A. Qu’est-ce que la pastorale d’ensemble ?

Une présentation claire de la nature et des modalités de la pastorale d’ensemble est disponible dans la Documentation catholique de 1965, qui reprend les orientations que les évêques de la région apostolique du Midi essaient alors de promouvoir dans leur diocèse1616. Il s’agit alors pour l’épiscopat, dans un contexte d’euphorie de fin de concile, de clarifier une stratégie pastorale qui, pour un certain nombre de prêtres et de fidèles, « risque de n'être qu'une réalité assez vague, symbole selon les cas, de toutes les espérances et de toutes les déceptions ». De quoi s’agit-il ?

La pastorale d’ensemble découle d’un constat ancien mais considéré comme crucial par les évêques concernés : la société française et l’Église vivent dans des mondes de plus en plus séparés. Cette divergence croissante oblige les catholiques à repenser leur mode d’action, en donnant un nouveau souffle à l’unité et à la responsabilité des membres de l’Église. Dans la continuité réaffirmée de la tradition ecclésiale garante de sagesse et d’orthodoxie, la pastorale d’ensemble n’est pas perçue comme une concession au siècle, mais comme l’actualisation nécessaire de la mission de l’Église : « La pastorale d’ensemble n'est pas d'abord une méthode nouvelle, transitoire et relative comme toutes les méthodes. Ses buts et son esprit sont ceux même de l'Église. Sous la responsabilité de l'Évêque dans le diocèse, ou de l'Assemblée épiscopale dans la région, elle est et veut être l'effort unanime et convergent de tous les membres du Peuple de Dieu (sacerdoce, vie religieuse, laïcat), afin de permettre à l'Église de remplir sa mission de salut auprès des hommes et du monde d'aujourd'hui ». Trois éléments fondamentaux sont à retenir de cette définition. Le premier est la réaffirmation de l’autorité de l’évêque. La pastorale d’ensemble est d’abord la communion des diocésains - au premier rang desquels le clergé - autour de la figure épiscopale qui connaît le sens de la vraie foi et la fait rayonner par sa charge particulière. Ce nouvel apostolat a pour tâche en effet « de permettre toujours davantage à l'évêque d'être dans son diocèse la source et le centre de toute l'action pastorale et apostolique ». Deuxièmement, la définition insiste sur la transformation des sociétés et la mise à jour implicite des stratégies missionnaires en leur direction(« auprès des hommes et du monde d'aujourd'hui »). C’est à ce niveau que l’apport de la sociologie religieuse encouragée et diffusée par le chanoine Boulard s’avère décisive. Les enquêtes minutieuses réalisées dans les diocèses doivent permettre de définir un périmètre sur le critère des difficultés rencontrées. Au sein de ces « zones humaines », les populations affrontent les mêmes problèmes dans leur vie sociale. La différence avec l’Action catholique est la prise en considération d’une base territoriale (et non du milieu social), qui dépasse et englobe les paroisses. Également conçues comme des carrefours d’influences, ces « zones » correspondent souvent à des pays géographiques1617. Enfin, l’ « effort unanime et convergent », repris dans d’autres passages sous les expressions synonymes de « travail en commun » ou d’ « harmonisation des efforts », est le point qui a le plus retenu l’attention des prêtres et responsables pastoraux, car il est à l’origine de toute une série de nouvelles structures diocésaines1618. Des instances de décision originales sont en effet mises en place pour permettre cette collaboration. Un « conseil de zone », représenté par un « responsable de zone » lui-même aidé par un « secrétaire de zone », est l’organe qui doit assurer la difficile mise en cohérence des paroisses, mouvements et établissements de l’enseignement religieux à l’échelle locale. Des « commissions pastorales » sont instituées autour d’un problème auquel se heurte le clergé dans sa zone. Enfin, un Conseil diocésain de pastorale réunit de façon régulière autour de l’évêque l’ensemble des responsables de zones et les directeurs des principaux services diocésains (enseignement religieux, œuvres, congrégations religieuses, etc.). C’est donc de la collaboration de l’ensemble des acteurs impliqués dans la vie du diocèse, à différents échelons, que ce redéploiement pastoral tire son nom.

Un Secrétariat interdiocésain pour la pastorale d’ensemble est mis en place à Paris autour du chanoine Boulard1619. Cet organisme privé, financé par les diocèses qui y participent (jusqu’à quatre-vingt), n’est pas directement sous la tutelle du Secrétariat de l’Épiscopat bien que l’ACA ait donné son accord. La provenance géographique des participants ne relève pas du hasard : elle s’appuie sur un travail du géographe lyonnais Jean Labasse qui, à la demande de Gabriel Matagrin, aurait prouvé que le découpage le plus pertinent pour la France s’articulait autour de neuf régions1620. Neuf évêques et neuf vicaires généraux de chacune de ces régions siègent par conséquent dans ce Secrétariat. Les réunions ont lieu à Montmartre, animés par des sociologues (Fernand Boulard en tête) et des théologiens, comme Henri Denis de Lyon, Louis Lochet de Reims, le jésuite Jean Moussé ou le père Nicolas des Dominicains de Toulouse.

La présence de Gabriel Matagrin dans le diocèse de Lyon explique que la pastorale d’ensemble ait fait l’objet d’une attention particulière de la part de l’autorité religieuse.

Notes
1616.

« La pastorale d'ensemble. Orientations retenues par les évêques de la région pastorale du Midi dans leur réunion des 8-9 juin 1965 », La Documentation catholique, 1454, 5 septembre 1965, col. 1483-1488. Ce texte est paru initialement dans la Semaine religieuse de Toulouse du 18 juillet 1965. Sauf avis contraire en note, les citations du paragraphe suivant sont extraites de ce document.

1617.

Gabriel Matagrin, Le Chêne et la Futaie…, op. cit., p. 63-65.

1618.

Gabriel Matagrin parle de « plus étroite liaison et coordination » des forces vives du diocèse, constituant un véritable « tournant » dans les conceptions pastorales (Gabriel Matagrin, Le Chêne et la Futaie…, op. cit., p. 63).

1619.

Les lignes qui suivent s’inspirent d’une seule source : Gabriel Matagrin, Le Chêne et la Futaie…, op. cit., p. 61. Aucune date précise n’est malheureusement fournie par l’auteur.

1620.

S’agissait-il d’un découpage seulement ecclésiastique, ou valable également au civil ? Dans quelle optique ? Selon quels critères ? Il est difficile de répondre faute de documents complémentaires ou opposables.