2. Variations autour du rôle des archiprêtrés

Dernière étape de ces réajustements : les archiprêtrés, directement concurrencés par la mise en place des secteurs, font l’objet d’une refonte en septembre 1957. Le principal changement enregistré est la suppression de l’archiprêtré de l’Immaculée-Conception, proche du centre de Lyon et regroupant des paroisses du 3ème arrondissement. Un nouvel archiprêtré est créé en périphérie, Saint-Jacques-des-États-Unis, pourvu de neuf paroisses1631.

Les justifications données à ces ajustements territoriaux sont significatives de la place qu’occupe l’urbanisation dans les représentations des responsables diocésains. Toutes en effet ont un rapport direct avec la croissance urbaine : l’accroissement démographique dans le diocèse ; l’apport de population consécutive au rattachement de l’archiprêtré de Villeurbanne en 1954 ; la croissance des banlieues est et sud-est ; la séparation croissante des lieux d’habitat et des bassins d’emploi, conduisant à une intensification des migrations domicile-travail. Ces bouleversements urbains contraignent l’autorité diocésaine à une adaptation de sa pastorale1632. À cette date, l’archiprêtré n’est donc pas encore remis en cause, comme ce sera le cas à partir de 1961 dans le cadre de la pastorale d’ensemble.

Au milieu des années 1950, une réflexion conduite à l’Institut de sociologie des Facultés catholiques propose de redéfinir la place des archiprêtrés dans la grande ville. Ce travail permet de mettre en perspective ces divers réajustements et évoque avant l’heure un certain nombre de fondements de la pastorale d’ensemble.

Dans ce rapport écrit après 1954 et sans doute antérieur de quelques mois au réajustement de 1957, l’auteur défend en effet un « Projet de redistribution des archiprêtrés de l’agglomération lyonnaise »1633. Après un premier chapitre consacré au rôle canonique de cet échelon, le second temps de l’analyse est consacré aux critères qui doivent présider au choix d’une répartition harmonieuse. L’auteur en propose plusieurs, tous d’ordre géographique. Outre le nombre raisonnable de paroisses par archiprêtré et le principe de continuité territoriale logiquement attendus, le rapport mentionne les « zones écologiques » : « On sait qu’une agglomération urbaine se développe suivant certaines lois que les travaux récents ont mis en évidence et qui ont permis de déceler des zones homogènes, dites zones écologiques. Ces zones franchissent et chevauchent les limites communales. Les archiprêtrés épouseront donc autant que possible le tracé de ces zones »1634. L’auteur fait sans doute allusion aux travaux du chanoine Boulard en sociologie religieuse et à ceux de l’École de Chicago sur l’écologie urbaine. Ce critère est mis en lien avec le principe d’ « homogénéité de la population et des problèmes pastoraux », assez proche du précédent. On se rappelle que l’une des originalités de la pastorale d’ensemble était précisément de faire d’un problème rencontré par les prêtres le fondement des découpages territoriaux et des commissions pastorales. Alors que l’expression exacte « pastorale d’ensemble » n’est à aucun moment prononcée, certaines formulations en sont très proches : « penser ensemble la pastorale », « action pastorale d’ensemble »1635.

Le dernier critère, celui des moyens de communication, concerne seulement la partie rurale du diocèse car le contact est souvent aisé en ville entre les paroisses et le siège de l’archiprêtré1636. En s’inspirant des expériences de Cologne, Bruxelles, Douai, Marseille et Lille qu’il résume sous la forme d’un troisième chapitre, l’auteur en vient à proposer son projet de nouvelle répartition des archiprêtrés pour le cas lyonnais. Pour justifier son choix, il croise les données de deux cartes : celle de la pratique dominicale établie lors du recensement religieux de mars 1954 et celle de la répartition des petits salariés sur le territoire de l’agglomération, au motif que les petits employés et les travailleurs manuels représentent au sein de cet espace près des trois quarts de la population active. Cette catégorie est donc suffisamment importante sur le plan numérique pour être représentative de la répartition de la population urbaine1637. Le sociologue récapitule sa démarche en des termes qui auraient parfaitement convenu à la définition des « zones humaines » : « Des principes énoncés au chapitre II, il ressort qu’un archiprêtré doit constituer une unité autant que possible continue, relativement peu étendue et bien desservie en moyens de communication, aussi homogène que possible en ce qui concerne la population de manière à représenter une unité d’action pastorale. Il importe donc de se demander s’il est possible de distinguer au sein de l’agglomération des zones susceptibles de regrouper un ensemble de paroisses dont la population soit homogène et requière une action pastorale sensiblement analogue »1638.

Il ne faut cependant pas exagérer la portée d’un tel rapport et adopter une vision téléologique qui ferait de tous les ajustements successifs de la pastorale diocésaine depuis le milieu des années 1950 l’ « annonce » ou « les signes précurseurs » de la pastorale d’ensemble des années 1960. Deux exemples suffisent pour étayer cette affirmation. D’abord, la répartition que propose l’auteur du projet de répartition ci-dessus - bien qu’elle l’ait inspirée - n’est pas celle qui est adoptée en 19571639. Il y a donc bien lieu de distinguer ce qui relève des études préparatoires que les spécialistes de l’Institut de sociologie s’efforcent de construire à l’aide d’outils statistiques, des décisions pastorales prises par l’archevêque et son Conseil archiépiscopal qui peuvent obéir à d’autres logiques. D’autre part, il semble que les notions de « zones pastorales » ou de « pastorale d’ensemble », si elles sont connues par des responsables du diocèse, sont encore relativement floues dans les représentations. En témoigne un compte-rendu du bulletin diocésain à propos de la cérémonie des vœux à l’Archevêché pour la nouvelle année 1958. L’auteur de l’encart confond manifestement ce dispositif pastoral avec le problème des paroisses nouvelles : « M. l'abbé Pichot [archiprêtre de Saint-Jacques-des-États-Unis] évoque l'organisation des zones pastorales qui permettent une meilleure collaboration des paroisses entre elles : "Avec l'aide de vos collaborateurs immédiats, et, notamment, avec le concours de Mgr Dupuy, c'est aussi tout un réseau de nouvelles paroisses qui s'organise […] et nous comprenons qu'il était nécessaire de constituer un Office diocésain pour mener à bien cette lourde entreprise"»1640. Il semble donc que l’expression « pastorale d’ensemble » ait servi parfois d’étiquette un peu « fourre-tout » pour désigner et légitimer une action soucieuse de prendre en compte la globalité d’un problème pastoral : les églises nouvelles, la concertation accrue avec le clergé, ou la mise en cohérence des mouvements d’Église. Parmi les motifs qui justifient la mise en œuvre de la pastorale d’ensemble dans le diocèse de Lyon figure également la volonté affichée, de la part de l’autorité religieuse, de répondre au malaise d’un certain nombre de prêtres en ville.

Notes
1631.

Paroisses de Saint-Jacques-des-États-Unis, L'Assomption, Saint-Germain de Vénissieux, Sainte-Jeanne-d'Arc de Vénissieux, L'Immaculée-Conception (Moulin-à-Vent) de Vénissieux, Saint-Fons et son annexe des Clochettes, Saint-Vincent-de-Paul, Notre-Dame-des-Anges et Saint-Antoine à Gerland (« Ordonnance sur la redistribution d'archiprêtrés dans l'est et le sud-est de Lyon et dans la banlieue », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 27 septembre 1957). Remaniements évoqués succinctement en : AAL, fonds Gerlier, 11.II.40, ordre du jour de la réunion des archiprêtres du 23 septembre 1957.

1632.

« Ordonnance sur la redistribution d'archiprêtrés… », op. cit.

1633.

AAL, fonds Gerlier, 11.II.31, 32 p., sans date ni auteur, mais les corrections manuscrites en page 10 et dans la table des matières sont de la main de Jean Labbens. Sa publication Les 99 autres… de 1954 figure en note (p. 15).

1634.

Idem, p. 10.

1635.

Idem, p. 9.

1636.

Idem, p. 10.

1637.

Idem, p. 16.

1638.

Idem, p. 15.

1639.

Le « 11ème archiprêtré » du projet recoupe exactement les limites de l’archiprêtré de Saint-Jacques-des-États-Unis créé en 1957. Mais la répartition des paroisses à l’intérieur de plusieurs archiprêtrés n’est pas celle que préconise le sociologue (voir p. 19-31).

1640.

« Vœux de Lyon à Son Éminence », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 30 décembre 1957.