Le texte voté par l’Assemblée de Lourdes qui accepte « la mise en place progressive de nouvelles unités pastorales répondant aux nécessités de la mission »2114 ressemble fort à la description que le diocèse de Lyon a diffusée pour la création de « secteurs pastoraux » quelques mois auparavant. Unités de concertation, devant en particulier faciliter les initiatives et la responsabilité pastorale, elles correspondent à des ensembles humains dans un périmètre périlleux à établir : il faut les définir de façon assez large (sociologiquement et géographiquement) pour là encore « ressaisir une partie importante de la vie sociale », mais tout en gardant une proximité avec les personnes et les communautés humaines ; lieux de la collaboration habituelle et organique des laïcs, religieux, religieuses, prêtres et évêques, elles doivent également intégrer un certain nombre de fonctions assumées traditionnellement par la seule paroisse ou par les seuls mouvements apostoliques (sacrements, catéchèse, évangélisation)2115. De fait, les UPN remplacent les archiprêtrés.
La mise en place des unités pastorales nouvelles ne se fait pas sans résistances. Plusieurs prêtres de l’archidiaconé Saint-Jean ne comprennent pas pourquoi les douze anciens secteurs de 1964 puis les « secteurs pastoraux » esquissés en juillet 1969 seraient à nouveau remplacés par des UPN. Une partie du clergé dit se reconnaître pleinement dans les anciens secteurs, notamment ceux de Brotteaux-Guillotière, Villeurbanne, Lyon-centre, et Caluire-Croix-Rousse : à quoi bon casser ce qui fonctionne ?
L’archidiacre Maurice Delorme concède que ces anciens secteurs « semblent correspondre à une certaine unité » et ceux qui viennent d’être cités sont par conséquent reconduits comme échelons intermédiaires entre UPN et agglomération2116. D’où une situation boiteuse à partir du printemps 1970 : dans les réunions de mise en place des UPN siègent à la fois des « responsables "anciens secteurs" » et les « responsables déjà désignés de nouveaux "secteurs pastoraux" »2117. Cette situation se poursuit au moins jusqu’en mars 19712118, c’est-à-dire malgré la publication officielle de la liste des vingt-et-une UPN de l’agglomération lyonnaise en janvier 1971. Cette liste est intéressante car elle est le fruit, sinon d’une négociation, au moins d’un arbitrage qui a pris en compte les réticences de certains prêtres. Il n’est pas toujours question d’Unités Pastorales Nouvelles mais seulement d’ « unités pastorales ». En outre, ces vingt-et-une UPN sont réparties en neuf groupes sans dénomination, qui correspondent en fait aux anciens secteurs territoriaux de 1964. Mais ces groupes ou anciens secteurs sont eux-mêmes morcelés en plusieurs unités pastorales. Ainsi, l’ancien secteur de Caluire-Croix-Rousse est divisé en deux, ceux de Brotteaux-Guillotière et de Villeurbanne en trois, comme l’indique le tableau ci-dessous :
Centre : 2 UPN, Centre nord (29) et Centre sud (16) Croix-Rousse : 2 UPN, Croix-Rousse (35) et Caluire (17) Monplaisir : 3 UPN, Bron (15) et 2 « encore inorganisées » (41) Guillotière-Brotteaux : 3 UPN : Guillotière (26), Part-Dieu (19), Brotteaux (29) Colline Écully : 3 UPN : Sainte-Foy-Francheville (11), Saint-Just-Ménival-Tassin (20) et Écully (20) Oullins-Givors : 1 UPN : Oullins (21) Vaise : 1 UPN, Vaise (15) Villeurbanne : 3 UPN, Villeurbanne-Nord (24), Villeurbanne-Sud (30) et Est de Villeurbanne (16) Lyon-Est : 3 UPN : Etats-Unis - Grand Trou - Gerland (20), Vénissieux-Saint-Priest (18) et Saint-Fons-les Minguettes (15) |
Il reste que cette nouvelle répartition des tâches pastorales dans l’agglomération lyonnaise persiste à exaspérer une partie du clergé diocésain, qui rechigne à se constituer en nouvelles équipes. L’archidiacre Maurice Delorme doit ainsi user de pédagogie et de diplomatie pour vaincre les réserves de ses confrères. Ce qui d’après lui relève encore une fois d’un problème de langage ne doit pas occulter l’essentiel : « Les Unités pastorales de Lyon : ce sont les nouveaux secteurs pastoraux ou encore les équipes sacerdotales aux ministères diversifiés telles qu'elles essaient de se constituer. Si c'est une meilleure manière de travailler entre prêtres, entre tous les prêtres, ne chicanons pas sur les hésitations du vocabulaire : secteur pastoral ? Unité pastorale ? Pourvu que la volonté de travailler à tous les échelons entre laïcs, religieux et religieuses, prêtres, reste première ! »2120. Un questionnaire sur les UPN est par ailleurs envoyé aux prêtres pour qu’ils puissent s’exprimer sur la question. Il en ressort que sous la même expression, chacun entend des réalités différentes. En particulier, le dépouillement effectué par le vicaire général Delorme montre que la mise en place des UPN a été freinée notamment par un refus de la bureaucratie chez les prêtres : les structures nouvelles ne sont parfois pas reconnues ; elles sont jugées inefficaces, lourdes et inadaptées au réel, sans instance de dialogue. L’archidiacre y voit en partie la marque d’un certain conservatisme fait d’inertie et de frilosité face à la nouveauté et la prise de responsabilités, surtout lorsque celles-ci se drapent dans un habillage institutionnel inédit. Parmi les autres causes des résistances, le père Delorme relève des tensions entre membres du clergé ; de plus, l’Action catholique spécialisée craint d’être marginalisée par les UPN. Pour les prêtres exerçant leur charge dans l’agglomération, s’ajoute enfin l’expérience de la complexité de la grande ville qui paraît inhiber les efforts pastoraux2121. En 1974, l’appellation « UPN » est abandonnée pour revenir au terme plus classique de « secteur », alors même que le découpage reste inchangé2122.
Il est enfin utile de souligner que la création des UPN n’est pas sans lien avec l’échec du Conseil du presbyterium dans le diocèse de Lyon au début des années 1970, dont il paraît nécessaire de rappeler quelques éléments d’histoire2123. Les délégués élus pour la première session de mars 1968 sont issus de trois « sources » possibles de suffrage : la première rassemble les prêtres insérés dans les paroisses ; la seconde concerne les prêtres engagés dans les mouvements, les services diocésains ou l'enseignement catholique, c’est-à-dire plus particulièrement attachés à des fonctions ; la troisième n’est pas un vote, mais la désignation de prêtres par l’archevêque (un tiers des délégués). François Odinet évoque des « discussions difficiles et parfois agitées » lors des séances, en raison notamment de l’opposition entre prêtres attachés à une conception territoriale de la paroisse (issus très majoritairement de la première source de suffrage) et ceux davantage préoccupés d’une pastorale des milieux (deuxième source).
Lors de la session des 26-27 mars 1968 est élu pour trois ans un Conseil provisoire de quinze délégués, présidé par l'archevêque, chargé en particulier de définir la loi électorale pour le renouvellement du Conseil du prebyterium. Ce n’est qu’en mai 1972 que le projet est adopté, ce qui témoigne de vifs débats au sein du Conseil provisoire. Cette loi électorale institue deux collèges pour les élections : dans le premier, on vote désormais par UPN ; dans le second, par « unité de ministères » pour les prêtres qui ne font pas partie d'une UPN. Néanmoins, beaucoup de prêtres ont un double ministère et peuvent choisir le collège dans lequel ils sont électeurs. Cette loi électorale, complexe, s’avère inapplicable. L’archevêque décide d’ajourner les élections et redéfinit de manière floue les perspectives de représentation du clergé au sein des instances diocésaines : « Commencer par travailler au niveau des archidiaconés, ne pas abandonner le principe d'une représentation autre que territoriale, garder la perspective, à plus ou moins long terme, de la réunion du Conseil du presbyterium diocésain »2124. Les archidiaconés doivent s'organiser selon les modalités qui leur paraissent les plus appropriées. Il semble en réalité qu'aucune instance n’est alors constituée. Les archidiacres ne disposent pas auprès d'eux d'une véritable instance de consultation des prêtres, ni d'une assemblée qui permette la coordination des secteurs pastoraux. Le Conseil du presbyterium n’est donc plus qu’une coquille vide au milieu des années 19702125.
La mise en place des UPN intervient donc dans un contexte politique diocésain particulièrement tendu, qui a peut-être contribué à en masquer la visibilité. Il en va un peu différemment pour la réorganisation apostolique du Centre-Est et avant tout pour sa principale réalisation, l’érection du diocèse de Saint-Étienne.
« Lourdes 1969, l'Assemblée évêques-prêtres (6-8 novembre) », La Documentation catholique, 1552, 7 décembre 1969, col. 1064-1065, citation col. 1064.
« Unités Pastorales Nouvelles (extraits de la déclaration votée par l'Assemblée évêques-prêtres avant le scrutin sur les propositions pratiques) », Église de Lyon du 19 décembre 1969.
« Unités pastorales nouvelles », Église de Lyon du 23 janvier 1970.
« Rencontre des archiprêtres de l'archidiaconé Saint-Pierre …et des "responsables" de l'archidiaconé Saint-Jean », Église de Lyon du 1er mai 1970.
Cas d’une réunion annoncée dans « Lyon - Communauté urbaine », Église de Lyon du 22 janvier 1971.
AAL, fonds Delorme, I. 1525, « Unités pastorales de Lyon », 9 janvier 1971.
« Lyon communauté urbaine », par le père Maurice Delorme, Église de Lyon du 22 janvier 1971.
AAL, fonds Delorme, I. 1525, « Réponses à la grille sur les UPN », sans date.
« Restructuration de l’Église dans l’agglomération lyonnaise », Église de Lyon du 29 septembre 1988.
Ce paragraphe s’inspire du remarquable travail de François Odinet, L'épiscopat du cardinal Alexandre-Charles Renard …, op. cit.
Église de Lyon du 18 mai 1973, cité par François Odinet, L'épiscopat du cardinal Alexandre-Charles Renard…, op. cit., p. 141.
Idem.