En janvier 1971, c’est-à-dire dans la lancée de la réunion du 24 décembre, Maurice Delorme propose de créer une nouvelle rubrique dans Église de Lyon, qui serait conçue comme un espace de diffusion d’informations et de dialogue au service d’une pastorale d’agglomération : « Cette rubrique aura la suite que vous lui ferez. Elle voudrait aider à un regard pastoral sur l'agglomération lyonnaise »2156. C’est donc une façon nouvelle et originale d’envisager le bulletin diocésain. Jusqu’ici, la fonction principale d’Église de Lyon était certes la diffusion de l’information, mais dans un sens exclusivement « descendant », de l’autorité diocésaine vers les prêtres du diocèse. Désormais, le bulletin diocésain peut favoriser la circulation de l’information, « verticalement » mais aussi « horizontalement », entre prêtres. Certes, l’Archevêché est toujours le maître d’œuvre, sur le plan matériel (la confection du bulletin) comme sur le plan doctrinal. Mais l’archidiacre souhaite créer une brèche dans cet espace clos et fortement centralisé qu’est le bulletin, pour en faire un outil de travail au service de la pastorale urbaine du diocèse. À ce titre, en suscitant une parole plus libre, il fait passer l’équipe de rédaction d’une fonction de censeur à celle de régulateur ou de modérateur.
Les sujets abordés au sein de cette rubrique intitulée « Lyon - Communauté urbaine » sont d’une grande diversité de contenu : mise en place des UPN, essor d’une pastorale des commerçants au sein de l’ACI, réflexions sur la notion de centre-ville, partage d’expériences de militants et de prêtres en monde ouvrier, annonce d’un plan comptable pour rationaliser la situation financière des paroisses urbaines. Une initiative est à souligner dans le cadre d’une « mutualisation » des ressources à l’échelle de l’agglomération : Maurice Delorme appelle chaque curé à lui faire parvenir un exemplaire des bulletins paroissiaux, inter-paroissiaux ou « toutes feuilles ronéotées et distribuées à la sortie des églises ». Le Centre diocésain d’information pourrait ainsi proposer une vue d’ensemble de la presse paroissiale à l’échelle de la grande ville. « C'est une vieille passion », explique l’archidiacre de Saint-Jean, « je croisà la presse et même à cette "petite" presse. Un jour ou l'autre la présentation de l'éventail de ces écrits - très lus, croyez-moi - ne serait pas sans intérêt »2157.
Cette rubrique ouverte sur la vie pastorale de l’agglomération ne dure pourtant qu’un temps : après quatre apparitions entre janvier et mai 19712158, elle disparaît du bulletin diocésain. Faut-il y voir l’échec d’une vision « urbaine » de la pastorale ? On peut en tout cas rapprocher cette tentative avortée du constat que dresse le chanoine Boulard des difficultés rencontrées par les RPGV pour convaincre leurs confrères du bien-fondé de leur démarche. Susciter une équipe sacerdotale qui « pense » la pastorale de la ville se heurte en effet à des problèmes de méthode ainsi qu’à des difficultés liées aux représentations. Sur le plan méthodologique, comment éviter le simple inventaire des réalités collectives ? Quelles réalités globales choisir dans la pluralité des expériences vécues dans le diocèse, qui échappent à la seule addition des pastorales de milieux ? Quant aux représentations, elles sont étroitement liées à l’histoire et à la sociologie du militantisme catholique : le RPGV comme l’archidiacre véhiculent une image d’ « homme du territorial », c’est-à-dire en accord avec une conception de la paroisse centrée sur des démarches religieuses traditionnelles (pratique régulière, participation au réseau de charité et d’animation autour du curé). Chantre d’un pluralisme qui passe pour aseptisé et faussement neutre pour les tenants d’une pastorale des milieux, l’archidiacre a la lourde tâche de favoriser la communication, opportunément et loyalement, entre groupes divergents, tout en maintenant une cohérence et un droit de critique à partir d’ « orientations prioritaires »2159. Rendre compatibles entre elles des façons de vivre différemment l’Évangile, ne pas choisir entre la masse et les militants, chercher les moyens d’une présence d’Église sans collusion avec les laïcs, chrétiens ou non, qui travaillent à l’aménagement de la ville : la tâche paraît immense et quasiment insurmontable pour un responsable diocésain isolé, et le bulletin diocésain apparaît comme un outil bien dérisoire.
Car la mise en place d’une pastorale urbaine croise l’ensemble des enjeux ecclésiaux du début des années 1970 : crise de l’autorité des évêques, épuisement d’un modèle militant, émergence de nouvelles formes d’expériences collectives de foi, difficultés croissantes à discerner des lignes claires dans le foisonnement des initiatives à la base. Les problématiques du temps ne sont pas seulement celles de l’Église, mais aussi celle d’un tournant dans l’histoire de la société française : début de la crise économique, dénonciations tous azimuts de la consommation et des modèles culturels dominants dans la suite des évènements de Mai, émergence d’une société de l’information, critiques sur la censure des médias officiels2160.
Maurice Delorme et Louis Boffet tentent de susciter un nouvel élan sur la question d’une pastorale urbaine à partir d’une réflexion sur les ZUP de l’agglomération lyonnaise en novembre 1972. Il s’agit dans leur esprit de faire prendre conscience du phénomène « grande ville » par le biais des grands ensembles. C’est par le détour par les marges de la ville que l’Église peut peut-être espérer construire une pastorale urbaine.
« Lyon - Communauté urbaine », Église de Lyon du 29 janvier 1971.
Idem.
Église de Lyon des 22 janvier, 29 janvier, 5 février et 28 mai 1971.
AAL, fonds Delorme, I. 1525, « Cinq années de réflexion sur la pastorale des grandes villes », projet de note du Secrétariat de l’Épiscopat par le chanoine Boulard, 1974.
Pour une vue d’ensemble, voir par exemple 1966-1996 : la passion des idées, Le Magazine littéraire, hors-série n°1.