Ce qui apparaît nettement dans le cas de Cusset est la diversité des solutions disponibles pour faire face à un accroissement du nombre réel et potentiel de fidèles sur la paroisse. Autrement dit, le choix de la construction d’une nouvelle église ne s’est pas imposé d’emblée. Il apparaît à la fin des années 1950 comme une solution parmi d’autres.
En 1956, au moment où l’inondation provoquée par les intempéries aurait pu être l’occasion voire le prétexte d’un projet de nouvelle église, le père Loison n’a pas arrêté de décision : « Notre église n'est pas favorable aux cérémonies liturgiques à cause de sa disposition ; et à certaines circonstances, elle est trop petite. Quelle solution prendre pour résoudre ces difficultés ? La remplacer par une nouvelle construction ? L'agrandir en utilisant le terrain de derrière ? Nous cherchons, nous vous mettons au courant des solutions possibles et nous accueillerons vos suggestions »1369. D’autant que ces solutions ne manquent pas. Si le rez-de-chaussée de la cure offre un confort très relatif et ne peut être envisagé que comme solution provisoire, les fidèles du quartier ont coutume d’utiliser le parc tout proche des Sœurs de Saint-Paul, au 81 de la rue Pierre-Voyant1370. Ces cérémonies en plein air, organisées occasionnellement pour les rassemblements liturgiques importants, ont cependant l’inconvénient d’être soumises aux aléas météorologiques. Par ailleurs, une proposition faite par des paroissiens d’aménager des horaires des messes dominicales a été acceptée et mise en œuvre pendant l’hiver 1958. L’idée est de redistribuer la répartition des offices dans la journée de façon à répondre plus adéquatement à la demande des familles. Il s’agit d’accueillir davantage de pratiquants en évitant les églises à moitié vides sur des horaires peu plébiscités. Dans son analyse des résultats du recensement religieux, Jean Labbens avait déjà suggéré cette solution, avant de l’abandonner aussitôt au profit de la construction de nouvelles églises1371. Il semble que l’expérience n’ait pas donné satisfaction : des paroissiens, parmi lesquels sans doute ceux qui sont implantés de longue date sur la paroisse, obtiennent du curé le rétablissement des horaires traditionnels1372.
Reste alors une dernière solution - en dehors du projet de nouvelle église - envisagée par le curé Loison à la fin des années 1950 : l’agrandissement de l’église existante. Si en 1956, on l’a dit, rien n’est encore décidé, le curé semble privilégier cette option à l’été 1957. D’autant qu’un premier projet d’extension de l’église Saint-Julien avait été envisagé quelques années avant son arrivée et une bande de terrain située derrière l’édifice avait été achetée par une société civile en vue de cet agrandissement. Il s’agit à ses yeux de finir le travail amorcé par ses prédécesseurs, dans une logique de la continuité. « Vu l'accroissement de la population de Cusset », conclut l’abbé Loison, « il est temps de reprendre ce projet et de prévoir sa réalisation effective, pour le bien religieux du quartier »1373.
Avant tout contact avec l’Archevêché, l’abbé Loison, qui semble agir seul dans ces démarches, préfère d’abord contacter des architectes pour se faire une opinion sur les modalités possibles de cette extension. Or, les trois experts consultés concluent unanimement à une démolition nécessaire de l’église, en raison du prolongement programmé du cours Émile-Zola : ce remodelage du quartier ne permettra pas un agrandissement suffisant du lieu de culte en raison des contraintes d’alignement1374. Le curé se tourne alors vers la mairie de Villeurbanne, car la commune est propriétaire des murs et du terrain sur lequel est construite l’église. Le maire socialiste Étienne Gagnaire donne son accord de principe en septembre 1957 pour la construction d’une nouvelle église après démolition de l’ancienne avec, chose importante, la cession gratuite du terrain par la ville de Villeurbanne, « sous réserve de l'approbation de l'Autorité supérieure ». La mairie socialiste est donc très conciliante à l’égard de l’abbé Loison.
Ce n’est par conséquent que dans un troisième temps que l’évêque auxiliaire Mgr Dupuy est contacté. Celui-ci, qui crée au même moment l’ODPN (octobre 1957), accepte ce projet qui s’articule autour de trois chantiers : démolition de la première église ; reconstruction d’une église dont les dimensions s’approcheraient le plus près possible des contraintes d’alignement ; aménagement enfin d’un parking souterrain sous le nouvel édifice, qui témoigne d’une prise en considération d’une démocratisation de l’automobile. Le problème de la distance au lieu de culte, essentiel dans l’argumentation canonique d’une nouvelle église, est en quelque sorte résolu par les possibilités de stationnement. Le site du lieu de culte a le double avantage, aux yeux du curé Loison, d’être au cœur de la vie du quartier tout en restant un « haut- lieu », aux deux sens du terme : « L'emplacement actuel de l'église paraît bien indiqué, à l'angle sud du cours Émile-Zola et de la rue Pierre-Baratin, voies très passagères, et au sommet de la butte qui domine le quartier »1375.
Or, alors que ce projet emporte l’adhésion du « curé-bâtisseur », de l’Archevêché et des élus municipaux, il est remis en cause en avril 1959 par les services de l’Urbanisme de l’État. En souhaitant éclairer l’approche un peu rapide de l’autorité diocésaine, la Direction départementale du Ministère de la Construction va dans les faits se substituer à elle et son expertise va tenir lieu désormais de ligne de conduite dans le projet d’une nouvelle église.
Le directeur de l’antenne rhodanienne du Ministère, J. Foch, avait en effet été contacté par Mgr Dupuy pour la mise en œuvre du projet de reconstruction. Mais l’urbaniste tient un discours qui, outre des considérations attendues sur le coût et la sécurité du bâtiment, se déploie selon deux logiques : d’une part, la prise en compte absolue du caractère irréductiblement urbain de l’espace dans lequel doit s’insérer le nouveau lieu de culte, en condamnant tout projet qui serait une reproduction du modèle de l’église rurale ; d’autre part, le choix d’une localisation qui renvoie à la sacralité du lieu, doublée d’une emprise au sol conséquente qui témoigne de la place que doit occuper l’Église dans la vie du quartier : « À la suite de notre conversation récente [du 9 avril 1959], j'ai réfléchi au problème de la reconstruction de l'église de Cusset. Je suis de plus en plus convaincu que la solution qui consisterait à reconstruire sur place cet édifice ne paraît pas être satisfaisante ; il est indiscutable que l'église actuelle est insuffisante, il est donc nécessaire de la remplacer. Or, il ne s'agit plus de desservir un quartier de banlieue à faible densité, mais bien un secteur urbain à fort peuplement. Il est donc nécessaire de prévoir non seulement un édifice plus important, mais une organisation adaptée à la vie d'un quartier moderne. Ne craignez-vous pas que la solution que vous avez projetée de donner au problème du parking soitinsuffisante ? En effet, un stationnement souterrain est fort coûteux et on a tendance à en réduire la surface ; comment d'ailleurs, le clergé desservant résisterait-il à la tentation d'utiliser un tel espace couvert à d'autres fins ? Observons enfin que la construction d'une église plus grande sur ce point amènerait son porche très près de l'alignement, pour ne pas dire sur la limite même. On imagine alors dans quelles conditions s'effectuerait la sortie des offices. Il y aurait là à la fois un risque à la sécurité et une sorte d'indignité de l'édifice et de sa fonction. Je pense donc qu'il faut rechercher une autre solution supposant l'utilisation d'un espace très nettement plus important »1376. Cet avis est entendu par les porteurs du projet qui abandonnent l’idée de la démolition de la vieille église et se mettent en quête d’un terrain disponible qui réponde à ces recommandations.
Ce n’est donc qu’au début des années 1960, et à la suite des conseils donnés par les autorités civiles, que la décision de construire une église nouvelle sur un emplacement nouveau sera arrêtée et prendra alors son caractère d’évidence. La photographie ci-dessus (Fig. 16) prouve que les critères de l’urbaniste Foch ont été respectés : emprise au sol conséquente, respect des contraintes d’alignement sur le cours Émile-Zola au second plan. La diversité de l’habitat (pavillons de l’entre-deux-guerres, immeubles d’une dizaine d’étages datant des années 1950 ou 1960) et la prégnance de la voie routière (double chaussée du cours Émile-Zola, multiplication des enseignes publicitaires à destination des automobilistes rentrant dans Villeurbanne) renforcent le caractère hétéroclite de ce paysage urbain de confins d’agglomération, caractéristique d’une « entrée de ville ».
APSJC, Ba3, cahier d’annonces, 2 septembre 1956.
APSJC, Ba3, cahier d’annonces, 13 mai 1956.
Voir chapitre 6.
APSJC, Ba3, cahier d’annonces, 12 janvier 1958.
APSJC, Ca2, « mémoire remis à Mgr Dupuy » par le curé Loison, 1957.
Idem.
Idem.
APSJC, Ca2, lettre de J. Foch à Mgr Claude Dupuy, 22 avril 1959.
Source : cliché communiqué par Jean-Paul Masson.