Avant la création de l’ODPN en octobre 1957, l’Œuvre du Christ dans la banlieue avait obtenu du diocèse de Lyon l’organisation de quêtes à la sortie des églises1202. Celles-ci se poursuivent après 1945, sans qu’il soit possible d’en déterminer avec précision la fréquence1203. Pour certaines de ces quêtes, l’affectation des fonds recueillis est précisée aux fidèles. Ainsi, celle de 1953 doit aider à l’achat du terrain pour l’église de Sainte-Marie-de-la-Guillotière.
Après 1957, deux quêtes annuelles entièrement reversées aux paroisses nouvelles sont organisées dans le diocèse. Celle de la fête du Christ-Roi, à l’automne, alimente la caisse centrale de l’ODPN, pour les frais généraux et le soutien aux associations paroissiales les plus démunies. Elle est organisée dans le diocèse jusqu’en 1975 au moins, date à laquelle l’Archevêché croit utile d’indiquer qu’il s’agit d’autre chose que du seul maintien d’une tradition diocésaine1204. L’autre quête, organisée à l’initiative du curé-bâtisseur, est intégralement reversée à l’association paroissiale, en interne. Le principe de ces deux quêtes a été approuvé par les archiprêtres du diocèse1205. Mgr Mazioux a d’autre part insisté auprès du cardinal Gerlier pour que les dons faits à l’Archevêché sans affectation précise soient reversés dans la caisse centrale de l’ODPN1206. Concernant les legs, l’Association diocésaine fait valoir que ceux-ci sont exemptés de toute taxe depuis la loi de finances du 28 décembre 19591207. Dans le même registre, l’Archevêché a vraisemblablement connaissance de la décision du Conseil d’État, relayée par la Documentation catholique, de déductions fiscales pour les entreprises et les particuliers qui feraient des dons aux Associations diocésaines dans le but de construire ou d’agrandir des églises1208.
Les souscriptions constituent une autre forme de la charité traditionnelle. Après 1945, cette source de financement sert par exemple à payer des constructions d’églises réalisées dans l’entre-deux-guerres1209. Mais le principe est repris pour les chantiers des paroisses nouvelles. Des « bons-réponses » portant des engagements pour des dons sur plusieurs années sont proposés aux fidèles1210. L’ODPN s’emploie à relancer très régulièrement ces souscriptions car elles peuvent constituer un des principaux leviers dans la récolte des fonds, à condition de ne pas effrayer les fidèles avec des termes mal choisis : plutôt que d’utiliser le mot « engagement », les feuilles paroissiales préfèrent par exemple parler d’ « un effort de principe sur quelques années (quatre ou cinq ans) »1211. Pour Mgr Mazioux, qui prend pour base de calcul le taux de pratique religieuse donné par l’enquête Labbens de mars 1954, les souscriptions ne rencontrent pas toutefois le succès escompté. Avec 22 % de pratique religieuse, c’est en théorie un peu plus de 130 000 familles pratiquantes qui devraient s’intéresser à la question des églises nouvelles dans le diocèse. Or, seulement 6 % d’entre elles ont déjà souscrit une promesse de don en novembre 1960. À cette même date, près de 400 paroisses - dans leur grande majorité rurales - sur les 729 que compte le diocèse, n’ont donné aucune indication de sommes versées pour les chantiers. Le directeur de l’ODPN estime à « 10 à 12 % la part des familles chrétiennes du diocèse ayant fait leur devoir »1212.
Un exemple relativement précis de ces souscriptions permet de dresser pour l’année 1962 une géographie des grands donateurs du diocèse. Au printemps 1961 en effet, l’Office diocésain souhaite « alerter davantage l’opinion de certains milieux chrétiens plus fortunés sur le problème [des églises nouvelles] à la solution duquel ils peuvent efficacement collaborer »1213. L’idée est suggérée par Mgr Duquaire, le secrétaire personnel du cardinal Gerlier, qui propose la mise sur pied d’un « Comité de l’emprunt » composé de grands noms du monde de la finance, de l’industrie et du commerce de la région lyonnaise. Initialement, aucun effort financier ne devait être demandé à ces grandes familles : elles seraient sollicitées non pas en tant que donatrices, mais comme « conseillères sur les solutions financières » à adopter face au problème des églises nouvelles et comme garantes auprès des banques pour les emprunts1214. Quelques semaines plus tard, décision est prise de solliciter ces grands bourgeois lyonnais, mais pour leur demander de souscrire des prêts sans intérêt pendant cinq ans à l’Association diocésaine. L’ACI et l’ACG sont invités à fournir une liste des laïcs pressentis pour cette opération « Dépannage ». L’objectif est de trouver entre 2 et 4 millions de nouveaux francs entre mai et décembre 19611215, contre reconnaissances de dettes en bonne et due forme. « La meilleure banque, c’est la générosité des chrétiens du diocèse mais il ne faut pas craindre de tirer des chèques sur leur esprit de foi » explique Mgr Mazioux lors du démarrage de l’opération1216.
La géographie des familles ayant consenti un prêt sans intérêt à l’Association diocésaine pour la campagne des églises nouvelles recoupe sans surprise l’implantation de l’élite économique dans l’agglomération. C’est principalement dans les 1er, 2ème et 6ème arrondissements de Lyon, c’est-à-dire les quartiers les plus fortunés de la commune et de l’agglomération, que résident les souscripteurs les plus nombreux. À eux seuls, ces trois arrondissements ont fourni la somme de 112 550 francs à l’Association diocésaine, soit 36,8 % de la totalité des montants versés au diocèse. La moyenne corrigée1217 des montants de ces prêts est sensiblement la même pour chacun de ces trois arrondissements, de l’ordre de 1 600 à 1 800 francs par souscripteur. Bien que contribuant pour 43,5 % au montant total des prêts, les autres arrondissements de Lyon sont en fait peu représentés, avec seulement dix-sept prêts et surtout deux d’entre eux d’un montant exceptionnel de 50 000 francs. Les arrondissements les plus périphériques (7ème et 8ème) sont d’un apport quasi négligeable (3 000 francs au total). Hors de Lyon, les autres communes du diocèse n’apportent qu’une contribution toute relative : quatorze prêts de 59 900 francs au total, soit 19,6 % du montant total des prêts consentis. Il reste que l’opération « Dépannage » n’a pas donné les résultats escomptés. En 1962, seulement 300 000 francs sont effectivement prêtés par l’élite économique de la région.
Les appels à la générosité des fidèles ne se font cependant pas sans quelques réticences, notamment chez les chrétiens de gauche. Ainsi en est-il du « 1 % patronal » créé en 1953 : faut-il user de ce levier financier pour construire les presbytères dans les nouveaux centres religieux ? L’ODPN craint les critiques du monde ouvrier et laisse les associations paroissiales la liberté d’y avoir ou non recours, non sans appeler malgré tout à la concertation et à la discrétion1218.
C’est à propos de ce même enjeu de la collusion réelle ou supposée de l’Église et de la bourgeoisie d’affaires qu’en avril 1960, des archiprêtres contestent une proposition du cardinal Gerlier pour financer les églises nouvelles. Celui-ci avait suggéré que les ouvriers pourraient financer les nouveaux lieux de culte à la manière de certains jeunes catholiques de RFA : ceux-ci versent chaque semaine le salaire de vingt minutes de travail pour la construction d’églises pour les réfugiés en provenance de RDA. Pour la majorité des archiprêtres de l’agglomération lyonnaise, une telle comparaison est malvenue : les ouvriers des villes françaises ne sont pas suffisamment riches pour le faire - c’est même d’une certaine façon les mépriser et mal connaître leurs conditions de vie que de faire une telle proposition ! - et les nouveaux urbains ne sont pas assimilables à des réfugiés venus de l’Est1219 !
L’Archevêché de Lyon ne manque pas de s’informer des pratiques de financement ayant cours dans d’autres diocèses urbanisés confrontés également à la question des églises nouvelles. En particulier, la Semaine religieuse du diocèse évoque longuement en janvier 1964 le cas de l’église Saint-Thibault à Marly-le-Roi dans le diocèse de Versailles, dont la construction a débuté deux ans plus tôt. Le bulletin diocésain reproduit en fait un article de la revue mensuelle Responsables de l’USIC (Union sociale d’ingénieurs catholiques, cadres et chefs d’entreprise) paru en novembre 1963, qui détaille surtout les moyens mis en œuvre pour financer l’édification de ce nouveau lieu de culte. Des réunions de laïcs sont mises en place à plusieurs échelles (par îlots d’habitation et par montée d’escalier) dans ce quartier neuf des « Grandes Terres » ; un questionnaire est distribué pour sensibiliser les riverains et évaluer les dons potentiels ; enfin un engagement financier est proposé aux familles à partir du coût estimé d’une place assise sur les bancs de la future église1220. L’article est rédigé par le jeune Michel Camdessus, énarque, administrateur civil à la direction du Trésor au Ministère des Finances et des Affaires économiques, alors membre actif de l’association paroissiale1221. Mgr Mazioux s’enthousiasme pour ces initiativesqui peuvent inspirer des pratiques à Lyon.
Cependant, s’il semble favorable à la circulation des savoir-faire en matière de financement de lieux de culte, le directeur de l’Office diocésain se montre très réticent à l’égard de sollicitations financières pour des églises nouvelles en provenance d’autres diocèses. Lors d’un échange de vues avec les archiprêtres en 1964, Mgr Mazioux « regrette les sollicitations faites, collectivement ou individuellement, pour la construction d'églises hors du diocèse, alors que Lyon porte une charge si lourde ». Il demande que les chrétiens soient « éclairés à ce sujet »1222. Afin de créer un élan de foi et de sympathie autour de la question des églises nouvelles du diocèse, l’ODPN met sur pied à partir de 1957-1958 un système de parrainage entre paroisses existantes dites « marraines » et paroisses nouvelles dites « filleules ».
Exemples parmi d’autres : Semaine religieuse du diocèse de Lyon des 28 février et 9 octobre 1936.
Sauf erreur de notre part, la Semaine religieuse du diocèse de Lyon n’en mentionne pas tous les ans : 11 mai 1945, 27 avril 1947, 30 avril 1950 et 24 avril 1953.
« Quête du Christ-Roi », Église de Lyon du 21 novembre 1975.
« Où en est le problème des nouveaux centres religieux ? », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 11 septembre 1964.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport général de Mgr Joannès Mazioux lors de la réunion générale de l’ODPN, 23 juin 1961.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, ordre du jour de la réunion des archiprêtres du 19 avril 1960.
Cette décision du Conseil d'État prise le 15 mai 1962 reconnaît que l'article 238 bis du Code général des impôts s’applique aux versements faits aux associations diocésaines ou à d'autres organismes de caractère religieux dans le but précis de financer la construction ou l'agrandissement d'églises. Cette décision autorise les entreprises et les particuliers à déduire de leurs bénéfices ou de leur revenu imposable le montant de ces dons dans la limite d’un pour mille du chiffre d'affaires pour les entreprises et de 0,50 % du revenu pour les particuliers (La Documentation catholique, n°1415, 5 janvier 1964, col. 90).
Ainsi en est-il de l’église du Sacré-Cœur (3ème arrondissement de Lyon), construite entre 1922 et 1934. La Semaine religieuse du diocèse de Lyon tient à jour les contributions en les classant par communes (voir par exemple celle du 2 février 1945).
AAL, fonds Gerlier, « Financement des églises nouvelles. Moyens pratiques proposés dans une ligne aussi pastorale que possible », note de Mgr Joannès Mazioux, 17 novembre 1960.
« Où en est le problème des nouveaux centres religieux ? », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 11 septembre 1964.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport général de Mgr Joannès Mazioux lors de la réunion générale de l’ODPN, 23 juin 1961.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, lettre de Mgr Joannès Mazioux au cardinal Gerlier, 20 mai 1961.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, lettre de Mgr Duquaire à Mgr Joannès Mazioux, 13 mars 1961.
Les chiffres varient d’un document à l’autre.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, note de l’ODPN, 27 mars 1961.
Pour une moyenne plus représentative, ont été exclus les montants supérieurs ou égaux à 10 000 francs, qui restent exceptionnels, y compris dans ces quartiers très fortunés.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, « note à l’attention des associations locales pour construire les centres paroissiaux », sans date, probablement mars ou avril 1962.
AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, ordre du jour et compte-rendu de la réunion des archiprêtres du 19 avril 1960.
« Églises nouvelles. "Quand les chrétiens veulent construire leur église" », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 24 janvier 1964. D’après les informations fournies par le diocèse de Versailles, la construction de l’église Saint-Thibault a connu cependant des difficultés financières et techniques par la suite, l’édifice n’étant achevé qu’en 1976 à la suite de plusieurs interruptions de chantiers (source : http://secteur-marly-catholique-yvelines.cef.fr).
L’économiste Michel Camdessus, né en 1933, a exercé plusieurs responsabilités nationales et internationales dans de grands organismes économiques et financiers : gouverneur de la Banque de France de 1984 à 1987, président du Fonds monétaire international de 1987 à 2000. Catholique pratiquant, il a été également président des Semaines sociales de France de 2000 à 2007 et est en 2008 membre du Conseil pontifical Justice et Paix.
« Où en est le problème des nouveaux centres religieux? », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 11 septembre 1964.