2. Représenter la communauté au nom de la compétence

Il faut approfondir quelque peu l’analyse pour éviter tout contresens. Les membres du Bureau sont certes des représentants de la frange la plus aisée de la population de Cusset. Mais il serait caricatural de faire du critère de richesse le seul motif qui ait présidé à la constitution du Comité. Les membres du Bureau sont d’abord des paroissiens connus du curé, pratiquants réguliers et volontaires pour ce type de projet. D’autre part, la présence massive d’ingénieurs dans le Comité n’est sans doute pas étrangère à la nature du projet lui-même : leurs compétences, en particulier techniques, sont les bienvenues pour la mise en œuvre et le suivi du chantier. Elles peuvent en tout cas faciliter le dialogue lors de l’élaboration du projet, laquelle appelle une culture technique que les divers interlocuteurs partagent de fait. Ces compétences sont par exemple abondamment utilisées pour critiquer les devis des entreprises de BTP ou la sélection qu’opèrent les architectes dans le choix des artisans1465. Le Bureau est également très vigilant sur les malfaçons qui n’ont pas manqué sur le chantier et n’hésite pas par exemple à donner un avis technique sur le choix des procédés1466. Le choix de l’expertise a donc sans doute joué dans la composition, sinon de l’Association paroissiale, au moins de son Bureau, mais pour des raisons pratiques qui tiennent à la construction elle-même. Pour ses membres, c’est même au nom de la compétence que le Comité peut légitimement représenter les intérêts de la communauté et se porter garant du service rendu. L’Association paroissiale écrit ainsi aux architectes en décembre 1962 qu’elle « regrette qu’aucun rendez-vous n’ait été pris de façon à discuter du plan et de permettre le contact humain nécessaire à tout travailfructueux en commun. En effet, cette église doit être notre église et comme nous représentons dans cette tâche précise la communauté [c’est nous qui soulignons], nous devons participer à son élaboration et étudier les moindres détails en accord avec vous »1467. Dans le même ordre d’idées, les quatre membres du Bureau qui se rendent chez les architectes en décembre 1964 « espèrent emporter des copies de plusieurs projets de façon à en débattre avec tout le Comité »1468.

D’autre part, le contexte sociologique de Cusset est également à prendre en compte. Le quartier est majoritairement ouvrier, mais la commune de Villeurbanne est alors soumise à un mouvement de désindustrialisation progressive1469. Le quartier de Cusset n’échappe pas à cette tendance : plusieurs usines de mécanique et de métallurgie du quartier sont transférées vers Caluire ou Meyzieux entre 1963 et 19741470. Dans le même temps, la substitution des banques privées à l’aide publique prend de l’ampleur, réservant aux couches sociales réputées solvables les nouveaux programmes immobiliers1471. La composition sociologique du Comité est donc à l’image des mutations économiques à l’œuvre dans l’est lyonnais. Jacques Loison est conscient de ces changements dans le quartier. Dans les réponses qu’il donne au questionnaire envoyé par l’ODPN, il écrit à propos de la population du quartier : « Population bourgeoise : pourcentage assez faible, tendant à augmenter avec les nouvelles constructions. 15 à 20 % peut-être !!! »1472. Enfin, la volonté du Comité de mobiliser l’ensemble d’un quartier - et non seulement la communauté catholique - montre que l’Association paroissiale ne veut pas s’en tenir à un petit groupe d’experts et de bénéficiaires. Et la recherche de financement n’explique pas tout. Au moment où prend forme le projet, le président Maucuer souhaite un élargissement du Comité1473. Le projet de la nouvelle église semble, sinon répondre à une attente, au moins susciter un intérêt qui dépasse le cercle des pratiquants du quartier : le chiffre des 840 familles qui ont fait un don à l’Association paroissiale à Noël 1967 est supérieur à l’estimation donnée au début des années 1960 par le curé Loison sur le nombre de catholiques assidus à la messe dominicale. Cependant, il est mal aisé de connaître précisément l’intérêt que porte la population locale au chantier de la nouvelle église.

Notes
1465.

« Nous avons examiné la liste des propositions que vous avez arrêtées et nous sommes au regret de vous informer qu'en ce qui concerne certains lots nous ne sommes pas d'accord avec vous. En particulier, nous voulons étudier de plus près les lots suivants : couverture, lot n°3 ; menuiserie, lot n°6 ; serrurerie, lot n°9. Par la présente, nous ne traiterons que du lot "couverture" […]. Le prix de l'entreprise SLAMM n'est peut-être pas aussi fantaisiste qu'on pourrait le penser. Veuillez SVP nous faire parvenir l'offre de cette entreprise pour examen par la commission des travaux de notre comité » (APSJC, Ca6, lettre de Gabriel Maucuer aux architectes Vial, 13 novembre 1967).

1466.

Parmi d’autres exemples, à propos de la vitrerie de la nouvelle église : « Vitrerie-plastique : d'où vient le mal ? À notre avis, il vient de la manière de poser les carreaux, qui est incompatible avec l'importante dilatation du matériau [suit une analyse technique]. Le Comité n'a aucune confiance en ce qui concerne la tenue en place des vitres avec bain de mastic et vous prie de prendre les dispositions qui s'imposent pour que le travail soit effectué dans les règles de l'art. Le fournisseur nous paraît être responsable au même titre que le poseur. De toute façon, nous ne voulons pas être obligés de débourser un sou de plus pour la réparation de cette malfaçon qui nous a déjà valu de sérieux désagréments » (APSJC, Ca6, lettre de Gabriel Maucuer aux architectes Vial, 21 avril 1969).

1467.

APSJC, Ca6, lettre de l’Association paroissiale aux architectes Vial, 17 décembre 1962.

1468.

APSJC, Ca6, compte-rendu de la réunion du comité d’administration, 28 novembre 1964.

1469.

C’est la thèse que défend Marc Bonneville dans son ouvrage déjà cité (Marc Bonneville, Désindustrialisation et rénovation immobilière…, op. cit., p. 18-19). La période au cours de laquelle l’auteur situe cette réorientation des activités, 1963-1974, correspond aux années de construction de la nouvelle église de Cusset.

1470.

Marc Bonneville, Désindustrialisation et rénovation immobilière…, op. cit., carte p. 32.

1471.

Idem, p. 20.

1472.

APSJC, Ca6, fiche de renseignements ODPN complétée à la main, 22 décembre 1961.

1473.

« M. Maucuer propose d'ouvrir nos réunions à d'autres personnes intéressées » (APSJC, Cb1, compte-rendu du comité d’administration, 11 février 1964).