5. Les réunions d’ « animateurs de secteur de l’archidiaconé Saint-Jean » (février 1973 - octobre 1974)

Lorsque les RPGV réunis à Paris se séparent les 5-6 mars 1973 à la fin de leur session, ils retiennent comme thème de la réunion de novembre « les communautés chrétiennes diversifiées dans une grande ville ». Maurice Delorme et Louis Boffet, présents à cette session de mars, saisissent cette échéance pour en faire un levier de pastorale urbaine dans le diocèse.

À la fin du mois de mars, ils convoquent les animateurs de secteur de l’archidiaconé Saint-Jean - c’est-à-dire de l’agglomération lyonnaise - pour une réflexion qui croise plusieurs enjeux particulièrement sensibles en ville : l’émergence des communautés de base, la place du laïcat, le pluralisme des options pastorales. Le texte rédigé par Maurice Delorme, intitulé « Communautés chrétiennes diversifiées de l’agglomération lyonnaise. Place respective des prêtres, religieux, religieuses et laïcs dans ces communautés », sert de base de discussion. Ce travail de réflexion s’inscrit également dans la continuité d’une première réunion à Fourvière en février 1973, qui a vu ces mêmes animateurs de secteur de l’archidiaconé Saint-Jean débattre sur les attitudes du clergé face au pluralisme des options pastorales. Plusieurs responsables de secteur sont intéressés, parmi lesquels les pères Daniel Vandenbergh (futur archidiacre de Saint-Jean), Guy Geisler, Robert Beauvery et René Auboyer2181.

La réunion initialement prévue le 10 mai 1973 est repoussée pour une raison inconnue au 20 septembre de la même année, à la Maison Saint-Joseph de Francheville. Sans doute le travail entamé avec l’« équipe de travail pour l’archidiaconé Saint-Jean » a-t-il suscité des modifications. Car la réunion du 20 septembre ne porte plus sur uniquement sur les communautés chrétiennes diversifiées mais plus globalement sur les problèmes qui se posent à l’ensemble de l’agglomération lyonnaise. En présence du cardinal, chaque animateur de secteur est invité à évoquer ce qu’il vit, comme la naissance d’une communauté de base à la Croix-Rousse ou la participation appréciée de religieuses et de laïcs à une rencontre initialement réservée aux prêtres dans le secteur pastoral d’Oullins. L’objectif est là encore de suppléer à un manque d’information, preuve d’une « communication dont on n'arrive pas à trouver suffisamment les formes adaptées » 2182.

Une partie de ces responsables de secteur hésitent cependant à s’impliquer dans la démarche : ils craignent d’être utilisés pour faire passer un mot d’ordre auprès de leurs collègues prêtres, sous couvert de participation à ce nouveau type de réunion à l’échelle de l’archidiaconé. « Une certaine méfiance à l'égard de la structure elle-même est peut-être dépassée », ose espérer Maurice Delorme, « dans la mesure où l'on a vérifié qu'il s'agit de partager ce qui se vit, ce qui se fait ici et là, et non pas de faire passer une politique à tout prix » 2183. Faire le récit des expériences, confronter le vécu est donc aussi une stratégie pour ne pas susciter les oppositions. Toute théorisation est récusée pour éviter les critiques. Maurice Delorme doit de fait minimiser la portée du travail effectué pour n’éveiller aucun soupçon d’autoritarisme : « On vient simplement apporter ce qu'on fait et savoir ce qui se fait ailleurs… » ; « D'où cette sorte de grille [document de quatre pages tout de même] pour un regard pastoral sur l'agglomération lyonnaise. Moyen pratique, sans plus ! […] Il n'est pas question de vouloir tout faire entrer dans ce cadre ni même de trop faire attention au cadre » ; « Le 20 septembre, nous voulions principalement nous interroger sur des situations concrètes »2184. Seules sont soulignées la mise en commun des expériences et la notion de « co-responsabilité » à l’échelle de la ville, formule sans doute trop vague pour engager le clergé dans une réflexion de fond sur la pastorale urbaine.

Surtout, l’archidiacre rassure les prêtres sur l’institutionnalisation de ce type de rencontres : il ne s’agit pas de baptiser une nouvelle structure « équipe pastorale ». Mais quelle crédibilité et quelle légitimité alors espérer, si l’initiateur même de ces rencontres de pastorale urbaine refuse toute formalisation ? Sur quelles bases la pérennité de ce type de rencontres est-elle possible ? Lors de la réunion suivante, le 10 janvier 1974, les animateurs de secteur dressent une nouvelle fois la liste des « choses vécues », des célébrations pénitentielles de Noël aux difficultés d’une pastorale de la santé, en passant par les préparations au baptême et le dialogue avec les non-croyants. Il semble que la rencontre n’ait pas pleinement satisfait les participants. Pour éviter que la pastorale urbaine ne se résume à un inventaire, des prêtres proposent qu’une « préparation sérieuse » soit envoyée aux animateurs de secteur avant la rencontre, qui prenne notamment en considération des « critères d’écclésialité » sur les phénomènes nouveaux évoquées en réunion2185. La démarche proposée par Maurice Delorme et Louis Boffet répond par conséquent à une demande des prêtres, y compris en matière de normes pour définir un « dedans » et un « dehors » de l’Église. C’est manifestement la trop grande ouverture et l’absence de directives claires de la part de l’autorité diocésaine qui posent problème aux membres du clergé.

Le champ de la pastorale urbaine est donc significatif d’un double mouvement contradictoire chez les prêtres : d’une part, manifester qu’ils ne sont pas dupes du discours du magistère qui légitime son autorité par des efforts de concertation ; d’autre part, critiquer ce même discours lorsqu’il n’est pas assez normatif. Ce paradoxe n’est sans doute qu’apparent : il traduit surtout une crise du langage à l’intérieur du clergé. Tout mot fait problème et éveille un soupçon d’autoritarisme. À ce titre, la reconnaissance d’un pluralisme politique et pastoral n’a peut-être pas toujours aidé les prêtres : au contraire, il a renforcé un sentiment d’équivoque permanente, comme si se trouvait désormais dépliée une infinité de possibles qui déconcertent et remettent en cause le statut même du prêtre et de l’Église dans les sociétés urbaines. À quoi sert-il de discerner s’il s’agit seulement de recenser ce qui existe ? Comment parler un langage commun, quand le pluralisme ouvre un espace gros d’ambiguïtés non résolues ?

L’idée est donc de s’en tenir à des « aspects pratiques et opérationnels » pour résoudre un certain nombre de difficultés pastorales (élections mouvementées au Conseil presbytéral, interrogations autour d’une pastorale des ZUP) qui émergent à l’échelle de l’agglomération lyonnaise. Maurice Delorme et Louis Boffet espèrent la collaboration des pères Christian Montfalcon, Georges Agar, Martin Dunand, ainsi que celle plus improbable de Mgr Alfred Ancel2186. Ont-ils tous répondu favorablement à cet appel ? Il semble que non, car l’ « Équipe lyonnaise » - nouveau nom d’un groupe de travail chargé d’une pastorale de l’agglomération - qui se met en place en octobre 1974, soit un peu plus d’un an et demi plus tard, ne s’appuie pas sur ces personnalités du diocèse.

Notes
2181.

AAL, fonds Jacques Faivre, I.1266, lettre de l’archidiacre Maurice Delorme et de Mgr Louis Boffet aux animateurs de secteur de l’archidiaconé de Lyon, 21 mars 1973.

2182.

« Saisir les grands problèmes de l’agglomération lyonnaise », Église de Lyon du 5 octobre 1973.

2183.

Idem.

2184.

Idem.

2185.

« Des choses nouvelles… », par Maurice Delorme, Église de Lyon du 25 janvier 1974.

2186.

AAL, fonds Jacques Faivre, I. 1266, lettre de Maurice Delorme, 3 mars 1973.