La première mention dans les sources d’un appel aux dons pour la nouvelle église date d’avril 1961. Cet épisode intervient peu après que l’Association diocésaine déclare vouloir se porter acquéreur d’une parcelle que possède la ville de Villeurbanne en bordure du cours Émile-Zola et dont l’achat permettrait, en complément d’une autre déjà acquise, « de satisfaire aux exigences imposées par le MRU pour l’édification d’un lieu de culte répondant aux besoins de ce quartier »1387. Alors même qu’aucun acte notarié n’est encore signé et que l’ODPN n’a pas encore envoyé ses circulaires, la recette des séances au cinéma « Le Dauphin » organisées au printemps 1961 est conservée « en vue de la construction de la future église »1388. En avril 1961 également, pour la première fois, le père Flochon accompagné d’un petit groupe de paroissiens se rend dans la paroisse des Sauvages (Rhône), l’une des « marraines » de Cusset1389. Le parrainage a donc été mis en place par l’ODPN dès 1961, alors que le projet est à peine esquissé. La décision de constituer à l’avance une « cagnotte » en vue du financement programmé mais encore mal défini de la nouvelle église appelle plusieurs remarques.
Tout d’abord, la mise en place de cette réserve de liquidités se heurte à des résistances au sein même de la paroisse de Saint-Julien. Certains fidèles jugent cette démarche prématurée, dans la mesure où la destination de cet argent n’est pas encore identifiée. La lettre d’une paroissienne est particulièrement révélatrice de ces tensions. Cette habitante du cours Émile-Zola fait état de « bruits assez pessimistes » qui circulent dans le quartier : tout une série de litiges - avec l’architecte, avec des propriétaires voisins à propos d’un droit de passage - propres à faire échouer le projet, seraient cachés par l’association qui continue par ailleurs à multiplier ses appels aux dons. Selon la rumeur également, aucun acte de vente cédant le terrain à la paroisse n’aurait en réalité été signé, ce qui compromettrait de fait l’obtention d’un permis de construire. Enfin, l’ensemble du dossier serait de toute façon mis en cause par la volonté du maire de Villeurbanne de réquisitionner des terrains pour construire des HLM. Probablement désignée comme porte-parole d’une partie des habitants du quartier, cette paroissienne demande des éclaircissements sur la légitimité d’un appel aux dons : « Tout cela n'est évidemment guère rassurant et pour être sûre de la vérité j'ai pensé que vous étiez le mieux placé pour me renseigner […]. 1° Lorsqu'il y a vente ou kermesse " pour les catéchismes et la future église ", quelle est la part qui va aux catéchismes et celle qui va à la construction de la future église ? 2° Au cas où il y aurait impossibilité matérielle et légale de construire la future église, où iront les fonds déjà collectés ? »1390.
C’est donc à une exigence de transparence qu’appelle explicitement une partie des habitants. Parce qu’ils bénéficient d’une proximité immédiate avec les responsables de l’association et avec l’espace à propos duquel se déroulent les négociations, les catholiques de Cusset revendiquent un droit de regard sur la gestion financière du projet. Il s’agit en somme de savoir si les souscripteurs pourront « récupérer leur mise » en cas d’échec, car c’est bien de mise dont il est question dans les propos de cette paroissienne : l’argent donné est un placement, dont on attend en échange un retour sur investissement, sous la forme d’un bien symbolique (un nouveau lieu de culte). Cette habitante n’est pas un cas isolé. Au début de l’année 1962, plusieurs souscripteurs qui s’étaient engagés à verser régulièrement un don pour la nouvelle église avaient informé l’association de leur désistement1391. Certains membres du Comité de l’association, dont le trésorier Henri Prost, démissionnent, le tout dans une certaine confusion1392.
Dans le même registre, le problème se pose également de la légitimité d’un placement de l’argent récolté. La même paroissienne du cours Émile-Zola pose ouvertement la question : « Ces fonds sont-ils actuellement placés de façon à capitaliser les intérêts tous les ans ? ». Du côté de l’Association paroissiale, faire fructifier le capital recueilli fait débat, même si un consensus s’amorce au cours de l’année 1962, au fur et à mesure de la prise de conscience des besoins. En octobre, le problème est discuté lors d’une séance du Bureau. La décision de placer l’argent récolté a vraisemblablement suscité des réserves ou tout au moins un étonnement chez certains membres car le secrétaire de séance croit utile de noter dans le compte-rendu : « cet argent est placé pour ne pas dévaluer »1393. La justification donnée n’est donc pas celle d’un accroissement des ressources financières de l’Association paroissiale, mais celle plus consensuelle du maintien de la valeur du capital sur la durée. Deux mois plus tard, les mêmes membres du Bureau ont définitivement entériné l’idée car il est débattu du « choix sur les modalités de placement en vue d'un meilleur rendement », lequel est donc jugé compatible avec les statuts de l’association paroissiale qui « s’interdit toute activité lucrative »1394. L’encaisse est répartie entre un compte à l’Archevêché et un autre aux Chèques postaux1395. Le placement des « offrandes » de Cusset et des paroisses marraines s’avère en tout cas bénéfique en termes de comptabilité, puisque le total des intérêts cumulés entre 1966 et 1973 s’élève à plus de 40 000 francs1396. Est-ce pour autant suffisant pour payer la construction de l’église ?
APSJC, Ca6, lettre de É. Garnier (agissant pour le compte de l’Association diocésaine de Lyon) au maire de Villeurbanne Étienne Gagnaire, 10 février 1961.
APSJC, Ba3, cahier d’annonces du dimanche 23 avril 1961 ; Voir aussi APSJC, Ca6, lettre de H. Jaillard (ODPN) à l’Association paroissiale, 25 avril 1961.
APSJC, Ba3, cahier d’annonces du dimanche 30 avril 1961.
APSJC, Ca7, lettre de Madame Duchaire à Gabriel Maucuer, 29 mai 1963.
Un paroissien de la rue de la Liberté : « Dès maintenant nous suspendons notre engagement pour la construction de la nouvelle église. Nous avions promis à M. le curé de verser les engagements de 61 et 62 ce mois-ci mais nous ne le ferons pas » ; le même écrit en mai 1962 : « Suite à votre circulaire, je vous confirme de ne pas compter sur nous pour votre kermesse ». ; une paroissienne du cours Émile-Zola : « Veuillez avoir l'obligeance de bien vouloir suspendre l'engagement de 10 NF que j'avais pris pour la Nouvelle Église » (APSJC, Ca7, lettres de janvier 1962, du 8 mai 1962 et du 5 février 1962).
Au président de l’association Charles Gonnet qui lui demande s’il n’est pas souffrant et s’il maintient sa candidature lors du renouvellement imminent du Bureau, Victor Bertholon répond qu’il a déjà envoyé sa lettre de démission au curé Loison plus de deux mois auparavant (APSJC, Ca7, lettres des 12, 16 et 20 mars 1962).
APSJC, Cb1, compte-rendu du comité d’administration, 2 octobre 1962.
APSJC, statuts de l’Association paroissiale de Saint-Julien-de-Cusset, article 2.
APSJC, Cb1, compte-rendu du comité d’administration, 17 décembre 1962.
APSJC, Ca3, « graphique des offrandes reçues pour la future église de Saint-Julien-de-Cusset , 1961-1972 » (le document mentionne des données pour l’année 1973).