B. Ville et catholicisme : un état des lieux de la réflexion au milieu des années 1960

Il n’est pas aisé de vouloir synthétiser autour d’un nombre réduit d’axiomes un état de la réflexion catholique sur la ville et l’urbain. La tâche est rendue d’autant plus difficile que la bibliographie connaît alors un essor sans précédent sur cette question, rendant vaine toute prétention à l’exhaustivité. Il reste que, même imparfaite, la mise au jour d’un modèle de compréhension de la croissance urbaine par les milieux catholiques a un intérêt heuristique majeur : celui de proposer un certain nombre de propositions théoriques à partir desquelles il est possible de mesurer un écart ou une spécificité par rapport aux autres productions savantes de l’époque sur ce thème.

Le point de départ qui a été choisi pour élaborer ce modèle est la communication qu’a prononcée à Lyon et Saint-Étienne le sociologue bruxellois François Houtart les 3 et 4 mars 1964¹⁵²⁰. Ce document présente en effet plusieurs intérêts. Il est d’abord l’état d’une réflexion approfondie d’un auteur considéré alors comme l’un des meilleurs spécialistes de ces questions. Les prêtres lyonnais et stéphanois qui constituent son auditoire (dans une salle de l’ensemble paroissial de Sainte-Marie-de-la-Guillotière pour Lyon) ont donc écouté et questionné un auteur de premier plan, et ce à la demande de l’Archevêché¹⁵²¹. De plus, son analyse synthétique de l’urbanisation évoque un grand nombre de considérations que l’on retrouve dans la bibliographie au milieu des années 1960. Enfin, cette conférence reprend les principaux points de débat et les enjeux les plus décisifs pour les catholiques. Il faut indiquer toutefois que cette allocution n’a pas, à notre connaissance, été conservée sous sa forme originale. L’étude qui va suivre s’appuie sur des notes prises par deux auditeurs de la conférence : Gabriel Matagrin d’une part, qui est alors vicaire général chargé de la pastorale d’ensemble dans le diocèse¹⁵²² ; et un auditeur anonyme, qui a laissé un compte-rendu dactylographié très détaillé, conservé dans le fonds Gerlier¹⁵²³. Cette retranscription est un autre intérêt de ce corpus : elle permet certes d’une part, en croisant ces deux « enregistrements », de reconstituer en substance la conférence du sociologue belge ; elle est aussi révélatrice de la façon dont un responsable diocésain (peut-être deux) se réapproprie(nt) une analyse de l’urbain.

De ces documents se dégage un ensemble de neuf caractéristiques sur la ville et ses effets, qu’il a été jugé préférable, pour des raisons de clarté, de distinguer selon deux rubriques : d’une part, celles qui concernent la ville et l’urbanisation en elles-mêmes, indépendamment de ses relations et de ses conséquences sur la vie de l’Église ; d’autre part, celles qui traitent spécifiquement des effets du mode de vie urbain sur l’institution ecclésiale, sur les pratiques des croyants et sur les stratégies pastorales. Chaque caractéristique est confrontée, autant qu’il a été possible de le faire, à l’état de la recherche au milieu des années 1960, afin de faire entrer en résonance les diverses analyses catholiques sur ces questions.