Le colloque qu’organise le Comité national de construction d’églises (CNCE) les 1er et 2 février 1965 au Palais de l’UNESCO à Paris marque un premier jalon dans les débats qui agitent l’Eglise de France sur l’équipement religieux2002. Alors que se développe dans les diocèses, dans la lignée du concile Vatican II, un courant en faveur de l’enfouissement de l’Église dans la vie des hommes, c’est sans doute la dernière rencontre nationale qui voit les orateurs plaider de façon quasiment unanime pour la construction de nouveaux lieux de culte. Paul Delouvrier, délégué général au district de la région de Paris, résume ainsi une conviction largement partagée par les intervenants : « Pourquoi faudrait-il laisser aux silos et aux centrales électriques le soin de représenter les "cathédrales du monde moderne" ? Pourquoi faudrait-il que l'aggiornamento de l'Église, l'antitriomphalisme, l'Église des humbles sinon des pauvres, nous ramènent nécessairement à l'église des catacombes ou nous laissent aux micro-équipements de quartiers ? Je me prononce donc, comme particulier, pour un symbole de la présence réelle de la fonction religieuse de l'homme dans le centre des villes que nous allons édifier »2003. En fin de colloque, l’ancien ministre de la Construction Eugène Claudius-Petit relate une anecdote qui dit elle aussi le climat d’ardeur et de mobilisation générale qui a caractérisé les débats au Palais de l’Unesco : « "C'est fantastique d'avoir à construire davantage d'églises qu'il en existait avant saint Pothin", me disait un ami lyonnais ! C’est peut-être par des images comme celles-là que l’on fera comprendre que la France doit se couvrir de "fleurs blanches" comme au temps de l’an mille, avec les cathédrales. Allons-y, retroussons les manches, remercions le Seigneur d’avoir autant d’églises à construire. Si nous envisageons le problème sous cet angle, nous trouverons les moyens de les construire. Ce ne sera pas en nous lamentant que nous attirerons les gens décidés ; c’est notre enthousiasme qui entraînera les jeunes vers un effort qu’ils doivent comprendre et supporter »2004. S’appuyant sur une enquête réalisée en avril 1964 auprès de 120 prêtres responsables des grands ensembles et des quartiers neufs dans leurs diocèses, l’ancien secrétaire des Chantiers du Cardinal et du CNCE, l’abbé Pailloncy, affirme que « l’ensemble des réponses reçues accuse les inconvénients de l'absence de lieu de culte ». Pire, du fait de l’éloignement des lieux de culte et de la fatigue qui seraient propres à la vie citadine, l’absence d’équipement signerait, aux yeux des prêtres interrogés, une capitulation devant l’indifférence religieuse ambiante2005.
Certes, l’analyse attentive des actes laisse percevoir des points de vue quelque peu différents. L’abbé Pailloncy est visiblement embarrassé pour commenter les réponses apportées à la question « Pour constituer la communauté chrétienne de quartier, le lieu de culte traditionnel (église ou chapelle) paraît-il encore nécessaire ? » dans l’enquête d’avril 1964. Tous les prêtres interrogés affirment la nécessité de la présence d’un prêtre et d’un lieu de réunion, et refusent l’église monumentale. Mais, preuve de divergences sur ce point, l’abbé ne donne pas le résultat des réponses à la question posée, et préfère rappeler aux « chrétiens militants » que le lieu de culte est le prolongement indispensable de leur action2006.
Le deuxième couac intervient dans les premiers mots que prononce Jean Gastambide, président de l’Association des pasteurs de France. Sur un ton railleur, il est le premier orateur à s’interroger à haute voix sur la nécessité des lieux de culte : « On peut se demander pourquoi il faut des églises alors qu'il faudrait plutôt des gens qui viennent. Je crois qu'à cet égard, nous sommes tous logés à la même enseigne »2007. Enfin, le chanoine Verscheure, qui intervient en tant que président de la Fédération internationale des instituts de recherches sociologiques et socio-religieuses, signale à l’auditoire l’essor d’une conviction qui gagne certains croyants : « À la volonté que les pratiquants du culte soient d'authentiques fidèles s'ajoutent d'ailleurs une volonté de discrétion parmi une majorité d'incroyants, une volonté de pauvreté contre une réputation de richesse bourgeoise, et toutes les nombreuses motivations d'une action missionnaire. Bref une tendance assez dynamique se fait jour faisant du lieu de culte plus un fruit qu'une semence, plus un résultat qu'une condition. Cette donnée actuelle de psychologie socio-religieuse catholique est susceptible d'influencer fondamentalement tout le mode opératoire de construction des lieux de culte. Il ne nous revient pas de le juger, mais de le constater »2008.
Il reste que ces interrogations sont rares rapportées à l’ensemble des communications et des carrefours du colloque. Ces signes de désaccord entament peu l’élan que redonnent aux responsables diocésains ces deux journées de discussions2009. La véritable rupture intervient en 1969-1970, lorsque l’épiscopat français et le CNCE posent explicitement la question d’une redéfinition des besoins en lieux de culte.
L’implantation des lieux de culte dans l’aménagement du territoire, Compte-rendu du colloque interconfessionnel tenu les 1 er et 2 février 1965 à l’UNESCO, coll. « Rencontres », 70, Paris, Cerf, 1966.
Paul Delouvrier, « Le développement du district parisien », dans L’implantation des lieux de culte…, op. cit., p. 31-49, citation p. 48-49.
Eugène Claudius-Petit, « Conclusion », dans L’implantation des lieux de culte…, op. cit., p. 311-323, citation p. 320-321.
J.B. Pailloncy, « Les lieux de culte doivent répondre aux besoins spirituels de la population », dans L’implantation des lieux de culte…, op. cit., p. 105-123, citation p. 106.
Idem, p. 113-114.
Jean Gastambide, « L’Église lieu de rassemblement des hommes », dans L’implantation des lieux de culte…, op. cit., p. 125-132, citation p. 125.
Jacques Verscheure, « Les problèmes à résoudre, les moyens à mettre en œuvre », dans L’implantation des lieux de culte…, op. cit., p. 141-182, citation p. 147.
À cet égard, nous ne partageons pas entièrement les analyses de Pierre Lebrun et d’Yvon Tranvouez selon lesquels ce colloque aurait été marqué par une perception aiguë des incertitudes de l’avenir de la part des participants et par des divergences de fond sur l’opportunité des lieux de culte. Voir Pierre Lebrun, « Le temps des églises démontables. L’architecture religieuse face aux transformations urbaines des années 1950 et 1960 », dans Histoire urbaine, 9, avril 2004, p. 111-127 ; Yvon Tranvouez, « Les catholiques et le devenir des lieux de culte en France, 1945-2005 », in Lucie K. Morisset, Luc Noppen, Thomas Coomans (éd.), Quel avenir pour quelles églises ? / What future for which churches ?, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2006 (actes du colloque de Montréal, octobre 2005), p. 239-256, en particulier p. 249. Exceptées les dissonances relevées, ce colloque fait montre, pensons-nous, d’un unanimisme assez remarquable.