Située dans l’actuelle rue Pierre-Baratin, l’église du quartier, dont le vocable Saint-Julien est attesté au XVIIème siècle, est le seul édifice de culte de Villeurbanne durant les périodes médiévale et moderne. Ce n’est que dans le premier tiers du XIXème siècle, avec les débuts de l’industrialisation, que se pose la question de nouveaux lieux de culte1315. En particulier, le quartier des Charpennes, au contact direct de Lyon, est alors en voie de peuplement rapide. Cette situation explique à partir de 1827 la volonté du maire Monavon soutenu par une partie de la population villeurbannaise de construire une mairie et une nouvelle église place du Plâtre (actuelle place Grandclément) : il s’agit de donner une plus forte assise politique et symbolique aux quartiers occidentaux de Villeurbanne. La mairie jusque là située rue Cornavent (actuelle rue Pierre-Baratin) est transférée en 18311316. Une chapelle existe aux Charpennes (400 places) mais sa capacité est devenue insuffisante. Le projet de construction d’un nouveau lieu de culte, ajouté à l’affermage des terrains communaux pour financer ces grands travaux, provoque la colère des habitants de Cusset. Cette opposition s’organise autour d’un ancien notaire, Jean-Baptiste Gorgeret, lui-même domicilié à Cusset dans une maison du XVIIIème siècle située en face de l’église Saint-Julien. Une bataille de chiffres s’engage entre les deux clans Monavon et Gorgeret à propos de la répartition et de l’équilibre de la population sur le territoire de Villeurbanne. En 1835, le Conseil de fabrique accepte finalement la construction d’une nouvelle église (achevée en 1854 seulement) qui reçoit le vocable de Notre-Dame-de-la-Nativité. Deux ans plus tard, le même Conseil de fabrique décide le transfert vers la nouvelle église de tout le mobilier liturgique, mais la population de Cusset s’oppose au départ des cloches. Des femmes organisent une manifestation et obtiennent satisfaction1317. Alain Corbin a en effet magistralement montré combien le déplacement du « centre et des bornes » d’un espace communal à l’occasion d’une descente de cloches et du transfert d’une église a pu constituer un traumatisme collectif pour certaines communautés1318. Cet épisode, loin d’être anecdotique, montre par conséquent que Cusset est un, sinon le lieu symbolique de l’identité villeurbannaise, jusqu’à la création du quartier des Gratte-Ciel au tournant des années 1920-1930. Bernard Meuret, qui analyse l’histoire de Villeurbanne sous l’angle de la « différenciation » face aux tentatives annexionnistes et assimilatrices de Lyon, voit dans cet épisode un des moments fondateurs d’une revendication de l’autonomie villeurbannaise face à sa rivale. En s’opposant au transfert des cloches de Saint-Julien, en protestant à plusieurs reprises au tournant du siècle contre les dépenses effectuées au profit de la partie industrialisée de la commune (sa partie occidentale), les habitants de Cusset - et en particulier ses notables présents au conseil municipal - auraient freiné une absorption qui paraissait inéluctable : « On peut percevoir combien le vieux bourg [Cusset], à l’autre extrémité de la commune et depuis longtemps privé de rôle central, servait de terre de repli à tous ceux qui, tout en acceptant l’état économique nouveau et même en le facilitant, voulaient maîtriser et contrôler l’évolution en cours »1319.
Bernard Meuret, Croix-Luizet…, op. cit., p. 28 ; Bernard Jadot, Villeurbanne mon village de A à Z..., op. cit., p. 35.
La municipalité de Villeurbanne est à nouveau transférée en 1934 lors de la construction de l’Hôtel de Ville dans le quartier des Gratte-Ciel.
Bernard Meuret, Le socialisme municipal…, op. cit., p. 18-19 ; Albert Montfouilloux, Le plat pays Lyonnais-Dauphinois de la rive gauche du Rhône : Villeurbanne, Chaussagne, Béchevelin, Champagneux, La Guillotière, La Prairie, Les Brotteaux, Lyon, Imprimerie Express, 1929, chap. 22.
Cet épisode villeurbannais correspond bien à l’analyse qu’en donne l’historien, notamment dans le cas de la querelle de clocher intracommunale : « L’enlèvement de cloche, de ce fait, isole les membres de la communauté dans la défense d’un instrument qui, par tradition, rassurait contre le risque, fédérait, au besoin, les revendications, proclamait les émotions populaires […]. Dans la trame de ces querelles de clochers transparaît un mal-être collectif né de la discordance entre l’identité territoriale, persistante, et la configuration d’un espace administratif, modelé en fonction d’autres repères qui déplacent le centre et les bornes. Le nouveau dessin qui déracine, ou plutôt désoriente, qui modifie la géographie de la prière et du recours, change les itinéraires quotidiens et, plus encore, dominicaux » (Alain Corbin, Les cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIX ème siècle, Paris, Albin Michel, 1994, citations p. 55 et 61).
Bernard Meuret, Le socialisme municipal…, op. cit., p. 44.