B. Les difficultés de mise en place et de fonctionnement

Plusieurs difficultés ont en effet quelque peu entravé le démarrage et le bon fonctionnement de « Mains Ouvertes ».

1. L’œcuménisme en actes

La première tient au caractère « œcuménique » que Jean Latreille souhaite voir appliquer au centre d’accueil. Si le principe d’une association « à caractère œcuménique » (en outre nécessaire à l’agrément par la Ville pour l’obtention d’un local) est dit « bien acquis » par le Conseil archiépiscopal, se pose le problème de la création d’une association qui ait pour membres fondateurs l’Association diocésaine et d’autres associations cultuelles : « unanimement, il a été décidé que la chose n’était pas possible » affirme le Conseil par la voix du chancelier Buttin, qui demande que des personnes physiques seules soient fondatrices de droit. L’Archevêché se méfie également des « buts assez divers » que se donne l’association, et préfère « éviter toute équivoque » en ne faisant apparaître que des laïcs dans les statuts. D’autres questions préoccupent l’Archevêché : l’origine des fonds, le bénéficiaire du bail que concède la SERL, le sort des biens et la permanence d’une présence d’Église en cas de dissolution de l’association. L’association diocésaine n’est pas non plus favorable à des dons extérieurs pour financer le centre : elle préfère supporter les frais et garder la maîtrise de la fondation, quitte à bénéficier de prêts ultérieurs remboursables en cas de dissolution de l’association. L’Archevêché se montre par conséquent très réticent à l’idée d’un grand nombre de fondateurs (une soixantaine initialement prévue par Jean Latreille) car une telle association s’avérerait incontrôlable2232.

Toutes ces objections ont pour effet de reporter sine die le projet de Jean Latreille, alors que la SERL demande le dépôt des statuts dans des délais très brefs. Manifestement, l’Archevêché hésite fortement à s’engager dans ce projet œcuménique. C’est l’intervention du doyen André Latreille en faveur de son fils qui débloque la situation. Dans une lettre au chancelier Buttin, l’historien s’étonne que le projet d’association ait été débattu et condamné lors d’une réunion « au sommet » en dehors de la présence du principal intéressé. Il s’interroge également sur l’effet que peut produire un ajournement de la procédure sur la Municipalité Pradel pourtant bienveillante dès le début du projet. Il préfère ne voir dans les critiques de l’Archevêché que de « simples considérations juridiques surmontables à bref délai » plutôt que des « objections de fond »2233. De fait, le professeur de la Faculté de Lettres a été entendu puisque les statuts de « Mains Ouvertes » sont déposés à la préfecture du Rhône le 10 juin 19742234.

Si l’œcuménisme de « Mains Ouvertes » sonne comme une évidence pour le père Latreille, l’aménagement du local ne s’est pas fait cependant sans quelques tensions, notamment autour de l’enjeu du Saint Sacrement. Le prêtre fait une proposition aux membres du conseil d’administration de l’association qui fait débat : le local pourrait être divisé en plusieurs parties, « permettant à chaque communauté (juive, protestante et catholique2235) d’avoir son lieu de culte en quelque sorte et de pouvoir faire des cérémonies sans gêner le voisin et sans qu’on soit obligé d’enlever les signes extérieurs du culte. Dans la partie réservée au culte catholique, il [Jean Latreille] parle de laisser en permanence le Saint Sacrement, il faut donc bien qu’il y ait une séparation matérielle. À cela, certains, notamment les Protestants, se montrent un peu surpris ». D’après les représentants de l’Église réformée en effet, le projet initial consistait en un emplacement de silence neutre, dans lequel, au moment de la célébration d’offices uniquement, serait utilisé un matériel liturgique démontable. Le représentant de l’ODPN juge « raisonnable » la proposition de Jean Latreille, lequel a par ailleurs insisté pour faire emporter la décision2236.

Rapidement, la présence de la communauté musulmane est souhaitée : en 1977, Jean Latreille regrette le terme savant et ambigu d’ « œcuménisme » plus apte selon lui à caractériser l’unité des chrétiens, alors que « Mains Ouvertes » doit être la traduction en actes d’une « cohabitation des trois grandes religions monothéistes »2237.

Notes
2232.

AAL, fonds Delorme, I. 1542, lettre du chanoine Buttin à Jean Latreille, 11 avril 1974 ; compte-rendu de la réunion CBI du 13 mai 1974.

2233.

AAL, Fonds Delorme, I. 1511 bis, lettre d’André Latreille au père Buttin, 17 avril 1974.

2234.

AAL, fonds Delorme, I. 1542, compte-rendu de la réunion CBI du 12 juin 1974.

2235.

Le compte-rendu de la réunion rédigé par Charles Callard dit « chrétiens » pour « catholiques » !

2236.

AAL, fonds Delorme, I. 1542, compte-rendu (pour le CDERIER) de la réunion du conseil d’administration de l’association Mains Ouvertes le 17 décembre 1974 à la cure de l’Immaculée-Conception, par Charles Callard, 18 décembre 1974.

2237.

« Première année de fonctionnement de "Mains Ouvertes" à la Part-Dieu, par Jean Latreille », Église de Lyon du 28 janvier 1977.