I. L’urbanisation dans la production éditoriale catholique des années 1960 (1960-1969)

A. La ville devient un objet d’étude

1. L’abondance de la bibliographie

À considérer l’ensemble de la période 1945-1975, l’observateur est frappé par l’abondance de la production scientifique dans les milieux catholiques autour de la question de la ville et de l’urbanisation au cours des années 1960-1969. Sans prétendre à l’exhaustivité, une liste de l’ensemble de ces contributions peut être proposée :

Fig. 18 : Principales publications catholiques (ou issues de mouvances catholiques) francophones sur le thème de la ville et de l’urbanisation, 1958-1969 .
1958
Jean Labbens, L’Église et les centres urbains, Paris, Spes, 1958.
Jean Labbens, « L’homme des villes, l’urbanisme et la religion », La Revue nouvelle, t. XXVII, 12, décembre 1958, p. 492-498.
1959
Robert Caillot, « Le danger des "grands ensembles" en urbanisme », Économie et Humanisme, 122, novembre-décembre 1959, p. 81-82.
1960
G. de Vaumas, « L’Église dans la cité », La Maison-Dieu, 63, 1960, p. 217-233.
Robert Caillot, « Le problème des jeunes dans les grands ensembles immobiliers », Économie et Humanisme, 124, mars-avril 1960.
Émile Poulat, « La découverte de la ville par le catholicisme français contemporain », Annales : Économie, Société, Civilisation, 1960, 6, p. 1168-1179.
Robert Caillot, « L'urbanisme contre l'aménagement du territoire », Économie et Humanisme, 129, novembre-décembre 1960, p. 84-86.
Éducateurs du Centre « Les Peupliers », « Aspects de la délinquance juvénile », Économie et Humanisme, 125, mai-juin 1960, p. 62-68.
A. Luchini, « Le colloque sur les grands ensembles immobiliers », Économie et Humanisme, 124, mars-avril 1960, p. 72-73.
Robert Caillot, « Le problème des jeunes dans les ensembles immobiliers », Économie et Humanisme, 124, mars-avril 1960, p. 74-75.
1961
Émile Poulat, « Les nouveaux espaces urbains du catholicisme français », Cahiers internationaux de sociologie, t. XX, 1961, p. 115-129.
1962
Vers une civilisation urbaine, Recherches et débats, 38, 1962.
CIEDEHL 1495 , « Villes neuves et épanouissement humain : réflexions d'un constructeur », Économie et Humanisme, 138, mars-avril 1962, p. 65-80.
1963
Robert Caillot, « L'urbanisation, instrument de régionalisation », Économie et Humanisme, mars-avril 1963, p. 76-81.
René Kaës, Vivre dans les grands ensembles, Paris, Éditions ouvrières, 1963.
1965
L'homme dans la ville, La Nef, 22, 1965.
L'urbanisation, notre nouvelle frontière, Citoyens 60, février 1965.
Des villes pour les hommes, supplément annuel d’ Économie et Humanisme, 1965, 161.
L’homme et la révolution urbaine. Citadins et ruraux devant l’urbanisation, 52ème session des Semaines sociales à Brest, Lyon, Chronique sociale de France, 1955.
G. d' Haucourt, « Les problèmes urbains aux États-Unis », Économie et Humanisme, 164, décembre 1965, p. 52-66.

1966
Jean Rémy, « Les institutions ecclésiastiques en civilisations urbaine et industrielle », Social Compass, 14, 1966, p. 39-52.
1967
Urbanisation et pastorale, 72ème congrès national de l’UOCF (Rouen), Paris, Fleurus, 1967.
1968
Fernand Boulard et Jean Rémy, Pratique religieuse urbaine et régions culturelles, Paris, Éditions Ouvrières et Économie et Humanisme, 1968.
Robert Caillot, « Exigences humaines de l’urbanisation », Lumière et Vie, 90, novembre 1968, p. 75-82.
Jacques Comblin, Théologie de la ville, Paris, Éditions universitaires, 1968.
P. Cuny, « L’urbanisation des esprits », Lumière et Foi, 90, 1968, p. 42-54.
Julien Potel, L’urbanisation : ce qu’en pensent prêtres et religieuses, Paris, Fleurus, 1968.
Jean Rémy et François Houtart, Milieu urbain et communauté chrétienne, Paris, Mame, 1968.
La ville, an 2000, Chronique sociale de France, juillet 1968.
1969
Jean Capellades, Guide des églises nouvelles en France, Paris, Cerf, 1969.

Certes, dans les années qui précèdent, la question de l’urbain n’est pas absente des préoccupations chez plusieurs intellectuels proches des milieux ecclésiaux1496, mais un bon nombre de ces contributions, notamment pour la période 1954-1958, privilégiaient l’approche de la sociologie religieuse. Il s’agissait principalement de déterminer les conditions d’une sociologie catholique, entre les deux impératifs catégoriques que constituent, d’une part le discours du magistère et d’autre part le respect d’un certain nombre de critères de scientificité. Ce champ une fois défini, l’objectif de la discipline était de produire des résultats utiles à la pastorale en parvenant à établir une cartographie de la pratique religieuse en France. Ce type d’analyse ne disparaît pas au cours des années 1960, comme en témoignent plusieurs études souvent fouillées qui viennent régulièrement enrichir la réflexion1497.

Mais à partir du début de la décennie 1960, l’orientation change : les analyses de la majorité des articles, essais ou colloques, portent désormais sur les conséquences sociales, économiques et humaines de la croissance urbaine. Il s’agit de mesurer l’urbanisation, de la caractériser en multipliant les angles d’approche (économique, spatial, mais aussi psychologique) afin de rendre compte d’un phénomène nouveau. Celui-ci modifie certes les croyances religieuses mais, plus fondamentalement, il bouleverse aussi les conditions de vie des hommes du XXème siècle. Preuve de cet engouement des milieux catholiques pour la ville et ses effets dans les années 1960 : deux revues y consacrent un numéro spécial (Recherches et débats en 1962 et Économie et Humanisme en 1965), deux mouvements organisent des journées d’études (l’UFCS et l’UOCF en 1967), et les Semaines sociales choisissent pour thème « la révolution urbaine » pour leur session de Brest en juillet 1965.

Ce dernier exemple prouve que l’on peut parler de réelle fascination pour le phénomène d’urbanisation. La position très excentrée de la ville de Brest laissait craindre une affluence plus faible que pour les années précédentes. Il n’en a rien été1498. Le nombre de semainiers fut le deuxième meilleur chiffre jamais obtenu après-guerre avec un peu plus de 5 300 cartes vendues1499. Certes, beaucoup d’auditeurs sont venus des diocèses bretons, mais la mobilisation des évêques locaux n’explique pas à elle seule l’affluence constatée. Certains observateurs attribuent notamment ce succès à la nouveauté des thèmes abordés : « Après tout, par le thème abordé, cette Semaine aura été un succès. L'urbanisation est un sujet tout neuf, un domaine où peu d'études ont été entreprises, et de plus, un sujet très concret plein de quotidien et de vécu ; un terrain que l'on semble connaître et où l'on peut facilement faire des comparaisons »1500. La seconde idée est intéressante : elle laisse penser que chacun peut proposer sa propre analyse du fait urbain, ce qui semble entrer en contradiction avec la première raison invoquée par le journaliste : si la ville est un sujet de conversation accessible à tous, c’est donc que le thème n’est plus tout à fait nouveau. Ce qui est frappant est par conséquent davantage ce sentiment de nouveauté vécu par les catholiques au milieu des années 1960.

Notes
1494.

Sans compter les comptes-rendus et articles divers autour des Semaines sociales de Brest de juillet 1965. En revanche, cette liste intègre les travaux de l’Université catholique de Louvain (autour de François Houtart et de Jean Rémy notamment) largement diffusés en France.

1495.

Centre d’information et d’études d’économie humaine en Lorraine.

1496.

Voir sur ce point l’article très éclairant de Pascal Balmand, « Piétons de Babel et de la Cité radieuse. Les jeunes intellectuels des années 1930 et la ville », Vingtième siècle. Revue d’histoire, 8, octobre-décembre 1985, p. 31-42.

1497.

Par exemple : Roger Daille, Enquêtes et pastorale, Lyon, Éditions du Chalet, 1963 ; Fernand Charpin, Pratique religieuse et formation d’une grande ville, le geste de baptême à Marseille et sa signification en sociologie religieuse, Paris, Éditions du Centurion, 1964.

1498.

« Dès la première heure de la Semaine, il fut évident que la situation géographique du lieu choisi n'empêcherait pas les Semaines sociales de jouer leur rôle habituel de rendez-vous annuel pour tous ceux que préoccupe l'un des grands problèmes de la construction de la Cité » (Archives municipales de Lyon, fonds Chronique sociale de France - Semaines sociales de France, 157 ii 84, note du Service d’information à la presse, sans date).

1499.

Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 10 septembre 1965.

1500.

« Plus de 3 000 entrées à la Semaine sociale de Brest. Du statisticien au semainier moyen : satisfaction générale », par Christian Rudel et Pierre Gallay, La Croix du Nord, 14 juillet 1965.