Tous ces réseaux chrétiens ou d’origine chrétienne sont majoritairement le fait de couches moyennes installées dans le quartier ou à ses abords.
Les « prêtres de la Sainte-Famille » font partie des signataires du « Dossier de la Sainte-Famille » de mars 19731953. Bernard Meuret évoque la nomination dans la paroisse d’une équipe sacerdotale renouvelée à partir de la rentrée 1973, « très marquée par ses engagements professionnels, syndicaux et politiques ». Les anciens de la paroisse ne s’y reconnaissent plus1954. Une école privée catholique figure également parmi les soutiens apportés aux occupants1955. L’UFCS dont il a été longuement question dans le paragraphe précédent a par ailleurs soutenu les défenseurs du terrain de la Sainte-Famille, mais sans que des documents ne précisent hélas les modalités de leur action1956.
À ces premières nébuleuses s’ajoute le « réseau des Frères maristes ». Une communauté de six Frères s’est en effet installée dans le quartier en 1968, préférant prendre en charge l’aumônerie des CES qui se construisent dans le quartier plutôt que d’assurer un enseignement dans les écoles de leur congrégation. Ils choisissent d’habiter dans un HLM du quartier pour rester au contact des besoins et des conditions de vie de la population locale. L’un d’eux se fait engager comme éducateur municipal1957.
Un Club des jeunes est né vers 1965 d’une initiative qui doit beaucoup à d’anciens animateurs des patronages, et de militants de la JIC et de la JOC du quartier. Il possède un local sur le terrain paroissial mais garde son autonomie par rapport aux activités religieuses1958. Le club disparaît vers 1970 car il n’est plus en phase avec les remises en cause de 1968, mais on se souvient que l’une des principales revendications du Comité de coordination est la création et la reconnaissance par la Municipalité d’une structure qui prenne en charge les loisirs des jeunes du quartier.
En outre, on compte parmi les membres des deux comités de quartier un nombre important de chrétiens « progressistes ». Le Comité de Croix-Luizet est né d’une réaction de défense des habitants du quartier face à une menace de réserve foncière pour l’implantation d’un lycée technique dans la partie sud du quartier. Ce sont principalement des ouvriers proches de la retraite, installés depuis l’entre-deux-guerres à Croix-Luizet, qui font jouer leurs liens de cohabitation et de voisinage. Fondé en 1970, le Comité des Büers, malgré son appellation, milite aussi à Croix-Luizet. Il s’agit principalement de professeurs du secondaire et du supérieur (INSA, CNRS) et de travailleurs sociaux, engagés à gauche mais séduits par les idées d’autogestion, sympathisants du PSU, méfiants à l’égard des appareils des partis et des syndicats traditionnels1959.
La Maison sociale, créée en 1943, constitue un lieu de convergence des différents réseaux évoqués. Elle est le symbole de l’engagement militant, en particulier chrétien mais sans exclusivité. C’est la bourgeoisie (industrielle) pratiquante du quartier qui est à l’origine de cette institution, non financée par la Ville. Sa fonction a évolué depuis les années 1950 : ce ne sont plus principalement des secours matériels qu’elle assure, mais désormais surtout des services : services médicaux, animation pour les adolescents et la petite enfance, camps et centres aérés, alphabétisation pour les étrangers, club Ninon-Vallin pour les personnes âgées1960. Au début des années 1970, les travailleurs sociaux qui sont devenus plus nombreux souhaitent limiter une centralisation jugée excessive de l’animation sociale au sein de la Maison et intervenir au plus près des besoins de la population, au pied des immeubles.
Enfin, un groupe important de fils et filles d’immigrés du quartier se retrouve dans la JOC puis l’ACO à l’âge adulte. À partir de 1950, ils organisent des activités pour les enfants au sein de l’Association d’animation des Büers. Le groupe comprend la foi comme une invitation à s’engager dans le siècle et la paroisse n’est plus nécessairement le centre de leur militantisme, à l’image de l’association qui, née dans le cadre paroissial, a rapidement pris son autonomie. Pendant la guerre d’Algérie, ses membres soutiennent le FLN et certains d’entre eux ont été des « porteurs de valises »1961. Des militants ACO présents lors de l’occupation du terrain en octobre 1973 ont consigné par écrit, dans le cadre d’une révision de vie en section, leurs représentations de cette lutte urbaine. Ce document est révélateur de la façon dont le mouvement urbain est perçu par les catholiques « progressistes ».
AMV, 3 R 6, lettre des Comités de parents d’élèves aux parents, 26 mars 1973.
Bernard Meuret, « Sociographie des réseaux sociaux… », op. cit., p. 146.
AAL, fonds Boffet, I.1433, comité de secteur ACO-Villeurbanne, 16 novembre 1973.
Une seule mention de ce soutien dans Libération, 16 octobre 1973 (le journaliste orthographie « UFSCS » et non « UFCS » mais, après recherches, il ne semble pas qu’il y ait de doute possible sur l’identité de l’association).
Bernard Meuret, « Sociographie des réseaux sociaux… », op. cit., p. 149-150.
Idem, p. 148-149.
Idem, p. 151-152.
Idem, p. 142 et 150.
Idem, p. 148.