1. La lassitude d’une partie du clergé diocésain

Le retard avec lequel les prêtres du diocèse retournent - voire ne retournent pas du tout - les questionnaires des enquêtes pastorales en est un premier témoignage. Alors que celles-ci sont censées être en cours d’exécution au début du mois de janvier 19601676, la Semaine religieuse doit multiplier les rappels pour que les questionnaires dûment remplis soient bien renvoyés à l’Archevêché. La date butoir du 1er avril 1960, annoncée à la fin du mois de janvier mais sans doute déjà connue des archiprêtres depuis plusieurs semaines1677, ne peut être tenue : elle est reportée au 10 juin. L’Archevêché désormais se contente d’enquêtes inachevées1678. Mais à la fin du mois d’octobre encore, l’autorité diocésaine déplore que certains curés n’aient rien envoyé, et en appelle à leur responsabilité pour fournir des résultats même partiels, afin de ne pas « compromettre l'étude d'ensemble dans quelques cantons »1679.

Cette tiédeur constatée chez quelques prêtres du diocèse - suffisamment nombreux cependant pour que les rappels fassent l’objet d’un encart dans la Semaine religieuse - s’explique notamment par un certain scepticisme à l’égard de l’utilité et de la portée des enquêtes pastorales. On retrouve ici les critiques que le recensement de pratique religieuse avait provoquées dans le diocèse en 1954, obligeant Jean Labbens à s’expliquer dans un opuscule1680. De fait, l’autorité religieuse prend acte d’interrogations dans le clergé sur l’absence ressentie de résultats pastoraux concrets à la suite d’enquêtes dans les années 19501681. Les responsables pastoraux saluent le « courage » des prêtres dans la réalisation de ces enquêtes1682 ; de même que Gabriel Matagrin ne manque pas de souligner le travail effectué par les délégués au sein des commissions pastorales, « difficile et ingrat, quidemande persévérance et désintéressement »1683. Ces réticences expliquent aussi dans doute l’insistance avec laquelle le Secrétaire diocésain à la pastorale d’ensemble demande à ces mêmes délégués - pourtant a priori les plus convaincus dans le clergé - de fournir un compte-rendu détaillé après chaque réunion, qui ne soit pas seulement « un résumé ou une somme de généralités »1684.

Certains prêtres s’inquiètent en outre de l’enchevêtrement des structures diocésaines. La pastorale d’ensemble a rendu plus complexe le découpage ecclésiastique diocésain, avec la création des zones, secteurs et commissions pastorales de divers type qui se surimposent - sans nécessairement coïncider avec elle - à l’organisation spatiale et institutionnelle déjà en place. Ce sentiment de bureaucratie stérile trouve suffisamment d’échos pour que Gabriel Matagrin juge utile de rappeler en mai 1961 que « l'essentiel de cet effort de pastorale d'ensemble ne consiste pas d'abord dans des structures à créer »1685. Ce constat ne vaut pas seulement pour le diocèse de Lyon. Les évêques de la région apostolique du Midi sont également contraints de réaffirmer à leur clergé que les structures de la pastorale d’ensemble ne sont pas « artificielles »1686.

Dès lors, pour faire face à ces contestations latentes et limiter leur extension, Gabriel Matagrin doit régulièrement user de pédagogie, clarifier les malentendus et désamorcer les risques de conflit. Concernant les enquêtes pastorales par exemple, il réaffirme à quel point celles-ci sont cruciales dans la mise en route et la réussite de la pastorale diocésaine. Il conteste tout traitement de faveur chez certains prêtres ou dans certaines paroisses (« ce travail se réalise sur les mêmes points précis pour l'ensemble du diocèse ») et insiste particulièrement sur le bien-fondé des méthodes utilisées et la qualité des résultats déjà obtenus1687. Encore faut-il que le dialogue entre l’autorité diocésaine et les prêtres ne soit pas coupé sur cette question, comme c’est apparemment le cas dans le diocèse de Marseille : pour fournir« une base de relance de la réflexion et de l'action commune », le vicaire général L’Heureux a adressé à son clergé un long texte à propos des effets de l’urbanisation sur la pastorale d’ensemble, que la Semaine religieuse lyonnaise estime utile de reproduire1688.

Il semble toutefois que le véritable fondement des inquiétudes suscitées par la pastorale d’ensemble ait été la crainte partagée par tous les acteurs et organisations du diocèse de voir leur position et leur moyens d’action diminuer, au profit d’une centralisation accrue de l’apostolat et d’une redistribution générale des rôles et attributions de chacun. Pour preuve de cette méfiance à l’égard des nouvelles structures, voici comment Gabriel Matagrin doit définir, par la négative, l’intérêt des commissions pastorales de recherche qu’il a mises en place : « Il ne s'agit pas de changer le fait social étudié - ce qui relève des organisations temporelles, des mouvements de jeunesse ou d'institutions que des laïcs auront à mettre en place. Il ne s'agit pas immédiatement de l'évangélisation de la catégorie sociale - ce qui est la mission propre des mouvements d'Action catholique. Il s'agit d'orienter la mentalité sacerdotale en face des personnes de la catégorie sociale, ou en face des personnes saisies à travers le fait social. La première question à se poser n'est pas : "Que faut-il faire ?" mais "Qu'est-ce que nous sommes ? Quelle est notre mentalité ? Quel est notre comportement ?" »1689. Cette mise au point en forme d’appel à la conversion a une portée ecclésiologique de première importance et peut, elle aussi, éclairer le malaise des prêtres face à la pastorale d’ensemble : c’est à une véritable introspection individuelle et collective qu’appelle Gabriel Matagrin. Sont en cause, non pas le monde profane tel qu’il est et ses manques traditionnellement dénoncés, mais le statut même du prêtre et le sens de son ministère. S’il y a une responsabilité à dénoncer, elle est plutôt du côté du clergé qui doit repenser en profondeur son mode de présence.

Notes
1676.

« Pastorale diocésaine, pastorale d’ensemble », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 8 janvier 1960.

1677.

« Avis importants à MM. les archiprêtres et délégués d'archiprêtré », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 27 janvier 1960 ; AAL, fonds Gerlier, 11.II.40, « ordre du jour du synode des archiprêtres du 6 octobre 1959 ».

1678.

« Pastorale d'ensemble. Avis important à MM. les curés au sujet des enquêtes », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 27 mai 1960.

1679.

« Pastorale diocésaine. Avis important au sujet des enquêtes », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 28 octobre 1960.

1680.

Jean Labbens, Les 99 autres…, op. cit. Voir chapitre 4.

1681.

« "On nous a déjà demandé d'autres enquêtes de ce genre; nous les avons faites. Qu'en est-il résulté ?". Il est possible qu'un travail de recherche n'ait pas été exploité en vue d'une pastorale plus adaptée, ou l'ait été insuffisamment » (« Pastorale diocésaine, pastorale d’ensemble »…, op. cit.).

1682.

« Pastorale d'ensemble. Avis important à MM. les curés au sujet des enquêtes », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 27 mai 1960.

1683.

« Les commissions pastorales », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 20 octobre 1961.

1684.

Idem.

1685.

« Organisation des zones pastorales… », op. cit.

1686.

« La pastorale d'ensemble. Orientations retenues par les évêques de la région pastorale du Midi… », op. cit.

1687.

« Pastorale diocésaine, pastorale d’ensemble »…, op. cit.

1688.

« L'évolution urbaine et ses conséquences pastorales », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 14 mai 1965. Le texte a été repris du bulletin diocésain marseillais.

1689.

« Les commissions pastorales », Semaine religieuse du diocèse de Lyon du 20 octobre 1961.