1.1.4 La théorie des Champs Conceptuels

Nous avons vu que Piaget met un accent sur le processus d’adaptation, de déséquilibration et rééquilibration et que Vygotski défend que le social, le langage et la symbolisation sont les processus centraux du développement cognitif. D’après les influences des théories piagétienne et de Vygotski, Gérard Vergnaud développe la théorie des champs conceptuels dans laquelle il défend que les schèmes sont au centre du développement cognitif.

La théorie des Champs Conceptuels est une

‘« …théorie cognitive, qui vise à fournir un cadre cohérent et quelques principes de base pour l’étude du développement et de l’apprentissage des compétences complexes, notamment de celles qui relèvent des sciences et des techniques » (Vergnaud, 1996, p. 197). ’

Vergnaud a défini le développement cognitif comme un développement d’un grand répertoire de schèmes, en affectant différentes aspects de l’activité humaine, cela en raison des expériences. C’est à travers l’expérience que l’individu s’adapte à des situations et l’organisation d’une activité évolue en s’adaptant. L’expérience implique un écart entre les activités, une aide d’autrui et une analyse des différentes étapes de l’activité. Ainsi, c’est à travers le développement des formes d’organisation d’une activité (gestes, compétences, interactions, activités langagières, affectivité) que les schèmes sont construits et modifiés, ce qu’on appelle de développement.

Un schème selon cet auteur, est une « organisation invariante de l’activité pour une classe de situations données ». Un schème est universel et peut donner origine à différentes séquences d’action, de recueil d’informations et de contrôle, selon les caractéristiques de chaque situation. Il n’est pas le comportement qui est invariant, mais si l’organisation du comportement (Vergnaud, 1998, p. 172).

Un schème est formé de quatre composantes :

  1. But, sous-but et anticipations ;
  2. Règles de l’action, prise d’information et contrôle (règle de type ‘si… alors…) ;
  3. Invariantes opératoires : concepts en acte et théorème en acte ;
  4. Possibilités d’inférence en action (raisonnements pour ‘calculer’ les règles et anticipations).

Les invariants opératoires d’un schème sont les éléments responsables pour la reconnaissance des éléments pertinents de la situation :

a) Propositions – susceptibles d’être vraies ou fausses (théorèmes-en-acte) ;

b) Fonction propositionnelle – briques indispensables à la construction des propositions, sont des propriétés et des relations (concepts-en-actes – pas nécessairement conscients).

c) Arguments – les objets. En mathématique, par exemple, les nombres, les propositions, les relations, etc.

D’après les classes de situations, les schèmes sont utilisés :

  1. Dans une situation où le sujet a un répertoire pour se comporter, c’est quand il utilise un schème unique pour une même classe de situation ;
  2. Dans une situation où le sujet n’a pas de répertoire pour se comporter (c’est le cas quand il agit par reflexe, exploite, essaye), quand il utilise de plusieurs schèmes qui seront accommodés, décombinés et recombinés.

A partir de la façon dont Vergnaud (1997) définit le concept de schème, en introduisant des éléments à cette définition, il est possible de réaliser une analyse du développement conceptuel consécutif à l’adaptation des individus aux nouvelles situations : dans le cas d’un échec, l’individu modifie le schème utilisé ou même il change de schème. Un élève qui se trompe est souvent un élève qui n’a pas bien exécuté un schème. Soit il adapte mal un schème à la particularité de la situation à traiter (problème d’inférence), soit il mobilise un schème inadapté à la situation à traiter (défaut de conceptualisation), soit il a élaboré un théorème-en-acte faux. Ces idées sont aussi travaillées dans la théorie du raisonnement à partir de cas (RàPC) que nous aborderons dans le chapitre sur le raisonnement cognitif.

La théorie des champs conceptuels a été élaborée pour « rendre compte du processus de conceptualisation des structures additives, multiplicatives, des relations nombre-espace, de l’algèbre » (Brun, 1996, p. 198). Par rapport au développement conceptuel, nous partons du présupposé qu’un concept est appris par les individus quand ils dominent trois ensembles de facteurs en relation avec ces concepts, à savoir:

  1. un ensemble de représentations symboliques qui sont socialement utilisées pour véhiculer des idées sur le concept (signifiant). L’invariance du signifiant aide à l’identification du signifié et sa transformation en objet de pensée ;
  2. un ensemble d’invariants opérationnels ou de propriétés du concept (signifié), et
  3. un ensemble de situations qui donnent du sens aux concepts (référence) (Vergnaud, 1997).

Quand les individus commencent à dominer ces dimensions d’un concept, celui-ci commence à faire de sens pour lui. Ainsi, un concept est progressivement appris quand les individus amplifient les formes possibles de représentation et les relations avec des situations diverses. Les concepts ne font pas sens lorsqu’ils sont isolés, mais ils coexistent dans un réseau de concepts, auquel Vergnaud donne le nom de champ conceptuel.

Un champ conceptuel « est à la fois un ensemble de situations et un ensemble de concepts ; ensemble de situations dont la maîtrise progressive appelle une variété de concepts, de schèmes et de représentations symboliques en étroite connexion ; ensemble de concepts qui contribuent à la maîtrise de ces situations » (Vergnaud, 2007, p. 9). Nous pouvons dire alors qu’un concept se développe à partir de plusieurs situations et une situation peut être analysée à partir de plusieurs concepts.

Figure 1: Processus de conceptualisation selon la théorie des Champs Conceptuels de Vergnaud.
Figure 1: Processus de conceptualisation selon la théorie des Champs Conceptuels de Vergnaud.

Un concept prend du sens pour le sujet à travers les situations et les problèmes (théoriques ou pratiques) à résoudre qu’il a rencontrés : processus d’élaboration pragmatique. Ainsi, le langage et le symbolisme ont un rôle très important :

a) d’identification des invariants ;

b) d’aide aux raisonnements et à l’inférence ;

c) d’aide à l’anticipation des effets des buts, à la planification et au contrôle de l’action.

Conceptualiser, c’est faire l’identification des objets du monde, de leurs propriétés, de leurs relations et de leurs transformations, que ces objets et leurs propriétés soient directement accessibles à la perception ou qu’ils résultent d’une construction (psychique, physique, etc.).

L’activité langagière est une expression de la symbolisation des concepts, théorèmes et objets, mais elle est un indice de l’implication du sujet dans la tâche, les représentations affectives (sentiment), l’estimation de la plausibilité et les relations entre ces éléments.

Moreira (2004) met l’accent sur le fait que l’étude de certains champs conceptuels est longue et peut difficilement être réalisée par une recherche isolée ou même par un groupe de recherches isolées (p. 23). Ainsi, le premier pas pour une telle étude est l’identification et la classification des situations. Il est nécessaire de faire une recherche sur les invariants opératoires des apprenants (quand, pourquoi et de quelle façon une représentation symbolique aide dans la conceptualisation). Il est nécessaire aussi de faire une analyse des différentes classes de problèmes proposés et des différentes procédures et représentations symboliques que l’apprenant utilise. C’est d’après ces idées que nous avons suivi la procédure de cette recherche.

Plus bas, nous citons un schéma qui montre d’une façon générale la théorie des champs conceptuels de Vergnaud :

Figure 2: Théorie des Champs Conceptuels de Vergnaud (Moreira, 2002).
Figure 2: Théorie des Champs Conceptuels de Vergnaud (Moreira, 2002).

Ce schéma nous montre tous les concepts importants dans la théorie des champs conceptuels et les liens des uns avec les autres. D’ailleurs, des invariants opératoires que les élèves utilisent, dans notre étude, nous nous intéressons plus particulièrement aux règles d’action, une des composantes des schèmes. Nous considérons que des aspects psychologiques, tels que le locus de contrôle, la motivation et les représentations affectives, fonctionnent comme règles d’action dans le processus de construction d’un schème, ce qui est directement lié au processus même de conceptualisation.

Nous pouvons affirmer que pour étudier la théorie des champs conceptuels nous devons considérer l’individu dans son environnement et les signifiants qu’il utilise dans une activité. Les signifiants, langage naturel et symbolismes particuliers, ont une fonction de communication (permet de désigner ou de percevoir), calculatoire (traiter la situation) et d’accompagnement de la pensée (les symboles, schèmes, figures qui nous réalisons pendant une activité). Ainsi, nous pouvons affirmer qu’un sujet a appris un concept quand il lui donne du sens, ce qui arrive avec l’apparition de la relation du propre sujet, des situations et des signifiants de tel concept. Ce procès dans le domaine de la Statistique est ce que nous appellons de « esprit statistique ».