2. Les parrainages, une solution originale de financement

La première difficulté rencontrée par l’Office diocésain est celle de l’attribution des paroisses marraines aux paroisses filleules. La localisation doit-elle jouer un rôle - pour des raisons de commodité notamment - pour créer des liens entre les deux communautés de fidèles ? Un récapitulatif des parrainages, hélas sans date mentionnée, a été conservé aux Archives diocésaines. Le nombre de nouvelles paroisses alors projeté incite à penser, grâce à des recoupements avec d’autres sources, que ce document de travail a été élaboré en 1958, sans doute par Mgr Dupuy1223. Si l’on s’en tient à ce tableau, il n’apparaît pas qu’un facteur géographique (grande ou faible distance entre marraines et filleules par exemple) ait été privilégié. Il existe des cas pour lesquels la distance est faible, comme pour les paroisses de l’archiprêtré de Saint-Maurice-de-Monplaisir qui financent l’église nouvelle toute proche des Essarts à Bron, ou les paroisses de Villeurbanne aidant Notre-Dame-de-l’Espérance  située sur le territoire communal. Mais le cas inverse se rencontre également : les paroisses de l’archiprêtré de Tarare parrainent la construction de l’église Saint-Jean-Apôtre dans le quartier des États-Unis au sud-est de Lyon (quarante-cinq kilomètres de distance), celles de Chasselay participent au financement de la chapelle dite du « Pont-des-Planches » à Vaulx-en-Velin (trente kilomètres).

La philosophie d’ensemble réside surtout dans la volonté de l’ODPN d’impliquer toutes les paroisses du diocèse, y compris celles situées en milieu rural. Le critère financier est-il intervenu ? Faut-il par exemple que ce soient les paroisses les plus riches qui aident les plus pauvres ? « On a tenu compte évidemment de l’importance et des ressources des paroisses marraines pour les grouper en faveur d’une paroisse filleule » reconnaît le cardinal Gerlier en octobre 19601224. Le tableau récapitulatif de 1958 confirme ce choix. Ainsi, les seules paroisses de Saint-Pothin et du Saint-Nom-de-Jésus (6ème arrondissement de Lyon, dans le quartier aisé des Brotteaux) parrainent le chantier de l’église dite « de la Poudrette » à Vaulx-en-Velin, tandis que la paroisse d’Ainay aide l’archiprêtré du Bois d’Oingt à financer l’église nouvelle de l’avenue Mermoz (future église de La Trinité).

Les archiprêtres sont chargés sur le terrain de mettre en place concrètement le parrainage. Une marge d’ajustement leur est laissée pour faire face au besoin à des refus1225. Si le tableau des parrainages tel qu’il est annoncé en 1960 est valable dix ans d’après Mgr Mazioux, l’allongement de la liste des églises nouvelles tout au long des années 1960 complique la tâche de l’ODPN. Les derniers arrivés sont souvent moins bien parrainés car la répartition a déjà été faite, comme le reconnaît lui-même Mgr Mazioux au curé Despierres qui se plaint d’un parrainage peu actif : « Vous êtes mal parrainé par rapport à vos charges. J’en conviens bien volontiers. La répartition des parrainages par rapport aux projets a été faite il y a quatorze ans d’après la liste établie par Mgr Dupuy, mais depuis, les choses ont bien changé ; des projets nouveaux ont surgi, comme par exemple Bron-Lacouture, et les derniers venus ont forcément été traités en parents pauvres. Croyez bien que je fais de mon mieux pour rétablir petit à petit un certain équilibre »1226. Il arrive également que certaines paroisses marraines soient affectées à d’autres filleules en fonction des besoins nouveaux1227.

La générosité des fidèles est mesurée à l’étalon du Denier du clergé. Mgr Mazioux estime que l’effort annuel de chaque paroisse doit être au moins égal à cette somme. Le choix de ce critère pose problème à certains prêtres (sans doute ceux des paroisses les plus riches), ce qui oblige le directeur de l’ODPN à une mise au point dans la Semaine religieuse en septembre 1964. À ses yeux, une base de comparaison est nécessaire1228. On peut penser surtout qu’un tel procédé permet d’éviter d’imposer des seuils à atteindre en valeurs absolues : quel que soit le niveau de richesse des paroisses, chaque paroisse doit doubler l’effort financier traditionnel.

En contrepartie, les paroisses marraines peuvent exercer un droit de regard sur les sommes perçues par la paroisse filleule. Des délégués des paroisses marraines peuvent en effet siéger de droit au Conseil d’administration des associations paroissiales et le directeur de l’ODPN a fait de la « cogestion financière » un des principes du parrainage1229. Un tel dispositif a-t-il fonctionné ? Quel est le bilan financier des parrainages d’églises nouvelles ?

Les résultats des deux premiers exercices (1960-1961 et 1961-1962) sont à la hauteur des chiffres que l’ODPN s’était fixés. Un tiers des paroisses marraines ont donné plus de 80 % du montant de leur Denier du clergé, un peu moins d’un tiers entre 30 et 80 %, un peu plus d’un tiers se situant donc à moins de 30 %. La moyenne des paroisses marraines seules se situe à un peu plus de 58 % du Denier du clergé pour la première année, un peu moins de 55 % pour la deuxième. Les filleules ont, quant à elles, versé entre quatre et cinq fois le montant de leur Denier du clergé, avec une moyenne de 116 % pour 1960-1961 et 113 % pour 1961-19621230. Mgr Mazioux estime qu’à ce rythme, les difficultés de financement ne seront pas insurmontables1231. Cependant, dès 1962-1963 (troisième année des parrainages), la tendance des dons est à la baisse (toujours par rapport au Denier du clergé) : le nombre de paroisses, marraines et filleules, ayant versé dans l’année l’équivalent de moins de 40 % de leur Denier du clergé pour les églises nouvelles passent ainsi de 414 pour 1960-1962 à 440 pour 1962-1964. La situation est alors qualifiée d’ « inquiétante » par le directeur de l’ODPN. Faute de documents comptables en série, il n’est pas possible de dresser un bilan financier précis des parrainages année par année. Néanmoins, le système de parrainages semble avoir apporté une contribution non négligeable lors de la décennie 1960, bien qu’il y ait eu sans doute des variations assez fortes. Pour preuve, la Semaine religieuse mentionne ainsi en 1971 : « Depuis une douzaine d'années le diocèse, dans son ensemble, a certainement fait preuve d'une grande générosité, mais l'enthousiasme du début, et donc les offrandes subissent depuis trois ou quatre ans une baisse inquiétante »1232.

Notes
1223.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, « Nouvelles paroisses ou annexes », sans date (proche du document « Les projets des futurs paroisses », 1958). Mgr Mazioux évoque en 1960 un tableau de parrainages paru « il y a trois ans » dans la Semaine religieuse, mais ce document n’a pu être retrouvé en dépouillant le bulletin diocésain (AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, ordre du jour de la réunion des archiprêtres du 19 avril 1960).

1224.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, lettre du cardinal Gerlier aux fidèles du diocèse, 30 octobre 1960 (fête du Christ-Roi).

1225.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, note de Mgr Joannès Mazioux, 23 janvier 1961.

1226.

AAL, fonds Delorme, I.1511 bis, lettre de Mgr Joannès Mazioux au père Desperrier, curé de Saint-Denis de Bron, 11 octobre 1972.

1227.

Bernard Saugey, « Les paroisses nouvelles », L’Écho-Liberté, 30 octobre 1966.

1228.

« Où en est le problème des nouveaux centres religieux ? », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 11 septembre 1964.

1229.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, « Églises nouvelles. Décentralisation pastorale… et financière », par Mgr Joannès Mazioux, 21 décembre 1960.

1230.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport général de Mgr Joannès Mazioux pour la réunion ODPN du 19 juin 1963.

1231.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, « Où en est dans le diocèse de Lyon l’opération "églises nouvelles" à la date du 24 février 1963 ? », rapport de Mgr Joannès Mazioux.

1232.

« Quête pour les églises nouvelles », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 12 novembre 1971.