C. Les tentatives de mise en place d’une pastorale d’agglomération

1. Le contexte : les réflexions du groupe des Responsables pastoraux des grandes villes (RPGV)

Les tentatives de mise en place d’une pastorale pour l’agglomération s’inscrivent dans un mouvement plus vaste à l’échelle nationale de réflexion sur les modalités d’une action pastorale dans l’espace de la grande ville. En mars 1969, le Secrétariat de l’Épiscopat provoquait une rencontre nationale des vicaires généraux au titre de responsables pastoraux des « villes métropoles » : « Les villes métropoles font l’objet de multiples colloques et sessions d’études. Vous savez la complexité des problèmes pastoraux de ces grandes villes. Une rencontre entre vous pourrait permettre la collecte des questions les plus importantes, l’apport d’expériences diverses et peut-être l’amorce d’une certaine convergence des efforts ». Le terme « métropole » suscite immédiatement des réactions de la part des vicaires généraux concernés. Il effraie quelque peu les responsables religieux : « La dimension "métropole" est encore trop floue, trop neuve au plan économique, administratif, pour que notre pastorale soit déjà en prise sur cette réalité qui émerge à peine »2138. L’expression plus modeste et plus courante de « grande ville »est préférée.Ce groupe, « approuvé, sans statut officiel, dans une grande liberté d’expression et de recherche », se réunit régulièrement : quatorze fois en cinq ans, entre mars 1969 et mars 1974. À partir de mars 1973, un rythme satisfaisant de deux sessions annuelles de deux jours est trouvé2139. À cette date également, le cercle de réflexion s’élargit aux responsables pastoraux de toutes les grandes villes, métropoles ou non, de plus de 200 000 habitants. Les diocèses qui envoient un vicaire général à Paris pour ces sessions sont donc, en mars 1973 : Paris, Lyon, Saint-Étienne, Grenoble, Nice, Toulon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Rouen, Lille, Cambrai, Nancy, Metz et Strasbourg2140. À ces prêtres s’ajoutent le chanoine Boulard et quatre évêques. La liste ci-dessous détaille le nom et ponctuellement le parcours des RPGV en mars 1973 :

Fig. 21 : Liste des Responsables pastoraux des grandes villes en novembre 1973.





Évêques :
- Mgr Gabriel MatagrinGRENOBLE



Évêques auxiliaires :
Louis BoffetLYON
René Dupanloup 2142 NICE
Jean-François Motte 2143 CAMBRAI
Vicaires généraux
Jean Bohn 2144 NANCY
Roger BourratSAINT-ÉTIENNE
André CocaudSTRASBOURG
Maurice DelormeLYON
Jacques Despierre 2145 TOULOUSE
Yves EouzanTOULON
Philippe GuérinMARSEILLE
Alphonse HonoréLILLE
André KleinGRENOBLE
Albert LeparouxNANTES
Jean-Marie LoizillonBORDEAUX
Philippe MalandrinROUEN
Robert MarionGRENOBLE
Maurice ReibelMETZ
Louis RoulNANTES
Michel Saudreau 2146 PARIS
Fernand BoulardPARIS
Gérard Defois 2147 PARIS

Les séances de travail sont préparées par chaque vicaire général qui envoie un compte-rendu de son expérience au responsable des RPGV quelques jours avant la réunion. Les thématiques abordées envisagent le plus souvent la ville dans sa globalité, à partir d’expériences vécues sur le terrain, au croisement de questions sociologiques ou géographiques et d’interrogations pastorales.

Fig. 22 : Récapitulatif des principaux sujets à l’ordre du jour des réunions RPGV entre mars 1969 et décembre 1974.
10 mars 1969 Présentation de quelques villes (dont Lyon) et inventaire de quelques questions à traiter
16 juin 1969 Le centre-ville. Exposé du père Klaine
18 novembre 1969 La pastorale des centres-villes. Unités de travail à la base (Mgr Motte)
4 février 1970 Mise en place des UPN dans nos villes
26 mai 1970 Les réalités collectives dans nos villes, à partir de deux expériences : Nantes, Metz ; prise en charge apostolique ; les nominations ; une liste de pistes à explorer
4 novembre 1970 L’équipe animatrice du centre-ville
24 février 1971 Projets…Visées… priorités
19 mai 1971 « Projet pastoral » (expériences de Grenoble, Strasbourg, Marseille) ; information sur le tourisme
14 mars 1972 La ZUP et les villes satellites ; information sur la rencontre de Strasbourg
6 juin 1972 L’archidiacre et la ZUP
20 novembre 1972 Idem
5-6 mars 1973 Le rôle de synthèse du RPGV
26-27 novembre 1973 Les communautés chrétiennes diversifiées de la grande ville
18-19 mars 1974 Les phénomènes nouveaux dans la grande ville
2-3 décembre 1974 « Déclergification » ou « promotion du laïcat ? »

Deux responsables diocésains représentent Lyon lors de ces rencontres, l’archidiacre de Saint-Jean Maurice Delorme et l’évêque auxiliaire Louis Boffet. Le premier a été nommé par le cardinal Renard vicaire épiscopal pour l'est de Lyon en 1969, puis archidiacre de Lyon et de son agglomération en 1970. C’est également à cette date que le second a remplacé Mgr Matagrin après sa nomination au siège épiscopal de Grenoble. Né en 1921 à Chauffailles (Saône-et-Loire), ordonné prêtre en 1947, Louis Boffet est d’abord nommé vicaire à la cathédrale d'Autun. Aumônier du lycée en juin 1951, il est également chargé de la JEC et de la JECF de Saône-et-Loire. Trois ans plus tard, il devient aumônier diocésain de l'Action catholique rurale. En avril 1963, il obtient la cure de Louhans et est promu responsable de la zone pastorale de la Bresse, de Chalon et de Mâcon, avec leurs zones urbaines et rurales. Il a également été choisi par les vicaires généraux de la région apostolique du Centre-Est comme responsable de leur équipe de travail 2149.

Nommé secrétaire général de la pastorale par le cardinal Renard, Louis Boffet est donc chargé de la coordination de la pastorale diocésaine. Cette mission épiscopale porte en particulier sur la mise en place des UPN, sur le bon fonctionnement des services diocésains et sur « la recherche en vue d'un futur Conseil de pastorale ». Il est plus spécialement affecté à la résolution des problèmes touchant les archidiaconés du Rhône et leurs relations réciproques, « étant donné l'importance de l'agglomération lyonnaise et son influence sur l'ensemble du département »2150. Il est à noter cependant que sa fonction exacte reste floue : « Le contenu de la fonction de coordination se précisera à la lumière de l'expérience »2151, ce qui en dit long sur la perplexité et l’indétermination de l’archevêque sur la nature des travaux à engager pour fonder une véritable pastorale urbaine.

Ces deux responsables diocésains sont à l’origine du projet de pastorale d’agglomération initié à partir de 1970. En février, alors qu’il n’est pas encore évêque auxiliaire, le père Boffet organise une session pour les animateurs de zone de toute la région apostolique du Centre-Est2152. Au cours de cette journée sont étudiés les phénomènes d’interdépendance géographique à toutes les échelles : entre une métropole et sa région, entre départements, entre villes et campagnes. À l’aide d’un partage d’expériences dans l’espace urbain, un travail d’approfondissement est engagé sur « une pastorale de zone qui se cherche » et « la prise de conscience, ensemble, d’une réalité régionale »2153. La réflexion est loin d’être aboutie et n’obéit que très peu à des schémas préétablis : un empirisme érigé quasiment en ligne de conduite préside aux débats.

Quelques mois plus tard, ces réflexions se concrétisent dans le projet d’une pastorale urbaine dans le diocèse de Lyon. Le 24 décembre 1970, est organisée une première réunion autour d’un « projet pastoral de l’agglomération lyonnaise ». Autour de Mgr Boffet, de Maurice Delorme et du père Dunand (chargé de l’apostolat des laïcs dans le diocèse), il s’agit de « débroussailler » cette question en partant de ce qui existe déjà : les aumôneries des différents secteurs de la vie collective (hôpitaux, écoles, Action catholique), et les pastorales spécifiques (migrants, catéchuménat, temporel de l’Église), afin de mettre en commun les visions d’ensemble de la grande ville. L’objectif est de susciter une pastorale« qui tienne compte effectivement de l’unité et de la globalité de l’agglomération lyonnaise ».

De nombreuses pistes sont proposées, qui montrent que l’urbain est pensé dans un sens très large : les actions envisagées concernent des groupes professionnels particuliers (commerçants, professions libérales, monde de la banque), des territoires (centre-ville et nouveau centre tertiaire, ZUP et grands ensembles), des populations reléguées dans l’espace urbain (malades, marginaux, vieillards) ou encore des engagements sans lien direct apparent avec l’urbanisation (action pour la paix, engagements politiques, presse et moyens de communication sociale, liturgie et pastorale sacramentelle). Un inventaire à la Prévert en somme, qui mêle des préoccupations propres à la vie d’une entreprise ou d’une branche industrielle (« Berliet », « la Chimie ») à une attention particulière pour l’émergence des « petits groupes et communautés de foi » en recherche à Lyon. L’archidiacre explique le sens de la démarche : « Nous voulons saisir l’agglomération lyonnaise dans son unité, dans son ensemble, à partir d’aspects fonctionnels et sociologiques. Remettre de l’ordre dans la liste (à compléter) devrait faire entrevoir les nervures d’un projet pastoral pour Lyon »2154.

Il s’agit donc bien de partir de données préexistantes. Le but n’est pas tant de créer ou d’inventer que de faire émerger des représentations qu’une spécialisation nécessaire mais insuffisante cache aux responsables diocésains. De ce point de vue, le projet Delorme-Boffet est en phase avec la ligne suivie par le groupe des RPGV : le responsable pastoral de grande ville est celui qui dévoile, il rend palpable et distinct ce qui était enfoui et confus. Il met à jour des éléments communs dans le foisonnement d’activités et de réflexions qui sont le lot quotidien des pastorales spécialisées. Il rend visible et met en perspective ce qui relève traditionnellement d’une action géographiquement ou sociologiquement située et limitée. Pour Fernand Boulard qui fait la synthèse des travaux des sessions RPGV, le vicaire général (ou l’archidiacre) en charge de l’agglomération est un « révélateur » : il aide chaque groupe « à élucider le non-exprimé pour percevoir richesses et limites »2155. C’est en tout cas à cette tâche de synthèse que vont se consacrer Louis Boffet et Maurice Delorme, en suscitant des groupes de travail souvent informels qui se recomposent au fil des réflexions menées et de l’audience rencontrée.

Notes
2138.

AAL, fonds Delorme, I. 1525, « Cinq années de réflexion sur la pastorale des grandes villes », projet de note du Secrétariat de l’Épiscopat par le chanoine Boulard, 1974.

2139.

Les Archives diocésaines de Lyon (fonds Delorme et Louis Boffet) gardent la trace de ces rencontres RPGV jusqu’en novembre 1977.

2140.

AAL, fonds Delorme, I. 1525, « Cinq années de réflexion sur la pastorale des grandes villes »…, op. cit.

2141.

AAL, fonds Delorme, I. 1525 bis.

2142.

René Dupanloup (1923-1994) a été ordonné prêtre en 1946. Il est évêque auxiliaire de Nice entre 1970 et 1973. Il est choisi comme évêque auxiliaire de Belley-Ars (1973-1975), puis nommé évêque de ce diocèse (1975-1986).

2143.

Jean-François Motte (1913-2001) a été ordonné en 1938 dans l’ordre franciscain. Il est directeur du Centre pastoral des missions à l’intérieur (CPMI), et évêque auxiliaire de Cambrai depuis 1968. Il garde cette charge jusqu’en 1985.

2144.

Jean Bohn (1925-1991) a été ordonné en 1950. Nommé évêque de Rodez en 1974, il occupe sa charge jusqu’à sa mort.

2145.

Jacques Despierre (né en 1928) a été ordonné prêtre (dans la communauté du Prado) en 1952. Il fut l’évêque de Carcassonne entre 1982 et 2004.

2146.

Michel Saudreau (1928-2007) a été ordonné en 1953. Il fut évêque du Havre entre 1974 et 2003.

2147.

Gérard Defois (né en 1931) a été ordonné en 1956. Nommé évêque coadjuteur de Sens-Auxerre en 1990, il devient évêque de ce diocèse la même année. En 1995, il est nommé archevêque de Reims, puis archevêque de Lille de 1998 à 2008.

2148.

AAL, fonds Delorme, I. 1525, Secrétariat général de l’Épiscopat, « table des matières des sujets abordés aux rencontres des RPGV ». Les intitulés sont repris sans modifications.

2149.

« Mgr Louis Boffet est nommé évêque à Lyon », Église de Lyon du 3 juillet 1970. En 1975, il est nommé évêque coadjuteur de Montpellier, puis évêque du même diocèse entre 1976 et 1996. Il est décédé en 1997.

2150.

« La charge épiscopale de Mgr Boffet », Église de Lyon du 3 octobre 1970.

2151.

Idem.

2152.

« Mgr Louis Boffet est nommé évêque à Lyon », Église de Lyon du 3 juillet 1970.

2153.

AAL, fonds Delorme, I. 1516, programme de la session régionale des animateurs de zone de la région apostolique Centre-Est, 25 février 1970.

2154.

AAL, fonds JacquesFaivre, I. 1266, lettre-type du vicaire général Maurice Delorme, 15 décembre 1970.

2155.

AAL, fonds Delorme, I. 1525, « Cinq années de réflexion sur la pastorale des grandes villes », projet de note du Secrétariat de l’Épiscopat par le chanoine Boulard, 1974.