3. Les emprunts en débat

Au moment du lancement par Mgr Mazioux du programme de construction de l’ODPN en 1960, l’Association diocésaine a contracté un emprunt de 300 millions d’anciens francs pour l’acquisition de terrains. Un premier emprunt de 100 millions, déjà évoqué dans le chapitre 5, à 5 % d’intérêts et remboursables en quinze ans auprès des établissements bancaires de la région, avait été annoncé en février 1957 aux fidèles du diocèse1233. Un second emprunt d’un montant de 200 millions d’anciens francs avait suivi en 1959, également auprès des banques du Rhône et de la Loire, à un taux identique de 5 % d’intérêts1234. Dans le strict domaine de l’acquisition des terrains et en tenant compte de l’ensemble des exercices financiers des années 1958 à 1971, il apparaît qu’à la fin de la période, l’Association diocésaine ne s’est pas endettée : le montant cumulé des achats de terrains (environ 3 753 000 francs) est inférieur à celui des reventes (environ 4 117 000 francs)1235.

Concernant la construction des lieux de culte, la question de l’emprunt se pose également. L’État peut-il apporter un financement ? Il semble que l’Archevêché ait encore en avril 1960 quelque espoir, car une note rédigée à cette date affirme que « le diocèse fait des démarches pour obtenir de l’État un prêt de 1 milliard 400 millions d’anciens francs, destiné à financer une première tranche de travaux pour trente-sept nouveaux centres religieux »1236. Peut-être y a-t-il erreur de la part de l’auteur - non identifié - de cette note, car à la même date, des courriers de l’Association diocésaine aux Conseils généraux du Rhône et de la Loire montrent que les demandes de l’Archevêché auprès des pouvoirs publics n’ont pas pour objet une subvention ou un prêt - ce que la loi de Séparation interdit - mais une garantie des collectivités locales auprès des établissements bancaires pour le compte de l’Archevêché. La loi de finances rectificative du 29 juillet 1961 stipule en effet dans son article 11 que « les emprunts contractés pour financer la construction dans les agglomérations en voie de développement d'édifices répondant à des besoins collectifs de caractère religieux par des groupements locaux ou par des associations cultuelles peuvent être garantis par les départements et par les communes »1237. Le cardinal Gerlier écrit à Benoît Carteron et Antoine Pinay, respectivement président des Conseils généraux du Rhône et de la Loire, pour solliciter leur appui pour deux emprunts auprès de la Caisse des dépôts et consignations : l’un de 7 millions de nouveaux francs, l’autre de 5, tous deux remboursables en trente ans à hauteur de 5 % d’intérêts. L’archevêque de Lyon ne justifie pas seulement sa demande par la conformité à la législation en vigueur qui, dit-il, n’interdit aucunement les prêts, qui sont des sommes « non pas données, mais essentiellement remboursables par les emprunteurs » ; il évoque aussi le gain moral et spirituel que la population des deux départements aurait à gagner de la construction de lieux de culte1238. Le cardinal Gerlier a manifestement trouvé une oreille attentive et bienveillante chez ces deux élus du Centre national des indépendants et paysans (CNIP, droite libérale), car ils obtiennent un vote favorable de leurs Conseils à la fin de l’année 19601239. Mais pour des raisons non élucidées, cet emprunt se trouve « en panne » en mars 19611240. La question d’un emprunt sous d’autres formes est donc posée à cette date, non sans débats à l’Archevêché.

Lorsque l’ODPN obtient que des emprunts soient contractés sans intérêts, aucun responsable diocésain ne s’y oppose. C’est le cas lors de l’opération « Prêts d’urgence » (également appelée « Dépannage ») lancée à partir de mai 1961 et évoquée plus haut. Mais lorsque les emprunts se font avec remboursements d’intérêts, les avis à l’Archevêché sont plus partagés. Mgr Dupuy estime que l’emprunt peut faciliter l’exécution rapide du programme de construction que s’est fixé l’ODPN. À l’inverse, Mgr Mazioux n’y est pas favorable car le coût du remboursement serait trop important pour les finances du diocèse1241.

L’option du nouveau directeur de l’Office diocésain n’a pas été retenue car un prêt par la Caisse d’Épargne d’un montant d’un million de nouveaux francs, garanti par le Conseil général du Rhône, est effectif à la fin de l’année 19611242. De même, en 1962, l’Association diocésaine a bénéficié de 2,2 millions nouveaux francs dans le cadre de l’emprunt national contracté par l’Association nationale pour la construction d’édifices religieux (ANCER) évoqué au chapitre 5. Ce prêt est amortissable en quinze ans en annuités de 5 %, augmentées à 5,70 % en juin 1962, ce que Mgr Mazioux juge particulièrement onéreux1243. Cependant, il semble que les recommandations du directeur de l’Office diocésain aient été prises en compte quant au montant emprunté, car le diocèse de Lyon a proportionnellement peu profité du prêt de l’ANCER si on compare sa situation à celui de Paris par exemple : l’Association diocésaine de la capitale a contracté un emprunt d’un peu plus de 27 millions, soit un montant douze fois plus élevé que celui de son homologue lyonnaise, alors qu’à cette date, le programme des constructions s’élève à quatre-vingt-dix lieux de culte pour le diocèse de Lyon contre « seulement » 150 pour celui de Paris. Au milieu des années 1960, la position prudente de Mgr Mazioux emporte l’adhésion du cardinal Villot, pour lequel un recours à des emprunts onéreux est à proscrire pour éviter d’avoir à porter un fardeau financier trop lourd sur une trop longue période1244. Dix ans plus tard, le directeur de l’ODPN se félicite d’avoir limité le recours aux emprunts nationaux grâce aux parrainages, alors que d’autres diocèses connaissent de grandes difficultés de remboursement1245.

Notes
1233.

« Lettre de Son Éminence Gerlier aux prêtres et aux fidèles de son diocèse au sujet de l'emprunt pour les paroisses nouvelles », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 17 février 1957.

1234.

« ODPN », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 27 mars 1959.

1235.

AAL, fonds Delorme, I. 1542, « Exercices des années 1958 à 1971 pour l’Association diocésaine et l’ODPN ».

1236.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, note sans titre en vue de préparer la réunion d’archiprêtres du 12 avril 1960 sur le thème des paroisses nouvelles.

1237.

Reproduit dans La Documentation catholique, 1362, 15 octobre 1961, col. 1320.

1238.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, lettres du cardinal Gerlier à Benoît Carteron et Antoine Pinay, 12 avril 1960.

1239.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, lettre d’Antoine Pinay au cardinal Gerlier, juin 1960 ; lettre de Benoît Carteron au même, 27 novembre 1960.

1240.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, lettre de Mgr Duquaire à Mgr Joannès Mazioux, 13 mars 1961.

1241.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, lettre de Mgr Joannès Mazioux au cardinal Gerlier, 24 janvier 1961.

1242.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, lettre du chancelier de l’Archevêché de Lyon à Benoît Carteron, 25 novembre 1961.

1243.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport financier pour la réunion ODPN du 19 juin 1963.

1244.

« Appel du cardinal-archevêque en faveur des églises nouvelles », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 22 octobre 1965.

1245.

AAL, fonds Delorme, I. 1542, « note sur la politique financière de l’ODPN pour les années à venir », par Mgr Joannès Mazioux, 13 avril 1973 ; « Les églises nouvelles », Église de Lyon du 15 novembre 1974.