5.2. Analyse des épisodes interactionnels en termes de la nature du savoir en jeu

Nous avons vu dans le cadre théorique que le fonctionnement de la chimie peut être modélisé en distinguant plusieurs mondes, le monde visible et le monde des théories et modèles, auquel correspond un monde non-perceptible. Au sein de ces mondes il est possible de distinguer des objets et des événements ainsi que leurs propriétés. Nous présentons dans ce chapitre comment nous avons analysé les épisodes interactionnels en fonction du niveau de modélisation du savoir en jeu.

Nous distinguons le savoir en jeu dans la question de l’élève et dans la réponse de l’enseignant. Ceci pour deux raisons : tout d’abord il n’y a pas de raisons de penser que le niveau de modélisation dans la question de l’élève soit le même que celui du savoir dans la réponse de l’enseignante. Si ces niveaux de modélisation sont différents il devient alors problématique de caractériser l’épisode. Deuxièmement le passage d’un niveau de modélisation à un autre est au cœur de l’apprentissage de la chimie. La distinction entre le niveau de modélisation du savoir dans la question de l’élève et dans la réponse de l’enseignante nous permettra de mettre en évidence d’éventuels liens entre le niveau de modélisation du savoir dans la question de l’élève et celui du savoir dans la réponse de l’enseignante.

Les différents niveaux de modélisation sont donnés dans le tableau suivant :

Tableau 38 : Niveaux de modélisation.
Monde perceptible Monde non-perceptible Monde des théories et modèles
Objet Objet Grandeur
Événement Événement Théorie
Propriété Propriété

Le savoir peut aussi mettre en œuvre plusieurs niveaux de modélisation. Nous avons dans ce cas considérer que la question ou la réponse faisait le lien entre ces niveaux de modélisation.

Nous présentons un exemple pour chaque niveau de modélisation que nous avons rencontré lors de l’analyse :

Le tableau 39 présente un épisode interactionnel au court duquel un élève pose une question mettant en jeu un élément de savoir du niveau des événements du monde perceptible (changement de couleur) :

Tableau 39 : Transcription d’un épisode interactionnel mettant en jeu un élément de savoir appartenant au niveau des événements perceptible.
Locuteur Productions verbales
E et ça l'équivalence c'est à partir du moment ou ça change de couleur ou on attend que ce soit vert
P alors l'équivalence ça va être à quel moment / au moment ou a changé de couleur / d'accord en fait qu'est ce qu'on a fait dans le TP on avait versé vraiment quasiment juste avant l'équivalence par très petit volume d'accord

Le tableau 40 présente un épisode interactionnel dans lequel un élève pose une question dans lequel le savoir appartient au niveau des propriétés du monde perceptible. La propriété du monde perceptible est l’état de la matière (solide).

Tableau 40 : Transcription d’un épisode interactionnel mettant en jeu un élément de savoir appartenant au niveau des propriétés perceptibles.
Locuteur Productions verbales
Madame AH pourquoi il est (...) il est pas solide
Non il est pas solide / beh même si tu prends AH pur pour l'acide éthanoïque c'est liquide à température ambiante/

Le tableau 41 présente un épisode interactionnel dans lequel le savoir en jeu dans la réponse de l’enseignante appartient au niveau des objets non-perceptibles. L’objet du monde non perceptible est l’ion propanoate.

Tableau 41 : Transcription d’un épisode interactionnel dans lequel la réponse de l’enseignante met en jeu un élément de savoir du niveau des objets du monde non-perceptible.
Locuteur Productions verbales
E c'est quoi les ions propanoate
P propanoate bah tu prends l'acide propanoïque et tu lui enlèves H c'est la base conjuguée

Le tableau 42 présente un épisode interactionnel au cours duquel l’élève pose une question dont le savoir appartient au niveau des événements non-perceptibles. L’événement du monde non-perceptible en jeu est le fait que les ions H3O+ réagissent, dès qu’ils ont été formés, avec les molécules H20.

Tableau 42 : Transcription d’un épisode interactionnel mettant en jeu un élément de savoir appartenant au niveau des événements non perceptibles.
Locuteur Productions verbales
E est ce que dès qu'y a des H3O+ formés ils reréagissent avec des H20
P non dès qu'y a des H3O+ formés ils réagissent avec quoi
E avec CH3
P avec l’ion éthanoate /
E dans l'autre sens
P voila ça veut dire que eux ils réagissent donc ils reforment l'acide éthanoïque et l'eau // donc si on remplit ce tableau d'avancement //

Le tableau 43 présente un épisode au cours duquel le savoir en jeu appartient au niveau des propriétés du monde non-perceptible. La propriété en jeu est le degré de dissociation de l’acide

Tableau 43 : Transcription d’un épisode interactionnel mettant en jeu un savoir appartenant au niveau des propriétés du monde non-perceptible.
Locuteur Productions verbales
E heu madame
P oui
E j'ai pas compris ce que ça veut dire un acide plus ou moins dissocié /
P ça c'est l'acide moins y en a en solution plus on va avoir de ça en solution d'accord donc l'acide quand il est dissocié c'est quand on a en solution sa base conjuguée et puis H3O+ d'accord ça veut dire en fait dissocié ça veut dire il a réagit avec l'eau si il est pas dissocié ça veut dire il est entier il a cette forme là / s'il est dissocié il a réagi avec l'eau

L’épisode, dont la transcription est donnée dans le tableau 44, montre une question d’élève dont le savoir appartient au niveau des grandeurs. La grandeur en jeu est le pKa.

Tableau 44 : Transcription d’un épisode interactionnel dont le savoir en jeu dans la question appartient au niveau des grandeurs.
Locuteur Productions verbales
E heu je comprends pas trop ce que c'est pKa
P pKa alors pKa c'est quoi là on a la définition donc ça re(...)
E ça m'aide pas trop sur le coup
P Ka c'est la constante d'acidité d'accord / heu utiliser pKa ça nous permet en fait de relier la constante d'acidité du couple au pH de la solution Ka c'est la constante d'acidité pKa c'est un autre nombre qui va être caractéristique aussi du couple

Le tableau 45 présente un épisode interactionnel dont le savoir en jeu appartient au niveau théorique.

Tableau 45 : Transcription d’un épisode interactionnel dont le savoir en jeu appartient au niveau théorique.
Locuteur Productions verbales
une fois que on a (...?) ouais le truc avec le pH on trouve heu la concentration à ça faut juste dire que la concentration en (...?) c'est la même et après on calcule direct heu K
ouais / ça veut que ici là cette ligne là elle est pas demandée là
ouais ça a rien à voir
par contre elle permettrait de calculer
E taux
P taux
E ouais // OK
d'accord

Nous finissons cette série d’exemple par un épisode interactionnel (tableau 46) au cours duquel l’élève pose une question qui fait le lien entre un événement du monde non-perceptible (la réaction chimique) et une propriété du monde non-perceptible (le fait qu’un acide soit totalement dissocié ou non).

Tableau 46 : Transcription d’un épisode interactionnel illustrant le lien entre événement et propriété du monde non-perceptible.
Locuteur Productions verbales
E le fait que l'acide soit totalement dissocié ça veut dire que la réaction est pas totale
P ici ça veut dire voila il reste de l'acide donc il reste un réactifs en majorité par rapport aux produits donc la réaction n'est pas totale / ça veut dire ça l'acide n'est pas totalement dissocié chut

Mots clés :

L’analyse du savoir en termes de modélisation a débouchée sur deux catégories de mots clés : une relative au savoir en jeu dans la question de l’élève et l’autre à la réponse de l’enseignante. Le tableau 47 présente ces deux catégories ainsi que les mots clés de chacune d’entre elles.

Tableau 47 : Catégorie de mots clé et mots clés issues de l’analyse du savoir en jeu dans les épisodes interactionnels.
Tableau 47 : Catégorie de mots clé et mots clés issues de l’analyse du savoir en jeu dans les épisodes interactionnels.

Nous avons vu dans ce chapitre comment nous avons analysé le savoir en jeu dans les épisodes interactionnels suivant le niveau de modélisation ainsi que la mise en œuvre du savoir. Ces analyses ont permis la construction de six catégories de mots clés : deux relatives au niveau de modélisation du savoir, une pour la question de l’élève et l’autre pour la réponse de l’enseignante ; et quatre relatives à la vie du savoir dans la classe, une pour la topogénèse, une autre pour la mésogénèse et deux pour la chronogénèse.