Au cours de la période 1945-1975, le seul texte pontifical qui accorde plus qu’une allusion au phénomène d’urbanisation et à la ville est la Lettre apostolique de Paul VI au cardinal Roy (Octogesima Adveniens) à l’occasion du 80ème anniversaire de l’encyclique Rerum Novarum en 1971. Le pape y consacre cinq paragraphes complets (sur les cinquante-deux du document), deux pour « l’urbanisation » comme nouveau phénomène social, trois sur « les chrétiens dans la ville »1493. Ce document témoigne à la fois d’une approche traditionnelle voire dépassée de la grande ville et d’une grande modernité pour certains aspects de l’analyse. La tradition se lit dans l’opposition entre la ville de l’orgueil et du péché (Ninive) et la ville sainte (Jérusalem), ou encore dans la dénonciation de conditions de vie déshumanisantes mettant en péril la famille et le logement des plus humbles. Mais Paul VI précise également que la croissance industrielle est à distinguer de l’expansion industrielle, ce qui constitue une nette avancée dans la reconnaissance de l’urbanisation comme phénomène propre. De plus, la situation des villes est analysée en des termes empruntés à la géographie urbaine universitaire et au langage urbanistique : le pape évoque la « megapolis », « l’aménagement de l’environnement urbain », ou « l’échelle de la rue, du quartier ou du grand ensemble ». Il appelle enfin les chrétiens à prendre des responsabilités dans la ville pour en « maîtriser la croissance, régler son organisation, réussir son animation ». Il y a dans cette Lettre apostolique une véritable prise en considération de la croissance urbaine par la papauté.
Or, à la fin des années 1950 encore, il a été souligné plus haut que la question de la ville restait fortement liée aux analyses de sociologie religieuse et aux chantiers des églises nouvelles. Est-ce à dire qu’un effort intellectuel de tout premier plan a été réalisé au sein du monde catholique au cours de la décennie 1960 pour comprendre ce que signifie l’urbanisation ? Les travaux du concile Vatican II ont-ils joué un rôle particulier de ce point de vue ? La première partie de ce chapitre tente d’apporter des éléments de réponse.
La seconde s’intéresse quant à elle aux conséquences pratiques de cette découverte de la ville par les intellectuels catholiques : dans les diocèses, la mise en place d’une « pastorale d’ensemble » refond les dispositifs pastoraux traditionnels au profit des « zones humaines » mises en évidence par le chanoine Boulard. Dans ces recompositions territoriales, la ville occupe une place de choix. Elle devient un enjeu de frictions au sein du diocèse de Lyon, car les responsables de la Mission ouvrière et plus largement de l’Action catholique spécialisée craignent de perdre leur identité et leur spécificité.
Sur le plan intellectuel comme sur le plan institutionnel, la prise en compte de la ville induit par conséquent de « nouveaux frais » : des efforts d’analyse certes, mais aussi la nécessité pour l’Archevêché de Lyon de repenser l’organisation territoriale du diocèse et de justifier ses choix pastoraux.
Lettre apostolique de Paul VI au cardinal Roy (Octogesima Adveniens), 14 mai 1971, § 8-9 et 10-12.