Conclusion de la troisième partie

Le début des années 1970 est clairement marqué dans le diocèse de Lyon par l'émergence d'une pastorale proprement urbaine. Plusieurs éléments en témoignent, au premier rang desquels la dénomination explicite d'une pastorale dite d' « agglomération ». Au moment où se met en place une communauté urbaine reposant sur le principe de l'intercommunalité, Maurice Delorme et Louis Boffet prétendent faire de l'échelon de l'agglomération le niveau pertinent de l'action diocésaine. Bien des critères de la gouvernance sont alors esquissés.

C'est d'abord le détour nécessaire par une nouvelle expertise, gage de bonnes pratiques et d'une aide à la décision plus que jamais nécessaire. L'expertise des années 1950 telle qu'elle a été évoquée dans la première partie était marquée par la sociologie religieuse et par une approche encore sectorisée de la question urbaine. À quelques exceptions près (dont Jean Labbens et son ouvrage L’Église et les centres urbains de 1958), la réflexion sur la ville au sein des milieux catholiques restait cloisonnée dans des champs de recherche assez strictement définis : soit celui de la paroisse urbaine et de son environnement, sur le plan sociologique et pastoral ; soit celui d'un certain nombre de fonctions, rarement envisagées dans leurs relations les unes avec les autres : le logement, le soulagement de la misère en ville, l'équipement religieux du territoire. Désormais, à partir du milieu des années 1960, toutes ces questions ne sont pas délaissées, mais leurs interrelations sont devenues le cœur des problématiques. La ville dans sa globalité et dans sa complexité devient le centre des analyses. La réflexion des RPGV mobilise ces nouvelles approches pour repenser la pastorale des diocèses ou des archidiaconés fortement urbanisés.

L'esquisse d'une gouvernance se traduit aussi par la recherche d'une certaine transparence : l'archidiacre de Saint-Jean accorde une grande importance à la circulation de l'information entre l'Archevêché, le clergé diocésain et les différents mouvements ou structures d’Église. Certes, l'objectif d'un contrôle accru des activités n'est pas à exclure, mais il semble qu'il faille prendre au sérieux une volonté réelle de rendre visible ce qui existe et d'en faire un objet de discussion au sein du diocèse. Dans le même sens, Louis Boffet et Maurice Delorme se montrent intéressés par la coordination des activités plutôt que par l'affirmation d'une autorité. C'est le maintien d'une cohérence et non l'imposition de normes strictes qui l'emporte, au moins dans le discours. Le pouvoir de l'archidiacre et de l'évêque auxiliaire renvoie à des logiques de repérage des dysfonctionnements et d'arbitrage des conflits, plus qu'au contrôle étroit des actions menées. L'orientation prime sur l'emprise, le recensement des initiatives l'emporte sur la censure des activités. Ce mode plus consensuel de la pastorale diocésaine n'est pas lié à une faiblesse réelle ou supposée de l'autorité diocésaine, en l'occurrence le cardinal Renard. Il s'agit plus profondément d'une réponse à l'émergence désormais reconnue par l'Église d'une pluralité d'options pastorales. La multiplication des acteurs ne rend plus possible le modèle « unanimiste », et va jusqu'à remettre en cause la sectorisation de l'apostolat à l'œuvre dans l'Action catholique spécialisée. Sans doute plus qu'ailleurs, la grande ville rend possible et rend visible la dissémination des actions à la base.

Certes, le modèle de la gouvernance tel qu'il se dessine à l'orée des années 1970 n'exclut pas certains choix nettement affirmés. Ainsi, la remise en cause du modèle paroissial ne va pas sans résistances de la part de l'Archevêché, comme le montre le cas du centre « Mains ouvertes » à la Part-Dieu. Les enjeux ne sont pas minces : là, s'affirme une présence d'Église plus soucieuse des flux que d'ancrage territorial, accompagnatrice plus que dispensatrice de sacrements, partageant un même lieu avec d'autres confessions.

L'abandon des chantiers diocésains est un autre exemple significatif de choix très nets décidés par l'Archevêché dans les années 1970. Au moment où la politique de construction des grands ensembles est stoppée (circulaire Guichard de 1973), l'Église prend également acte de l'essoufflement d'un modèle en matière de pastorale urbaine : le lieu de culte à lui seul ne suffit pas à rendre chrétienne la grande ville, il n'est qu'une des modalités possibles d'un témoignage catholique auprès des citadins.

Les luttes urbaines et l'émergence d'un réformisme urbain portant sur le cadre de vie et la défense d'une ville « habitable » ne sont-elles pas également à considérer, y compris et peut-être d’abord par les catholiques, comme une demande d'un nouveau mode de gestion de la ville ? Portée principalement par des représentants des classes moyennes, cette revendication se décline selon plusieurs thématiques assez proches de celles mises à jour pour l'institution diocésaine : demande de participation accrue des habitants aux projets d'urbanisme, mise en place de structures de concertation et de dialogue, revendication d'une transparence des décisions des autorités… C'est pourtant au moment où les pouvoirs publics accèdent à ces demandes des associations (l'UFCS par exemple) en créant ces organes de discussion entre élus, techniciens et usagers, que ces mêmes associations commencent à se dire dépossédées de leur pouvoir d'action. La « fabrique de la ville », sous couvert d'un discours et de structures qui annoncent la démocratie participative des années 1980 et 1990, se vide de tout conflit par la recherche constamment répétée du consensus. Par leur présence massive et souvent déterminante dans les organisations de la Deuxième Gauche très impliquée sur les questions urbaines (ADELS2252, Vie nouvelle, Economie et Humanisme, CSCV/CLCV2253…), les catholiques sont là au croisement de plusieurs enjeux cruciaux sur la ville : la place des classes moyennes (techniciens, ingénieurs, enseignants et éducateurs, travailleurs sociaux…) dans les choix urbanistiques et l'animation des quartiers ; la professionnalisation des acteurs de l'aménagement urbain ; l'accès des leaders associatifs aux responsabilités dans les collectivités locales ; la crise et la recomposition du militantisme catholique2254.

Notes
2252.

Association pour la démocratie et l’éducation locale et sociale.

2253.

La Confédération nationale des associations populaires familiales née en 1952 devient en 1975 la Confédération syndicale du cadre de vie, puis la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie en 1998.

2254.

Ce sont quelques-unes des hypothèses testées lors des deux ateliers organisés à Dunkerque (avril 2009) et à Lyon (juin 2009) par l'équipe de recherche Christiana auprès d'anciens militants de la nébuleuse « Deuxième gauche » ayant participé à divers titres à la « fabrique de la ville » (élus, membres d'actifs d'associations, professionnels de l'urbanisme et de l'habitat) des années 1960 à nos jours.