Au seuil des années 1970, les catholiques ne sont pas les seuls à s’interroger sur les modalités d’un équipement adéquat pour saisir les réalités urbaines. Thierry Oblet montre que le début de la décennie 1970 se caractérise, dans le champ des politiques urbaines en France, par une contestation généralisée des grands ensembles, puis des villes nouvelles2014. La circulaire « Guichard » du 21 mars 19732015, qui donne un coup d’arrêt à la construction des ZUP, est la traduction politique d’une dénonciation quasiment unanime. L’urbanisme progressiste apparaît comme « la figure technocratique repoussoir de l’avenir des villes »2016. Certes, cette condamnation dans les revues spécialisées se déploie sur des thématiques parfois éloignées des préoccupations du Groupe national de travail sur la vie matérielle de l’Église : réhabilitation de la rue à rebours des conceptions de la Charte d’Athènes, dénonciation du zoning et de la ségrégation socio-spatiale qui en émanerait, critique d’une vision hygiéniste qui aurait créé un environnement urbain aseptisé. Il n’en demeure pas moins que certains points du débat présentent des analogies avec la remise en cause de l’implantation des lieux de culte.
Il y a d’abord la condamnation du rôle factice joué par le lieu et la proximité spatiale comme creusets d’un rapprochement des classes. Le grand ensemble n’aurait pas permis de créer une société nouvelle, différente de la ville traditionnelle. Le lieu de culte, quant à lui, ne permettrait qu’une cohabitation ponctuelle (lors de la messe dominicale) d’une communauté traversée par de forts antagonismes sociaux et culturels. Dans le premier cas, c’est l’article -cité dans le chapitre précédent - de Jean-Claude Chamboredon et de Madeleine Lemaire en 1970 qui ouvre la critique : loin d’homogénéiser les modes de vie des habitants, la promiscuité du grand ensemble avive les différences de condition sociale et renforce la violence symbolique entre les groupes de classe2017. Dans le second, l’opuscule Faut-il encore construire des églises ? synthétise les éléments du débat pour aboutir à une conclusion qui insiste sur l’écartèlement du lieu de culte : « Plus que d’autres organisations, l’Église sent bien que la structure territoriale est en train de céder le pas à une structure sectorielle […]. Le couple Éthique-Culte va se renverser grâce aux rythmes de ferveur qui sont en train de s’imposer et permettraient à chacun de fêter la Résurrection suivant son sentiment »2018.
La seconde analogie est liée à la première : le lieu de culte comme le grand ensemble ont été présentés par les autorités (civiles ou religieuses selon le cas) comme un vecteur nécessaire de l’adaptation des citadins à une nouvelle condition urbaine. Pour le premier, il s’agit d’un instrument au service de l’évangélisation d’un quartier ; pour le second, de moderniser le parc de logements en démocratisant des normes de confort. Dans les deux cas, on trouve les éléments d’une utopie civilisatrice qui fait d’un urbanisme décrété et imposé le mode privilégié de l’épanouissement personnel et communautaire2019. C’est précisément cette prétention qui est au cœur de la contestation des années 1970, dans l’Église comme dans la société française : la non-reconnaissance des aspirations des utilisateurs (locataires ou fidèles) qui ne s’approprient plus, pour une partie d’entre eux et pour les experts, des équipements qui devaient suffire à leur bonheur.
Thierry Oblet, Gouverner la ville…, op. cit., p. 131-140.
Du nom du ministre de l’Équipement de l’époque, Olivier Guichard.
Thierry Oblet, Gouverner la ville…., op. cit., p. 131.
Jean-Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire, « Proximité spatiale et distance sociale… », op. cit.
Michel Brion, « Conclusion »,, dans Jean Baboulène, Michel Brion et J.M.V. Delalande, Faut-il encore construire des églises ?, op. cit., p. 101-103, citation p. 101.
Pour le cas des grands ensembles, Voir Thierry Oblet, Gouverner la ville…, op. cit., « Les vertus civilisatrices du logement standard », p. 107-111.