6.1. Méthode de reconstruction pour chaque type de TPC

Dans cette partie nous allons expliciter, pour chacune des catégories de TPC la méthode de reconstruction

6.1.1. Connaissances sur les difficultés des élèves

Lors des épisodes interactionnels les élèves prennent la parole pour exprimer leurs difficultés. Cependant ils expriment celles-ci de manière plus ou moins explicite. Si la difficulté est exprimée de manière implicite, l’enseignante devra interpréter la question de l’élève pour en dégager la difficulté. Pour ce faire l’enseignante doit mettre en jeu une TPC de la catégorie « connaissance sur les difficultés des élèves ». La façon dont l’enseignante a interprété la question de l’élève peut faire l’objet d’une inférence à partir de sa réponse. Deux exemples permettent d’illustrer ce qui vient d’être dit :

Dans l’épisode interactionnel suivant (Tableau 48) l’élève explicite bien sa difficulté, l’enseignante n’a donc pas besoin d’interpréter la question de l’élève pour lui répondre. L’élève demande à l’enseignante une confirmation d’une règle qu’il a mise au point à partir de données d’un exercice : plus la chaîne de carbone d’un acide est longue et moins la réaction de cet acide avec l’eau sera totale.

Tableau 48 : Transcription d’un épisode interactionnel au cours duquel la question de l’élève est explicite vis-à-vis de sa difficulté.
Locuteurs Productions verbales
E heu et madame
P oui
E heu d'une manière générale plus la chaîne elle est grande et plus ça se et moins ça se dissocie
P heu je sais pas non mais parce que HF c'est pas le même type d'acide que les autres
E d'accord
P faudrait regarder justement là on va classer an fonction des pKa il faudrait regarder les pKa

Cet épisode ne nous a pas permis de reconstruire de TPC de la catégorie « connaissances sur les difficultés des élèves. Remarquons que dans cet épisode la question de l’élève est précise, et que l’enseignante ne semble pas avoir identifiée de difficultés puisque sa réponse est très « collée » à la question de l’élève, et qu’elle ne développe par particulièrement sa réponse. Dans d’autres épisodes la question de l’élève est beaucoup moins précise, et demande de la part de l’enseignante une part d’interprétation beaucoup plus grande.

L’exemple suivant (Tableau 49) illustre le cas où la question de l’élève nécessite d’être interprétée car la difficulté n’apparait pas clairement.

Tableau 49 : Transcription d’un épisode interactionnel mettant en avant une question d’élève qui comporte de l’implicite sur la difficulté éprouvée.
Locuteurs Productions verbale
Il sert à quoi en fait heu K
P Alors à quoi sert K /alors Taux on a compris à quoi ça servait K bah en fait donc K on a dit c'est indépendant / d'état initial ça veut dire si on a la transformation on connaît la valeur de K / et K ça relie les concentrations à l'état final / donc ça va nous permettre aussi de revenir à taux

La question de l’élève est générale, et peut être interprétée de différentes façons : dans quel but a t-on introduit cette constante d’équilibre (K) dans la classe, en quoi est-ce un concept scientifique utile … La réponse de l’enseignante laisse comprendre qu’elle a interprété la question comme « comment va être utilisé K dans les exercices » puisqu’elle répond en expliquant à l’élève les situations où K sera utilisé : pour déterminer des concentrations et le taux d’avancement. L’enseignante a donc fait un choix de la façon dont elle interprète la question de l’élève. C’est la présence d’un choix de la part de l’enseignante, qui nous permet de reconstruire une TPC. Cette TPC est formulée de la façon suivante : « Les élèves ont besoin de savoir à quoi va servir K dans les exercices ». Dans cet épisode la question de l’élève est beaucoup moins précise que dans l’exemple précédent.

D’autres épisodes permettent de reconstruire des TPC de la catégorie « Connaissances sur les difficultés des élèves » car l’enseignante exprime le fait qu’elle a identifié la difficulté. Ainsi dans l’exemple ci-dessous (Tableau 50), l’enseignante identifie la difficulté comme provenant des « problèmes d’écritures de l’ion oxonium ». L’écriture de l’ion oxonium est donc source de difficulté.

Tableau 50 : Transcription d’un épisode interactionnel au cours duquel l’enseignante exprime qu’elle a identifié une difficulté.
Locuteurs Productions verbales
E madame
P acide chlorhydrique oui
E j'ai pas bien compris le couple H3O+ H2O / parce qu'en fait c'est H2O égale heu non c'est H2O plus H+ égale H3O+
P oui on va l'écrire juste maintenant
E mais c'est vrai qu'il y a un H+ déjà de (...?) parce qu' H3O+ c'est pas (...?) /
P donc ici on va voir justement c'est les problèmes d'écritures de l'ion oxonium / alors on va écrire déjà ça et je réponds à ta question juste après donc dans le cas de l'acide chlorhydrique ça veut dire ce qu'on a fait en TP la première mesure quel est le premier couple mis en jeu qu'est ce qu'on a dissous

La TPC reconstruite à partir de cet épisode est formulé comme ceci : « l’écriture de l’ion oxonium est source de difficultés pour les élèves ».

D’autres indices permettent de reconstruire des TPC de cette catégorie tel les marqueurs langagiers (« ah », « d’accord » …) ou encore un changement par rapport à ce qu’elle est en train de dire dans la manière qu’a l’enseignante de répondre (changement de stratégie, de l’élément de savoir sur lequel porte la réponse de l’enseignante …). Le tableau 51 présente un exemple où une TPC difficulté à reconstruite à partir de l’observation de la mise en œuvre, par l’enseignante, d’une stratégie pour répondre aux élèves. L’élève demande si les ions H+ se fixent sur une molécule lors d’une réaction acido-basique.

Tableau 51 : Transcription d’un épisode interactionnel à partir duquel une TPC « Difficultés » à été reconstruite.
E heu les H+ après ils se fixent sur une autre molécule
P oui /
E ça fait une molécule alors
P oui après ça fait une molécule ça veut dire que H+ il forme une liaison avec un autre atome et donc en partageant un doublet d’électrons on a bien un atome d'hydrogène qui appartient à une molécule d'accord alors j'écris quand même proton par ce que dans votre livre on vous dit des fois écrire les demi-équations protonique ça veut dire ça fait bien intervenir un proton et en oxydoréduction on avait écrit on disait écrire les demi-équations électroniques par ce qu'on échange des électrons d'accord donc on a des acides et des bases

Dans sa réponse l’enseignante montre que l’ion H+ va participer à une réaction chimique en se comportant comme n’importe quelle espèce chimique : l’ion H+ va se fixer à une autre molécule en partageant un doublet d’électrons. Elle cherche en fait à différencier le comportement de l’ion H+ participant à une réaction chimique, du proton (l’ion H+ est en fait constitué d’un seul proton) participant à une réaction nucléaire. Notons que la classe est entrain d’étudier les réactions nucléaires en classe de physique en parallèle à cet enseignement de chimie. Elle justifie l’utilisation du terme de proton, car c’est le terme utilisé dans leur manuels ; enfin elle termine en faisant le parallèle entre demi-équations protoniques (c'est-à-dire une réaction au cours de laquelle un proton H+ est échangé) et demi-équations électroniques, réactions vues en classe de première à propos de l’oxydoréduction (réactions au cours desquelles des électrons sont échangés). Ce qui nous a permis dans cet épisode, de reconstruire une TPC « Difficultés», est la mise en place d’une stratégie de la part de l’enseignante, stratégie qui cherche à différencier le comportement de la particule H+ au cours d’une réaction nucléaire du comportement de cette même particule au cours d’une réaction acido-basique. Cette stratégie s’accompagne d’une justification de l’emploi, par l’enseignante, du terme de proton. A partir de là nous avons reconstruit la TPC suivante: « l’utilisation du terme de proton pour désigner la particule H+ dans une réaction acido-basique induit chez les élèves une confusion entre le comportement de H+ au cours d’une réaction nucléaire, et au cours d’une réaction acido-basique. » Cet épisode a aussi conduit à la reconstruction de plusieurs TPC « Stratégie » que nous détaillerons dans la partie suivante.

Ainsi les TPC de la catégorie « Difficultés » peuvent être reconstruites à partir de plusieurs cas de figures :

  • Lorsque la question de l’élève n’est pas précise, et que l’enseignante doit effectuer un choix dans l’interprétation qu’elle fait de la question. La TPC reconstruite permet d’expliquer le choix effectué par l’enseignante.
  • Lorsque l’enseignante nomme la difficulté.
  • Lorsque l’enseignante met en place une stratégie de réponse. La TPC reconstruite permet d’expliquer le choix de cette stratégie.

L’écart entre la TPC reconstruite et l’épisode interactionnel, c'est-à-dire le « saut » d’inférence n’est pas le même en fonction de ces trois méthodes de reconstruction : lorsque l’enseignante nomme la difficulté le saut est petit. Par contre lorsque la TPC est reconstruite à partir d’une stratégie de réponse, c'est-à-dire que l’on considère la TPC comme étant une explication au choix de la mise en œuvre de cette stratégie, ou lorsque la TPC est reconstruite à partir de l’explication d’un choix effectué par l’enseignante l’écart est beaucoup plus grand.

Notons, pour conclure, que nous n’avons pas rencontré de cas où l’enseignante demande confirmation à l’élève si elle a bien interprété la difficulté de l’élève.