Au cœur du dispositif général de mobilisation des fidèles est posée en arrière-plan la question du rapport des catholiques à l’argent. L’Église diocésaine rend-elle visible cette dimension économique d’appel de fonds ou se dénie-t-elle au contraire comme entreprise ? Y a-t-il explicitation par les responsables diocésains de préoccupations financières pour construire à temps toutes les églises projetées ou les questions budgétaires sont-elles plutôt euphémisées ? L’affirmation de Pierre Bourdieu selon laquelle tout discours objectivant une activité économique dans l’Église déclencherait « le rire des évêques » nous a semblé tenir lieu d’hypothèse intéressante à tester pour problématiser la question de la mobilisation des catholiques autour des paroisses nouvelles1256.
Pour le sociologue, l’institution ecclésiale dépenserait en effet une énergie considérable dans l’euphémisme et le tabou de la non explicitation de l’échange de biens économiques. Non pas par cynisme ou par hypocrisie, mais en raison de l’incorporation dans les milieux d’Église d’ « une sorte de disposition catholique » que Bourdieu appelle aussi « habitus religieux » qui consiste à convertir l’activité à dimension économique en tâche sacrée. La censure de l’intérêt financier donnerait ainsi lieu à une stratégie de « coup double » (cumul du profit religieux et du profit économique pour reprendre la terminologie bourdieusienne) sur un modèle proche de l’économie pré-capitaliste de type familial, dans lequel acte charitable et activité à but lucratif coexistent malgré leur opposition. Qu’en est-il pour le diocèse de Lyon à propos de la question du financement des églises nouvelles ? Trouve-t-on trace de ce refoulement collectif et de cette orchestration des habitus ?
Pierre Bourdieu, « L’économie des biens symboliques », dans Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, Seuil, 1994, p. 173-211, en particulier p. 200-211.