3. Le recours aux emprunts

Malgré ces bons résultats, l’Association paroissiale est dans l’incapacité de financer la construction de la nouvelle église sur la seule base des quêtes, souscriptions et dons, y compris en y ajoutant ceux des paroisses marraines. C’est l’Office diocésain qui propose à l’Association paroissiale en juin 1965 de recourir à l’emprunt. Tel qu’il se présente, celui-ci comporte deux volets distincts, bien que l’ODPN constitue le dossier dans les deux cas : d’une part, l’Association souscrit un emprunt sans intérêt à l’Office diocésain ; d’autre part, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) complète le capital manquant, à échéance de quinze ans et au taux de 5 % d’intérêts1421. Cette formule est adoptée mais la question des prêts ne s’est pas réglée sans difficultés ni quiproquos.

Le prêt met par exemple en évidence la question centrale du temps. En juin 1965, l’Office diocésain estime les négociations suffisamment avancées à propos des terrains pour presser les paroissiens de Cusset de formuler leur demande de prêts. La date du 15 août est présentée comme un ultimatum, au-delà duquel toute demande de recours à l’emprunt ne sera plus entendue1422. Pour l’Association paroissiale, l’appel aux prêts est une évidence, mais le temps des grandes vacances n’a pas permis de réunir les membres du Comité et d’avancer de façon suffisante sur ce dossier1423. D’autant que les représentants de l’association de Cusset, contrairement à l’équipe permanente de l’ODPN, se voient ponctuellement, une à deux heures seulement par semaine en moyenne, et ne peuvent consacrer qu’un temps limité à l’association. Il y a donc des différences de rythme et d’appréciation de la durée dans la gestion du projet entre les paroissiens de Cusset et l’équipe de Mgr Mazioux, ces dissonances ne facilitant pas la coordination. D’autre part, le retard pris dans l’avancée du projet ne justifie pas, aux yeux de Gabriel Maucuer, un plan de financement rigoureux dans l’immédiat qui obligerait à commencer à rembourser un prêt, alors que rien n’est encore définitivement arrêté avec l’architecte1424.

De façon prévisible, les discussions sur le montant des emprunts conduisent également à des tensions entre l’ODPN et l’Association paroissiale. En septembre 1965, la demande de prêt envoyé à l’Office diocésain s’élève à 385 000 francs (150 000 francs demandés à l’ODPN et 235 000 francs sous la forme d’un crédit auprès de la CDC)1425 et ne semble pas avoir donné lieu à une réaction de l’Archevêché. Quelques mois plus tard, l’Association paroissiale est même sûre de pouvoir disposer d’un prêt total de 450 000 francs (150 000 francs du diocèse sans intérêt et 300 000 francs de la CDC avec intérêts)1426. C’est pourtant 200 000 francs de plus que le montant total des crédits (250 000 francs) qui seront en réalité alloués aux paroissiens de Cusset (prêt de 100 000 francs sans intérêt sur cinq ans par l’ODPN et prêt de 150 000 francs à 5,70 % sur quinze ans auprès de la CDC)1427. Promesses non tenues d’un côté contre explications mal interprétées de l’autre : les critiques que s’adressent les deux partenaires au printemps 1966 sont vives1428, mais elles n’altèrent pas durablement leurs relations, sans doute parce que l’Association paroissiale est de toute façon prisonnière des choix financiers de l’ODPN. Il est à remarquer enfin que ce recours à l’emprunt n’est pas ouvertement annoncé aux paroissiens, vraisemblablement pour ne pas stopper les dons des fidèles, quand bien même certains d’entre eux exigent une plus grande transparence dans la gestion financière de la construction. Le père Loison raye ainsi de son cahier d’annonces les formulations renvoyant au crédit et à son montant1429.

Pourtant, le recours à l’emprunt s’avère lui aussi insuffisant. Le total général des sommes réglées au début de l’année 1972 s’élève à plus de 835 000 francs. Bien que ce chiffre prenne en compte le remboursement des intérêts de l’emprunt auprès de la CDC, il est cependant très loin du budget initialement prévu par l’ODPN et l’Association paroissiale (500 000 francs). Or, à cette date, l’équilibre financier n’est pas trouvé : le paiement des entreprises pour la construction elle-même, les honoraires d’architectes, les dépenses annexes (secrétariat) et surtout la fin du remboursement des emprunts1430 exigent des liquidités supplémentaires, à hauteur de 278 000 francs jusqu’en 19841431. Malgré l’aide des paroisses marraines qui ne fléchit pas (15 500 francs encore pour l’année 19711432), la situation est jugée critique au début des années 1970. Pour faire face aux échéances, l’Association paroissiale décide de vendre la salle de cinéma « Le Dauphin » qui n’est plus utilisée, ainsi que son terrain. Dans un quartier en manque d’espaces libres, cette mise sur le marché ne tarde pas à trouver des candidats. La direction des PTT se dit intéressée et l’option qu’elle pose en tant qu’organisme public a pour effet de retarder les négociations avec les autres acheteurs potentiels. En 1974, deux ans après l’annonce de la vente, le bien est cédé à un « expert immobilier » pour 360 000 francs1433.

C’est donc semble-t-il la logique financière qui l’a emporté. Ce capital permet de mettre fin au parrainage des paroisses du Beaujolais après douze ans de soutien1434. La vente dégage même un surplus. Une partie est conservée sur le compte de la paroisse pour les dépenses d’entretien et d’aménagement des abords des années suivantes, le reste est « placé à l’Office diocésain »1435. C’est donc grâce à la liquidation d’une partie du patrimoine de la paroisse que la nouvelle église a pu être entièrement financée. Le cas de Cusset est en cela conforme au schéma observé à l’échelle du diocèse1436.

Notes
1421.

APSJC, Ca6, lettre de H. Gaillard à Gabriel Maucuer, 30 juin 1965.

1422.

« N'ayant pas reçu de réponse de votre part, j'ai conclu que l'Association paroissiale peut réaliser son programme de construction sans avoir besoin d'un tel emprunt » (APSJC, Ca6, lettre de H. Gaillard à Gabriel Maucuer, 24 septembre 1965).

1423.

Une seule réunion avec « discussion sur les possibilités de prêts » a pu se tenir, le 9 juillet (APSJC,Cb1, compte-rendu du comité d’administration, 9 juillet 1965).

1424.

« Nous avons bien reçu vos lettres des 30 juin et 24 septembre 1965. Il n'est nullement dans les possibilités de notre Association paroissiale de réaliser son programme de construction sans recourir à l'emprunt. Compte tenu de l'avancement [sic] de notre projet, nous ne prévoyons pas le commencement de nos travaux avant fin 1966 ou début 1967. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas estimé nécessaire de contracter un emprunt trop prématurément » (APSJC, Ca6, lettre de Gabriel Maucuer à H. Gaillard, probablement septembre 1965).

1425.

APSJC, Ca6, lettre de Gabriel Maucuer à H. Jaillard, probablement septembre 1965.

1426.

APSJC, Ca7, compte-rendu de l’assemblée générale de l’Association paroissiale, 11 mars 1966.

1427.

APSJC, Ca6, lettre de H. Jaillard à Gabriel Maucuer, 11 mai 1966 ; APSJC, Ca6, 18 janvier 1969.

1428.

« De toute façon, le Comité estime que votre proposition de mai 1966 est insuffisante. Il avait toujours été entendu que nous pourrions compter sur une aide pouvant atteindre les deux tiers de la valeur totale. Or vous ne nous proposez même pas la moitié de cette valeur. Par contre, vous nous demandez de réunir pendant la seule durée des travaux une somme égale au triple de celle que nous collectons normalement pendant le même temps. Cela nous paraît impossible, d'autant plus que notre paroisse est située dans une zone peuplée de familles aux moyens très modestes » (APSJC, Ca6, lettre de Gabriel Maucuer à l’ODPN, 15 avril 1967) ; « Il n'a jamais été dit que l'ODPN vous fournirait en prêts les deux tiers du coût total. Je ne sais d'où peut venir cette erreur. Peut-être d'une fausse interprétation de ce que nous avons répété souvent : un projet ne peut raisonnablement être engagé que lorsque le promoteur possède au moins le tiers de la dépense (ce n'est pas tout à fait la même chose !) » (APSJC, Ca6, lettre de H. Jaillard à Gabriel Maucuer, 20 avril 1967).

1429.

« L'attente prolongée a permis au Comité paroissial de constituer une avance de 28 millions d'anciens francs, grâce aux dons et aux fêtes annuelles, grâce aussi aux offrandes des quinze paroisses marraines. Maintenant que la construction commence, il faudra en assurer le financement qui se montera à environ 75 millions d'AF. Un emprunt du diocèse nous aidera en partie qui dépassera de beaucoup les sommes recueillies. Pour ce Noël, le Comité projette de monter une opération » (APSJC, Ba3, cahier d’annonces du dimanche 19 novembre 1967).

1430.

APSJC, Cb1, compte-rendu du comité d’administration, 11 octobre 1971.

1431.

Le calcul s’est appuyé sur les chiffres donnés par une lettre du Comité destinée aux membres de l’Association paroissiale le 14 novembre 1971 (APSJC, Ca3) affirmant : « La situation est difficile pour ceux qui s'y intéressent de près: nous l'avons exposée à l'AG du 27 octobre 1971 : 1° Il reste à payer: 45 000 francs en 1972, 66 000 francs en 1973-1974, 32 000 francs en 1975, 15 000 francs jusqu'en 1984 [il s’agit vraisemblablement d’un montant annuel]. Il faut les trouver ».

1432.

APSJC, Ca3, lettre du Comité destiné aux membres de l’Association paroissiale, 14 novembre 1971.

1433.

APSJC, Ca3, lettre de l'Association paroissiale aux paroissiens des églises marraines, 1973. Sur ce terrain est construit l’ensemble de résidences dit « Les Terrasses de Saint-Julien » (Jean-Paul Masson, « Association paroissiale d’éducation populaire », op. cit.).

1434.

« Nous sommes donc dans une situation nouvelle : il nous est possible désormais de faire face, sans votre aide, à nos échéances. Le moment est donc venu de vous libérer de votre engagement vis-à-vis de nous, et de vous dire très fort notre reconnaissance » (APSJC, Ca3, lettre de l'Association paroissiale aux paroissiens des églises marraines, 1973).

1435.

APSJC, Cb1, compte-rendu du comité d’administration, 30 mai 1974.

1436.

Voir chapitre 12.