5. Vendre, mais à quel prix ?

Les documents élaborés par la Commission nationale des Biens Immobiliers à partir desquels travaille la CBI de Lyon donnent des consignes assez claires sur le prix auquel une vente doit s’effectuer : « La vente à bas prix, pour des considérations d’ordre social ou même pastoral, appelle en principe de sérieuses réserves. Il convient de s’attacher au juste prix. Inversement toute opération immobilière qui serait une spéculation est condamnable »2090. Ce « juste prix », est-ce le prix du marché ? La CBI souhaite en tout cas ne jamais vendre en dessous du prix fixé par le jeu de l’offre et de la demande. Le seul cas trouvé dans les archives Delorme d’un bien ecclésiastique vendu à perte concerne un terrain rue Brédy à Villeurbanne en 1972-1973 : l’Association diocésaine perd 50 000 francs sur cette parcelle acquise dix ans auparavant, mais elle estime la transaction nécessaire pour éviter de faire doublon avec la proximité du centre culturel de l’Institut national des sciences appliquées (INSA)2091.

A contrario, d’autres cas montrent que l’Archevêché entend négocier comme n’importe quel acteur du marché foncier et immobilier. Pour la vente d’un terrain dans le quartier des Clochettes à Saint-Fons, la CBI juge préférable avant tout lancement de pourparlers de « se renseigner officieusement du prix du terrain dans ce secteur »2092. À Vénissieux, dans la rue des Minguettes, la CBI affiche une nette préférence pour un acquéreur capable de payer comptant plutôt que choisir une personne particulièrement recommandée par le curé de la paroisse mais dont les possibilités de paiement sont jugées imprécises2093. À Vaux-en-Velin, dans le quartier de la Poudrette, une parcelle est mise en vente par l’Association diocésaine mais la CBI ne souhaite pas que l’expertise effectuée soit divulguée lors des négociations en raison de son montant jugé trop faible2094.

La consultation d’experts immobiliers est une constante dans les recommandations de la CBI. Le réseau de connaissances des curés peut être mis à profit - c’est le cas pour le terrain de la rue Brédy - et certains cabinets peuvent acquérir temporairement une situation de quasi monopole pour les transactions du diocèse : un expert immobilier d’Albigny (Rhône) propose ainsi ses services à la CBI pour trois affaires au moins discutées lors de la réunion de juin 19722095. « Temporairement » cependant, car d’autres sociétés de conseil et d’expertise immobiliers sont intéressées pour travailler pour l’Archevêché. La Société Lucien-Bérard propose ainsi en février 1975 d’expertiser gratuitement les biens que l’Association diocésaine de Grenoble transfère alors à son homologue lyonnaise, le cabinet ne touchant une commission qu’en cas de transaction effective2096. L’Archevêché joue enfin sur la concurrence entre sociétés immobilières pour trouver des acquéreurs. Par exemple, pour l’immeuble déjà évoqué de la rue du Bourbonnais dans le quartier de Vaise, l’affaire est proposée simultanément à deux sociétés immobilières, « en confirmant à l’une et l’autre qu’elles n’ont pas l’exclusivité »2097.

Concernant l’ « aliénation » du patrimoine des diocèses, le document de 1972 rédigé par la Commission nationale des biens immobiliers insiste sur la nécessité de ne pas vendre pour faire face aux dépenses de fonctionnement2098. Pourtant, dans l’agglomération lyonnaise, la vente de terrains ou d’immeubles a souvent soulagé le budget des paroisses concernées. Ainsi, le curé de Vénissieux, le père Arto, demande à la CBI en juin 1974 que le prix de vente de la parcelle rue Gambetta à Vénissieux et de l’immeuble des Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul puisse être utilisé pour épurer les dettes de sa paroisse2099. À Rillieux-la-Pape, le père Marcel Flachard demande que le montant de la vente d’un terrain dans le quartier des Brosses (propriété de l’Association diocésaine depuis peu) soit affecté au paiement de réparations. L’opération est jugée « normale » par la CBI en décembre 19742100. Dans le quartier de Bonneterre à Villeurbanne, la CBI estime « raisonnable » la vente d’une parcelle de terrain inutilisée pour résorber le déficit provenant de la construction des salles paroissiales2101.

C’est donc pour assurer le bon fonctionnement des autres lieux de culte existants que certains biens sont vendus. L’exemple de Saint-Priest est éloquent de ce point de vue. Une visite sur place est organisée par les membres de la CBI pour évaluer la nécessité de garder les cinq églises et chapelles existantes peu après le transfert des biens de l’Association diocésaine de Grenoble vers son homologue de Lyon. Si l’église historique du village, construite avant 1905, est très fréquentée le dimanche, il n’en est pas de même pour la chapelle Saint-Vincent près de la gare et pour la maison d’œuvres Saint-Joseph dans le hameau de Revaison. Leur vente est envisagée, tout comme celle d’une parcelle jouxtant l’église communale de Sainte-Marguerite de Manissieux, car elle permettra de rembourser les arriérés qu’a engendrés la construction de l’église Notre-Dame-de-la-Paix sur le boulevard Édouard-Herriot. La rationalisation de l’équipement religieux s’effectue donc en fonction de trois critères : propriété des biens (seuls ceux appartenant à l’Association diocésaine peuvent à l’évidence faire l’objet d’une transaction) ; fréquentation des lieux de culte ; estimation des rentrées financières selon les lots vendus pour rembourser des dettes2102.

Notes
2090.

AAL, fonds Delorme, I. 1542, « Projet (texte à ne pas publier) "Éléments pour une recherche d’une politique pastorale de l’immobilier dans l’Église de France", par le Groupe national de travail sur la vie matérielle de l’Église », mai 1972.

2091.

AAL, fonds Delorme, I. 1542, compte-rendu de la réunion CBI du 27 février 1973.

2092.

Idem, 26 octobre 1972.

2093.

Idem, 28 novembre 1972.

2094.

Idem, 10 décembre 1974.

2095.

Idem, 28 juin 1972.

2096.

Idem, 27 février 1975.

2097.

Idem, 10 avril 1975.

2098.

AAL, fonds Delorme, I. 1542, « Projet (texte à ne pas publier) "Éléments pour une recherche d’une politique pastorale de l’immobilier dans l’Église de France", par le Groupe national de travail sur la vie matérielle de l’Église », mai 1972.

2099.

AAL, fonds Delorme, I. 1542, compte-rendu de la réunion CBI du 25 juin 1974.

2100.

Idem, 10 décembre 1974.

2101.

Idem, 10 décembre 1974 et 28 janvier 1975.

2102.

AAL, fonds Delorme, I. 1542, compte-rendu de visite de la CBI à Saint-Priest le 12 novembre 1973.