1. Le rôle du clergé comme relais de l’Office diocésain

L’ODPN est une machine à produire des circulaires et des rapports. Ces documents témoignent de l’intense activité de ses responsables. Ils sont également le révélateur d’une volonté d’imposer un cadre de fonctionnement à l’ensemble des acteurs concernés par la question des églises nouvelles (associations paroissiales, catholiques du diocèse d’une manière générale), mais avant tout au clergé, curés-bâtisseurs et curés diocésains dans leur ensemble, principaux destinataires des circulaires de l’ODPN. Au total, le dépouillement des archives diocésaines a conduit au recensement de vingt-trois circulaires, dont la plupart ont été rédigées entre janvier 1961 et septembre 1962 seulement, soit un peu plus d’une par mois en moyenne1273. Le début des années 1960 est donc marqué par la mise en forme de normes, qui sont utilisées comme des instruments de standardisation dans le déroulement des chantiers mais aussi d’animation et de mobilisation autour d’un projet commun.

Par le biais des parrainages et des différents supports de propagande, l’Archevêché et l’ODPN souhaitent en particulier imposer le financement des églises nouvelles comme une priorité dans la pastorale du diocèse. Or, le succès d’une telle mobilisation passe d’abord par l’appui du clergé, notamment séculier, car le quadrillage paroissial est un outil formidable dans la collecte des fonds. D’où la grande attention portée par l’Office diocésain à l’élan que peuvent susciter les prêtres auprès de leurs fidèles. Dans le domaine du financement des églises nouvelles, la mission du clergé diocésain est essentiellement une tâche d’éveil, d’éducation et d’ouverture des laïcs aux besoins de l’Église1274. C’est également le curé qui doit assurer au moins une fois par an la collecte des fonds sur le territoire paroissial, occasion de« créer tout un courant de pensée » autour des paroisses nouvelles1275. Il est plus particulièrement chargé de lancer des appels personnels à destination des familles fortunées du quartier, comme le fait le curé de Saint-Joseph des Brotteaux au printemps 1961. Quelque 1 200 familles ont été contactées, dont un peu plus d’un tiers ont répondu favorablement1276. Détenteur de l’autorité spirituelle dans sa paroisse, garant des pratiques charitable sur son territoire, le curé joue donc un rôle central dans la mobilisation des fidèles.

L’Office diocésain accorde en particulier une grande importance à la mobilisation du clergé rural et des archiprêtres. Pour mobiliser les curés des campagnes autour de la question des églises en milieu dans l’espace urbain, l’Archevêché s’emploie à montrer l’interdépendance de ces deux mondes apparemment opposés. Loin d’être à l’extérieur des problématiques de la ville, les paroisses rurales du diocèse seraient directement concernées par la construction de nouveaux lieux de culte car un grand nombre de nouveaux urbains ont reçu une éducation et une formation chrétienne auprès de curés de villages : « Malgré le paradoxe apparent, c'est nous, curés de campagne, qui formons les paroissiens des villes dans une large proportion. C'est là notre dignité, mais aussi notre lourde responsabilité : songeons de temps en temps que ce prolétariat déchristianisé des grandes villes, c'est nous etnos prédécesseurs qui l'avons catéchisé et préparé à la vie ». Il y aurait par conséquent une solidarité humaine et spirituelle entre villes et campagnes : le phénomène d’exode rural est utilisé par l’autorité diocésaine comme un levier pour justifier la nécessaire solidarité financière qui doit l’accompagner. Toute paroisse de campagne possèderait ainsi « une espèce d'annexe dans la banlieue des grandes villes », le terme d’ « annexe » renvoyant par ailleurs au vocabulaire des nouveaux centres religieux1277.

Si les catholiques ruraux ne construisent pas une église matérielle, ils peuvent donc utilement contribuer par leur effort financier à l’édification de leurs frères des banlieues de la grande ville, ici pris dans un double sens. À ce titre, l’échelon de l’archiprêtré est considéré comme pertinent par l’ODPN pour susciter une cohérence et espérer une unanimité chez l’ensemble des paroisses rurales. Homme de terrain, l’archiprêtre est également le relais intermédiaire entre le curé et l’autorité diocésaine. Les réunions d’archiprêtres sont des lieux régulièrement investis par les responsables de l’Office diocésain pour diffuser leurs directives et relancer la dynamique de financement. L’ODPN fait de ce clergé la cheville ouvrière de la mobilisation. Mgr Mazioux en décrit les modalités concrètes particulièrement lourdes : « Pratiquement, comment l’archiprêtre peut-il soutenir cet effort diocésain ? Voir où en sont les paroisses du canton ; faire un tour de prédications dans chacune des paroisses marraines ; nécessité de constituer une équipe cantonale de laïcs qualifiés susceptible de collaborer avec l’équipe laïque de la paroisse qui bâtit ; assister aux réunions des filleules (première pierre, inauguration de l’église…) »1278. Ce travail considérable demandé aux archiprêtres semble ne pas passer totalement dans les faits et, comme pour la « pastorale d’ensemble » qui se met en place, les recommandations de l’Office diocésain se heurtent à des résistances dont témoignent des rapports de l’ODPN1279. L’Archevêché doit dès lors multiplier les différents supports de mobilisation pour espérer toucher le plus grand nombre.

Notes
1273.

La circulaire n°5 intitulée « ODPN. Fichier des engagements » datée du 12 janvier 1961 est la plus ancienne des circulaires ODPN conservées aux Archives diocésaines. La circulaire n°23, « Circulaire aux curés-bâtisseurs » a été rédigée le 28 septembre 1962 (AAL, fonds Gerlier, 11.II.31).

1274.

« L’effort en faveur des paroisses nouvelles, par le cardinal Gerlier », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 22 juin 1962.

1275.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, « Financement des églises nouvelles. Moyens pratiques proposés dans une ligne aussi pastorale que possible » par Mgr Joannès Mazioux, 17 novembre 1960.

1276.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, lettre du curé de Saint-Joseph des Brotteaux au cardinal Gerlier, 16 mai 1961.

1277.

« Réflexions pastorales à propos des parrainages de nouvelles églises », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 28 février 1958.

1278.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, lettre de Mgr Joannès Mazioux aux archiprêtres du diocèse, 13 mars 1962.

1279.

Par exemple : AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, rapport général ODPN de Mgr Joannès Mazioux, 9 avril 1962.