouvrier (1914-1955), entre autres réalisations dans sa riche carrière dans la haute fonction publique (il est le premier préfet de la région parisienne en 1966), est à l’origine du Schéma directeur d’aménagement et d’urbanisme de la région de Paris publié en 1965.