2.1 De l’Ergonomie de l’Outil vers l’Ergonomie Cognitive

Wisner (1987) définit l’ergonomie comme l’ensemble des connaissances scientifiques relatives à l’être humain et nécessaires à la conception d’outils, machines et dispositifs qui peuvent être utilisés avec le maximum de confort, de sécurité et d'efficacité.

D’après Erik Hollnagel (1997), l’ergonomie est la science ou l’étude du travail. Ce dernier est considéré comme l’effort ou l’activité physique ou mentale orientée vers la production ou réalisation d'une chose ou d'un objectif. Cet auteur se préoccupe de justifier l’origine de l’ergonomie à travers les exigences historiques :

Au XVIIIème siècle, la Révolution Industrielle a exigé le remplacement des muscles par les machines. Dès les années 1950 et 1960, la Révolution de l’Informatique a exigé un changement des habilités nécessaires au travail :

a) moins de résistance physique et plus de vigilance et d'attention prolongées ;

b) moins de force motrice et plus d’habilitée aux résolutions de problèmes ;

c) moins d’habilitée physique et plus de planification et raisonnement ;

d) moins d’outils mécaniques et plus d’amplification des fonctions mentales.

Erik Hollnagel (1997) distingue l’Ergonomie Classique de l’Ergonomie Cognitive selon les avantages et l’efficience de la discipline corporelle au travail. Selon lui, l’Ergonomie Classique se place dans la préoccupation d’ajuster l’homme au travail. Elle est sous les fortes influences tayloriste et behaviouriste. Les questions suivantes démontrent bien les préoccupations de cette époque :

  • comment réduire les accidents de travail et les maladies ?
  • comment augmenter la productivité ?
  • comment augmenter la qualité au travail ?

Tout d’abord, l’Ergonomie Cognitive se focalise sur le résultat ou le produit de l’effort du système de travail. Elle est fortement influencée par la psychologie cognitive et les sciences cognitives, où l’homme est un système de traitement de l’information. Les principales questions de l’Ergonomie Cognitive sont :

  • la capacité d’apprentissage et d’adaptation humaine sont insuffisantes face aux demandes technologiques. Les personnes n’offrent pas la rapidité et les réactions complexes que la technologie exige ;
  • la capacité humaine de raisonner sur une information est décisive à l’adaptation entre homme-machine. Les aspects de rapidité, distinction, temps de réaction, etc. sont bien exploités avec l’analogie entre le cerveau et l’ordinateur ;
  • la cybernétique montre le cerveau comme un système adaptatif et les actes humains comme dirigés vers un objectif. Ainsi, la qualité du travail dépend de ce que les personnes ont comme intention, de ce qu’elles comprennent, attendent, etc.

Ainsi, l’ergonomie cognitive ne se préoccupe pas de comprendre la nature de la cognition humaine, mais elle cherche à décrire comment celle-ci influence le processus de laboratoire et vice-versa (Hollnagell, 1997). En tant que science du travail, l’ergonomie cognitive a comme objectifs :

  • d'identifier ou de prévoir les situations où peuvent survenir des problèmes ;
  • de décrire les conditions, qui peuvent être aussi l’origine des problèmes ou avoir un effet significatif dans la façon dont les situations se développent ;
  • de prescrire les moyens par lesquels de telles situations peuvent être évitées ou avoir des conséquences négatives réduites.

Pour cela, l’ergonomie cognitive utilise l’analyse des processus cognitifs mis en œuvre dans l’interaction, par exemple, la mémoire, l’attention, la perception, le stockage et la récupération d’informations et la prise de décision pour la réalisation d’une tâche.

Etudier les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) et leur insertion dans le champ de l’éducation nous incite à comprendre l’évolution de leur ergonomie.

Tant l’ergonomie classique que l’ergonomie cognitive se sont intéressées à l’interaction homme-machine, ou homme-ordinateur. La première vise le confort du sujet, le « comment » utiliser. La deuxième vise la manière de présenter l’information, selon le principe que le sujet doit expérimenter pour arriver à l’information correcte, dans un temps correct. L’ergonomie cognitive s'intéresse aux moyens avec lesquels les personnes acquièrent, stockent et utilisent les informations pour la réalisation d’une tâche ainsi qu'aux critères de l’ergonomie d’utilisabilité de l’outil.

Le terme « Technologies de l’Information et de la Communication » (TIC) peut recouvrir des outils allant de la télévision, des CD, des DVD, jusqu’à l’ordinateur, l’Internet, etc. Ces derniers, dans le domaine scolaire, sont référés dans la littérature comme NTICE (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication dans l’Education) et TICE (Technologie de l’Information et de la Communication dans l’Education).

Aborder l’ergonomie des TICE implique deux principes : l’ergonomie selon leur fonctionnement, dans une vision informatique, et l’ergonomie de l’utilisation, dans une vision de l’utilisateur. Ainsi, pour développer un système interactif comme une TICE, l’engagement interdisciplinaire de spécialistes du domaine éducationnel, projecteurs d’interfaces et projecteurs d’interaction avec l’utilisateur est nécessaire.

L’évolution de l’ergonomie de l’outil ver l’ergonomie cognitive dans la construction des TICE prend en considération les aspects de l’activité mentale réalisée par l’utilisateur, optimisant ainsi l’effort pour comprendre et pour réaliser une tâche, facilitant ainsi le processus mental et la prise de décision pendant l’exécution d’une tache.

Nous pouvons citer plusieurs critères d’évaluation des interfaces homme-ordinateurs, comme celui de Layauts (Cybis, 1997), qui définit les zones fonctionnelles de l’interface, dont le principe est que l’emplacement et les caractéristiques de ces zones ont un rôle plus qu’esthétique, elles donnent des informations aux utilisateurs qui peuvent faciliter la compréhension et l’utilisation de l’outil (l’information visuelle peut motiver, diriger ou même distraire l’utilisateur), (Cybis, 1997, Parizotto, 1997).

Nous citons aussi le travail de Bastien et Scapin (1997) qui établissent une liste de critères à considérer pour l’évaluation d’une interface. Les différentes recherches et constructions de critères d’évaluation des interfaces homme-ordinateur se distinguent selon l’objectif de l’étude et, la plupart du temps, se complètent.

Nous adoptons dans notre travail, comme guide d’analyse de l’outil, la liste de critères de Bastien et Scapin (1997). Cette liste comporte 18 critères divisés en 8 catégories : guidage, charge de travail, homogénéité/cohérence, contrôle explicite, adaptabilité, gestion des erreurs, signifiance des codes et compatibilité (Boutin et Martial, 2001) :

1. Guidage : moyens pour conseiller, orienter, informer et conduire l’utilisateur lors de l’interaction avec l’ordinateur ;

1.1. Incitation : moyens pour que l’utilisateur effectue des actions spécifiques. Mécanismes pour que l’utilisateur connaisse les alternatives et les informations qui leurs permettent de savoir où ils en sont et l’état dans lequel ils se retrouvent ;

1.2. Groupement/Distinction entre items : par localisation, positionnement des items les uns par rapport aux autres pour indiquer leur appartenance ou non à une même classe. Par format, caractéristiques graphiques (format, couleur, etc) qui permettent la perception de l’appartenance ou non d’items à une même classe ;

1.3. Feedback immédiat : réponses de l’ordinateur aux actions des utilisateurs ;

1.4. Lisibilité : caractéristiques lexicales de présentation des informations sur l’écran ;

2. Charge de travail : caractéristiques de l’interface qui réduisent la charge perceptive ou mnésique des utilisateurs, en augmentant l’efficacité de la navigation ;

2.1. Brièveté : charge de travail au niveau perceptif et mnésique pour limiter le travail pendant la navigation ;

2.2. Concision : limiter les éléments d’entrée et de sortie ;

2.3. Actions Minimales : limiter les étapes par lesquelles l’utilisateur doit passer pour accomplir une tâche ;

2.4. Densité Informationnelle : charge de travail pour l’ensemble des éléments ;

3. Homogénéité/ Cohérence : organisation en terme de conception de l’interface pour les contextes identiques ou différents ;

4. Contrôle Explicite : prise en compte par le système des actions explicites des utilisateurs et le contrôle qu’ils ont sur le traitement de ses actions ;

4.1. Actions Explicites : relation entre le fonctionnement de l’application et les actions de l’utilisateur (exécuter seulement ce que l’utilisateur demande, au moment de la demande) ;

4.2. Contrôle Utilisateur : l’utilisateur doit toujours contrôler le déroulement des traitements informatiques (interrompre, reprendre, etc.) ;

5. Adaptabilité : capacité du système à réagir selon le contexte, les besoins et les préférences des utilisateurs ;

5.1. Flexibilité : les moyens mis à disposition des utilisateurs pour personnaliser l’interface, selon leurs stratégies ou habitudes de travail et des exigences de la tâche. Nombre de façons différentes selon lesquelles l’utilisateur peut atteindre un but ;

5.2. Prise en compte de l’expérience de l’utilisateur : respect du niveau d’expérience de l’utilisateur :

6. Gestion des Erreurs :

6.1. Protection contre les erreurs : moyens de détecter et prévenir les erreurs d’entrées de données ou de commandes ou les actions aux conséquences négatives ;

6.2. Qualité des messages d’erreur : pertinence, facilité de lecture et exactitude de l’information donnée à l’utilisateur sur la nature des erreurs et les actions pour les corriger ;

6.3. Correction des erreurs : moyens mis à disposition pour permettre à l’utilisateur de corriger leurs erreurs ;

7. Signifiance des Codes et Dénominations : adéquation entre l’objet ou l’information affichée ou entrée et son référent, dans une relation sémantique ;

8. Compatibilité : accord entre les caractéristiques des utilisateurs et des tâches et l’organisation des sorties, entrées et dialogues d’une application.

Une évaluation de l’efficacité et de la qualité des TICE se fait nécessaire, soit pendant sa construction, soit pendant son utilisation ou à travers de l’étude de ses effets. L’évaluation pendant la construction de l’outil n’a pas pu être réalisée dans notre étude puisque l'outil était déjà construit et mis à disposition des utilisateurs. En revanche, nous avons réalisé une évaluation de la construction de l’outil, avec l’évaluation ergonomique basée sur les études de Bastien et Scapin (1997). Nous avons également réalisé une étude pendant l’utilisation de l’outil, avec l’observation de l’utilisation et des questionnaires auprès des étudiants. Enfin, une évaluation à travers l’étude de ses effets a été réalisée avec l’analyse des Dossiers Méthodologiques et les notes des étudiants, dans l’objectif d’observer ses effets dans la conceptualisation en Statistique, domaine sur lequel l’outil travaille.