1.2. Nécessité d’une nouvelle approche

Une analyse de la littérature consacrée aux connaissances professionnelles des enseignants liées au contenu montre une diversité de méthodologies employées pour étudier ces connaissances. Ces méthodologies ont été mises au point afin de pouvoir étudier les connaissances des enseignants dans des buts et des contextes différents. Ces méthodologies présentent un point commun pour la majorité d’entre elles : elles étudient les connaissances des enseignants que ceux-ci disent utiliser, ou qu’ils développent au cours de formations proposées par les chercheurs. Pour preuve regardons quelques-unes de ces méthodologies :

  1. Angel et al (2005) ont utilisé un questionnaire destiné aux enseignants et dans lequel sont posées des questions relatives au contenu (dans ce cas la physique) et à la pédagogie. Cette étude a été menée dans le cadre d’une comparaison entre des enseignants novices et experts.
  2. Van Driel et al (1998) ont, quant à eux, étudié l’évolution des connaissances professionnelles des enseignants de chimie. Les enseignants suivaient un stage, conçu par les chercheurs, consacré au développement de telles connaissances dans le cadre de l’enseignement de l’équilibre chimique. Les enregistrements audio de ce stage, puis les séances de classe consacrées à l’équilibre chimique ainsi que les réponses des enseignants à des questionnaires ont constitué les principales données de cette recherche.
  3. Dans leur étude sur les liens entre les connaissances des enseignants et les changements survenus dans les connaissances des élèves, Magnusson et al (1992) ont utilisé des questionnaires destinés aux enseignants et aux élèves. Il s’agissait de la seule source de données.
  4. La capacité des enseignants à diagnostiquer les difficultés des élèves a été l’objet de la recherche menée par Morrisson (2003). Plusieurs types de données ont été collectés dans le cadre de cette étude : observations en classe, interview de l’enseignant avant et après la classe, planification de l’enseignant, travail écrit des élèves.
  5. Dénonçant « l’amnésie professionnelle » touchant la profession d’enseignant, c'est-à-dire l’éternel recommencement, pour les enseignants novices, de mettre au point des « stratégies » permettant d’enseigner un contenu, Bucat (2004) a cherché à établir une liste de connaissances professionnelles liées au contenu dans le cas de la chimie. Pour cela il s’est servi de son expérience professionnelle en tant qu’enseignant de chimie à l’université.

Remarquons la place prépondérante dans ce corpus de recherche du questionnaire ou de l’interview de l’enseignant. Dans ces études portant sur les connaissances professionnelles des enseignants utilisant un de ces dispositifs, les chercheurs font l’hypothèse qu’il existe un lien entre ce que les enseignants disent de leur activité et ce qu’ils font effectivement. Ceci n’est pas sans poser de problèmes surtout lorsque ces données ne sont pas complétées par une observation en classe (voir infra).

Ces études montrent également que les connaissances professionnelles sont très difficiles à catégoriser et à documenter. Plusieurs raisons peuvent être avancées :

  1. Pour Schön (1987), les théories et les connaissances qui sous-tendent les pratiques des enseignants leur sont tacites. Ils ont donc du mal à relier leur pratique et leurs connaissances. Kagan (1992) avance le même argument en montrant que les enseignants n’ont pas conscience de leurs connaissances.
  2. Kagan (1992) ajoute que de demander aux enseignants d’expliciter le lien tacite entre leurs pratiques et leurs connaissances ne fait pas partie de ce qui leur est usuellement demandé, ils manquent du vocabulaire relatif à l’enseignement et de l’apprentissage. Carter (1993) va plus loin en disant qu’il n’existe de toute façon pas de langage ou de structure permettant de discuter les connaissances des enseignants et sont ainsi insaisissables.
  3. Enfin, une troisième source de difficulté vient de ce que ces connaissances sont souvent associées à des événements et des élèves particuliers, et sont contextualisées. Les enseignants partagent ainsi, plutôt que des connaissances, des activités, des procédures et autres qui ont des répercussions implicites sur leurs pratiques (Kagan, 1992). Loughran et al. (2004) observent pour leur part que, lorsqu’on demande aux enseignants de parler de leurs connaissances, ils parlent de leurs pratiques, ce qui semble indiquer qu’il est difficile pour un enseignent de parler de ses connaissances.

L’étude des connaissances professionnelles des enseignants à partir de ce qu’ils en disent présente donc un certain nombre de désavantages : les enseignants n’ont peu ou pas conscience de leurs connaissances, le plus souvent ils ne possèdent pas d’outil de communication pour parler de ces connaissances, et ils éprouvent des difficultés à parler de leurs connaissances en dehors de tout contexte. Ces observations nous conduisent à vouloir étudier les connaissances professionnelles à partir de l’action de l’enseignant. Dans ce cas de figure, l’objectif n’est plus de faire expliciter à l’enseignant des connaissances, mais d’inférer, à partir de l’observation de ses actions, des connaissances qui ont pu être mis en œuvre et permettant de donner du sens aux actions de l’enseignant. Nous parlerons, afin de qualifier ce processus d’inférence, d’une « reconstruction » de connaissances.