Chapitre 11 : catholicisme, ville et classes moyennes (1960 – 1975).

Le chapitre précédent a tenté de montrer, dans ses derniers développements, les tensions qui ont pu exister, à l'échelle lyonnaise comme à l'échelle nationale, entre les tenants de la pastorale d'ensemble et les représentants des mouvements ouvriers au sein de l'Église. Certes, il a été dit que la notion de « pastorale urbaine » ne recoupe que partiellement la politique de pastorale d'ensemble, même si dans un diocèse urbanisé comme celui de Lyon, l'écart est relativement limité. Cependant, ces divergences ont fortement contribué à atténuer la place accordée par les responsables diocésains à la ville, préférant une approche par milieux davantage en adéquation avec la sectorisation des mouvements d'Action catholique spécialisée.

L'enjeu de ce chapitre est de tester une nouvelle hypothèse dans le droit fil de cette spécialisation. Après tout, si le monde ouvrier se montre réticent au sein de l'Église à l'égard de toute pastorale qui diluerait une identité de classe, c'est peut-être aussi en raison d’une stagnation relative des effectifs ouvriers au sein des grandes agglomérations : avec la tertiarisation de l'économie qui accompagne l'urbanisation de la société française au cours des Trente Glorieuses, ce sont les classes moyennes qui, dans la seconde moitié du XXème siècle, sont devenues les plus nombreuses dans l'espace urbain, non les ouvriers. Certes, la croissance des villes s'est généralement traduite par une extension des périphéries ouvrières, à proximité des usines. L'agglomération lyonnaise n'échappe pas à ce processus qui lie dynamique industrielle et étalement spatial. La croissance urbaine, dans les communes de banlieue, a ainsi accompagné l’industrialisation : Villeurbanne, Feyzin, Saint-Fons, Vénissieux ont grandi depuis le XIXème siècle et tout au long du siècle suivant en relation directe avec l'implantation de nouveaux établissements industriels sur leur territoire. Il n'en reste pas moins que le groupe le plus important sur le plan strictement numérique à l'échelle de l'agglomération dans son ensemble est en 1975 celui des classes moyennes. Il paraît dès lors indispensable, pour une étude qui croise catholicisme et urbanisation, de s'intéresser à ceux que l'Église nomme « les milieux indépendants ».

Le premier point de ce chapitre s'efforcera de démontrer que des groupes rassemblant en grande majorité des classes moyennes et fortement marqués par le catholicisme social ont développé une réflexion et des pratiques sur la ville et la croissance urbaine. Notre idée est de montrer que c'est en se tournant vers les classes moyennes catholiques que l'on a des chances de trouver la trace d'une approche de l'urbanisation par les milieux d'Église. Les archives de l'Union féminine civique et sociale (UFCS) de Lyon et de Bron confirment, pensons-nous, le bien-fondé de cette piste de recherche.

Le deuxième temps de l'analyse s'organisera non pas autour d'un mouvement militant, mais cette fois autour d'un moment : celui de l'affaire dite du « terrain de la Sainte-Famille » à Villeurbanne entre 1973 et 1975. La forte mobilisation qu'elle a suscitée dans la population locale et l'intérêt que lui a porté la presse nationale confèrent à cet événement une portée toute particulière pour notre recherche. Car des catholiques, le plus souvent issus de classes moyennes, sont partie prenante de cette affaire, comme acteurs ou comme observateurs. Ceux-ci participent activement à l'élaboration d'une mise en récit de l'événement qui prend la forme d'une réflexion sur l'aménagement urbain et la défense du cadre de vie dans un contexte de densification aiguë du tissu urbain. Avec d'autres, des chrétiens contribuent à la construction d'un discours et d'un type de mobilisation caractéristiques des mouvements sociaux urbains des années 1970. Outre que les modalités de cette présence catholique dans ces mobilisations n'ont été, à notre connaissance, que très peu traitées dans l'historiographie récente (notamment religieuse), il nous paraît intéressant de les mettre en résonance avec les analyses que font les sociologues des années 1970-1980 à propos de ces « luttes urbaines ».