4. Le choix d’autres formes d’investissement militant

Il reste que cette association paroissiale constituée à l’occasion d’un chantier diocésain a servi de propédeutique à plusieurs catholiques du quartier dans l’animation du quartier. Plusieurs militants présents au sein de cette association confessionnelle, à l’image de Jean-Paul Masson, ont par la suite participé à la création d’un centre social particulièrement actif.

Certes, cette « Union de quartier » créée en mai 19711479 n’a pas de lien direct avec l’Association paroissiale. Le centre social s’affiche non confessionnel et l’association ne figure pas parmi celles qui se regroupent au sein de cette Union.

Cependant, plusieurs membres du premier Bureau du centre social sont les épouses des responsables (ou anciens responsables) de l’Association paroissiale : c’est le cas de la secrétaire Madame Prost et de la trésorière adjointe Madame Funfrock1480. D’autre part, le centre social prend en charge dès le début des années 1970 des questions qui avaient déjà été travaillées par les paroissiens de Cusset : l’aménagement d’un parc rue Pierre-Voyant qui n’oublie pas les jeunes adolescents ; la création d’un parking Petite rue Pasteur en face de la nouvelle église ; d’une manière plus générale, la défense d’un cadre de vie et l’animation d’un quartier1481. Surtout : le centre social a été créé à l’initiative de la section locale de l’Union féminine civique et sociale (UFCS), un mouvement fondé en 1925 dans la mouvance du catholicisme social1482. Le centre social apparaît donc comme le lieu revendiqué de l’expression d’une vie locale1483, dans lequel militent activement des catholiques qui, pour certains, ont pris part au projet de construction de la nouvelle église. Au début des années 1970, l’investissement dans une structure déconfessionnalisée apparaît pour une partie d’entre eux comme un choix plus conforme à leurs convictions politiques et religieuses. Ajoutons que certains membres de l’association paroissiale participeront également quelques années plus tard à la mise en place d’un comité de quartier (1979) dans le cadre de l’émergence d’une démocratie participative dans les grandes villes1484.

Si la notion de porte-parole paraît exagérée pour qualifier les membres du Comité de l’Association paroissiale de Cusset, il reste que les membres de ce Bureau revendiquent une légitimité pour représenter la communauté des catholiques du quartier. C’est au nom de leurs compétences et de leur expérience professionnelles qu’ils entendent mener à bien le projet de nouvelle église. Peut-être faudrait-il utiliser ici la notion d’ « habitants compétents » tel que la conçoivent des sociologues et anthropologues de l’urbain depuis quelques années1485. En dehors de toute considération sur la représentativité de l’Association paroissiale, c’est la spécificité des « habitants » qui rendrait légitime leur participation et l’élaboration du projet. En tant qu’ « habitants usagers de la ville », ils apportent leur expérience sous la forme de connaissances empiriques et immédiates. Le risque est de se voir qualifier par les responsables diocésains, ODPN en tête, d’ « experts de l’immédiat » : l’apport de leur compétences d’usagers est indispensable (par exemple pour trouver un terrain), mais cette aide de portée strictement locale justifie dans le même temps leur exclusion des décisions concernant l’intérêt général du diocèse (impératifs économiques, choix des parrainages, et surtout décharge des responsabilités financières de l’Association diocésaine vers les associations paroissiales sans la contrepartie d’accès à la propriété). L’habitant serait incapable, contrairement au citoyen, de « monter en généralité » les acquis de son expérience de terrain. Son rapport de proximité avec les problèmes de la ville est donc à la fois objet de valorisation et de disqualification.

La notion de « compétences des habitants » rappelle ce qui a été dit plus haut sur l’engagement des catholiques lyonnais en faveur du logement : ces pratiques sont autant d’occasions d’acquérir de nouvelles connaissances par le biais des discussions et des négociations avec les autres acteurs en présence (élus, services municipaux, notaires, promoteurs immobiliers…). La familiarité avec les dossiers a des effets pédagogiques indéniables sur les membres du Comité, en matière de responsabilité comme dans la constitution de normes et de références communes, partagées par tous les participants : respect des engagements et des délais entre partenaires, diffusion des informations susceptibles d’intéresser ces mêmes partenaires, acceptation de la concurrence dans la fixation des prix fonciers et immobiliers, recherche du compromis dans des limites acceptables pour toutes les parties… Réglementations, procédures et nombre élevé d’acteurs urbains dans les négociations sont autant de contraintes provoquant une prise de conscience de la complexité des problèmes.

Notes
1479.

Kristel Viguier, De la création d’une association de quartier à la gestion d’un centre social…, op. cit., p. 2.

1480.

Idem, p. 43.

1481.

Idem, p. 30-33.

1482.

Idem, p. 19. Voir notre chapitre 11 sur le rôle de ce mouvement dans l’agglomération lyonnaise.

1483.

Sur l’histoire des centres sociaux, voir : Dominique Dessertine, Robert Durand, Jacques Eloy, Mathias Gardet, Yannick Marec et Françoise Tétard, Les centres sociaux, 1880-1980, une résolution locale de la question sociale ?, Villeneuve d’Asq, Presses universitaires du Septentrion, 2004 ; Robert Durand, Histoire des centres sociaux, du voisinage à la citoyenneté, Paris, Syros, 1996.

1484.

C’est par exemple le cas de Jean-Paul Masson, qui se situe donc à la fin des années 1970 au carrefour des trois structures locales : association paroissiale, centre social et comité de quartier.

1485.

Catherine Neveu, Citoyenneté et espace public…, op. cit., p. 218-223.