4.1. Mise en évidence de la cohabitation, au sein de la classe, de deux systèmes d’activité

Dans cette partie nous présentons une analyse de deux types de sujets de devoirs, le type Bac et non-Bac (l’enseignante utilise ces termes pour qualifier les devoirs), afin de montrer qu’il existe une réelle différence, en termes de tâche demandée à l’élève, et que de ce fait ces deux types de sujets ne visent pas le même résultat.

Cadre théorique pour l’analyse des devoirs

La charge cognitive étant un concept pertinent pour étudier la résolution de problème (Ardac & Hasan, 2002; Tasker & Dalton, 2006) nous avons formulé l’hypothèse que ce concept sera donc à même de distinguer des sujets de type Bac des sujets type non-Bac. Nous présentons dans cette partie ce concept de charge cognitive ainsi que les notions de complexité et de structure du contenu qui nous semblent être des descripteurs de certaines dimensions de la charge cognitive.

La théorie de la charge cognitive est construite autour de l’hypothèse d’une architecture cognitive de la pensée, modélisée par une mémoire de travail de capacité limitée, et d’une mémoire à long terme, d’une grande capacité de stockage. Ces deux mémoires possèdent chacune des caractéristiques. La mémoire à long terme stocke l’information sous forme de schémas. Ceux-ci catégorisent des éléments d’information en fonction de leur utilisation, et peuvent être plus ou moins automatisés. L’automatisation d’un schéma est fortement liée à son nombre d’utilisations. Une fois automatisé, un schéma est traité à un niveau non-conscient, et son utilisation n’est alors pas soumise à la limitation de capacité de la mémoire de travail.

La charge cognitive peut avoir trois origines. Nous ne nous intéressons qu’à une seule d’entre elles appelée charge cognitive intrinsèque (CCI) Celle-ci est corrélée à la nature de la question devant être traitée. Une question contenant un nombre important d’éléments ou d’informations interagissant fortement entre eux entraine, si les schémas associés ne sont pas automatisés, une CCI importante. La CCI, est donc directement liée aux questions posées dans les sujets.

La CCI nécessaire à la résolution d’une question est liée au nombre d’éléments d’informations, et à leurs niveaux d’interaction. Ces caractéristiques sont prises en compte à partir de ce que demande la question et du nombre d’étapes nécessaires pour répondre à une question et du type de lien entre les éléments qui la constituent, ce que nous appelons la structure du contenu. Chaque élément, en particulier en science quand il s’agit de concepts, peut lui-même articuler un nombre plus ou moins important de concepts en relation ; cette quantité de relations se traduit par la complexité du concept, ce que nous préciserons ci-dessous. Un autre facteur intervenant dans la CCI est le degré d’automatisation des schémas liés à la question. Afin de prendre en compte cette automatisation qui résulte de la fréquence à laquelle le schéma correspondant est convoqué, nous introduisons la notion d’occurrence au bac, qui mesure le nombre de fois où une question a été posée dans une des annales des épreuves de chimie du Bac. Plus cette occurrence est élevée, plus les élèves risquent d’avoir rencontré cette question lors de révisions, et donc plus les schémas associés à sa résolution ont pu s’automatiser.

La complexité a été définie dans différents travaux (Aufschnaiter & Aufschnaiter, 2003; Mansoor, 1987). Nous avons retenu la hiérarchisation d’Aufshnaiter et al. en 10 niveaux, regroupés en 4 types car elle est suffisamment fine pour s’adapter à nos questions de recherche. Le premier type, le moins complexe, s’intéresse aux situations et aux objets. On y trouve au 1er niveau les objets, au 2e leurs aspects, et au 3e les opérations qui correspondent à des variations systématiques de l’aspect des objets. Le 2e type, plus complexe, concerne les classes invariantes d’objets et de situations. Le 4e niveau de complexité concerne les propriétés des objets. Une propriété est une caractéristique d’une classe d’objets dont les aspects communs ou différents permettent la définition. Le 5e niveau est celui des événements qui sont définis comme le lien entre des propriétés stables de classes d’objets différentes ou identiques. Le 3e type, encore plus complexe, concerne les classes variables d’objets et de situations. Le 6e niveau est celui des programmes, c’est-à-dire de la variation systématique d’une propriété en fonction d’autres propriétés stables, au sens où ce sont toujours les mêmes. Le 7e niveau est celui des principes, définis comme la construction d’une covariation stable de paires de propriétés. Enfin, au 4e type, le 8e niveau est la connexion, définie comme l’ensemble des liens entre différents principes mettant en jeu les mêmes propriétés différentes ou variables. Le 9e niveau est celui des réseaux et le 10e celui du système rarement impliqué au niveau scolaire que nous considérons ici. Le tableau 12 présente ce modèle de complexité.

Tableau 12 : Modèle de la complexité d’après von Aufshnaiter et al.
Tableau 12 : Modèle de la complexité d’après von Aufshnaiter et al.

Des exemples de la plupart de ces définitions en relation avec nos données sont donnés dans la partie méthodologique ci-dessous. La définition adoptée pour la complexité ne fait pas correspondre à chaque notion un niveau de complexité et un seul. Le contexte d’utilisation de la notion est essentiel. Par exemple, une constante d’équilibre chimique sera une propriété d’une classe d’objet dans le cas de la constante d’acidité d’un acide (Ka) : « Ka » est la propriété et « acide » est la classe d’objet. En revanche, quand il s’agit de calculer Ka à partir des concentrations en solution, le niveau de complexité sera celui des programmes puisque sa valeur se calcule toujours de la même façon à partir du rapport des concentrations à l’équilibre. Cette définition de la complexité a été préférée, par exemple à celle de la M-demand (Mansoor, 1987), par la précision de ses définitions et par la rigueur avec laquelle elles peuvent fonctionner lors des analyses. De plus, puisque nous nous intéressons à la chimie, cette hiérarchie basée sur les objets et sur leurs propriétés est appropriée. Cette discipline en met beaucoup en jeu, qu’ils soient microscopiques (ions, molécules, etc.) ou macroscopiques (substances, solution, mélanges, etc.).

En partant de l’hypothèse que de raisonner à propos d’un fait individuel ne présente pas la même difficulté que de raisonner à propos d’une relation, Kauertz et Fischer (2006) ont proposé une échelle représentant la structure du contenu de la question. Cette échelle de « niveau de structure » permet de rendre compte, en partie, de la difficulté de ce qui est demandé aux élèves. Pour chaque échelon nous donnons un exemple ainsi qu’une représentation schématique dans le Tableau 13.

L’échelon A correspond à l’échelon des notions individuelles. L’échelon B est celui de plusieurs notions non reliées, et si elles sont reliées, il s’agit de l’échelon C. Des relations considérées de façon indépendantes constituent l’échelon D. Enfin, l’échelon E est celui des relations reliées entre elles.

Tableau 13 : Définition et exemple pour chaque échelon de structure du contenu.
Tableau 13 : Définition et exemple pour chaque échelon de structure du contenu.