Une géographie en quête des espaces fluvio-urbains rhodaniens

La méthode

Nous avons travaillé à partir du croisement et de l’analyse critique de sources de différentes natures. Concrètement, il s'agit d'un travail d'observation de terrain, matière première du géographe, associé à des enquêtes menées auprès des principaux acteurs, et à une analyse de documents écrits (archives, études, ouvrages, articles) et iconographiques (gravures, cartes anciennes et actuelles, photographies). Les analyses sont menées selon une démarche comparative et systémique42.

La première étape a consisté en l'observation des espaces fluvio-urbains des six villes étudiées. Partant du principe que la géographie se fait d'abord avec les pieds et avec les yeux, nous avons sillonné ces espaces de saison en saison en faisant des constatations récurrentes : la faiblesse de leur mise en valeur, leur relatif délaissement ou leur marginalisation. Les paysages urbains nous ont intrigués par leur caractère composite et parfois négligé. Sur les berges, nous avons croisé la route de ce qui pourrait constituer un inventaire à la Prévert : des voitures nombreuses, des maîtres promenant leurs chiens, des coureurs à pied, de rares touristes presque égarés, en tout cas souvent surpris, des couples manifestement dérangés par notre présence, des marginaux, quelques canards et des pêcheurs. Nous avons aussi assisté à l'inondation d'Arles en décembre 2003 ; cette expérience personnelle de la catastrophe a permis la collecte d'informations instantanées et précieuses. Cette fréquentation du terrain nous a amenée à identifier et caractériser des réalités matérielles mais aussi à ressentir des impressions fortes au contact de ces bords du Rhône. C'est à partir de ce matériau composite, à la fois objectif et subjectif, que nous avons conduit notre travail d'investigation en adoptant une démarche hypothético-déductive. Les questions se sont bousculées : comment ces espaces se sont-ils construits et comment se fabriquent-ils actuellement? D'où provient leur caractère composite et si particulier? Pourquoi restent-ils aujourd’hui à l'écart du processus de « reconquête » des fronts fluviaux?

Il a été nécessaire d'établir une analyse critique de l'abondante littérature existante (travaux universitaires, études hydrauliques et techniques, ouvrages érudits) pour vérifier l'originalité de notre travail et l'ancrer sur une base solide.

Afin de comprendre la genèse de ces espaces, nous avons croisé des informations issues de différents fonds d'archives. Nous avons dépouillé les documents historiques relatifs à la gestion et aux aménagements des espaces fluvio-urbains.

Dans les archives départementales du Rhône, de l'Isère, du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône, nous avons exploré de manière systématique les séries S (fonds de la préfecture, des ingénieurs des Ponts et chaussées, du Service Spécial du Rhône), et de manière ponctuelle43 les série W et Z (archives administratives). Nous avons prolongé la lecture des archives des Ponts et Chaussées par une exploration des archives contemporaines de V.N.F. à Lyon (archives non encore déposées dans les archives départementales du Rhône).

Nous avons aussi travaillé sur les fonds des archives municipales de deux villes : Avignon et Arles, dans le cadre d'une étude approfondie et particulière de la crue de 1856. On peut souligner les différences existant entre les fonds d'une ville à l'autre. Concernant l'événement de 1856, on a pu exploiter la richesse des textes du fonds arlésien (archives municipales et médiathèque) et l'abondante iconographie du fonds municipal d'Avignon associé au dépouillement de la presse archivée à la Médiathèque Ceccano. A l'origine, nous souhaitions mener une étude comparée plus large concernant l'inondation de 1856 mais nous avons révisé notre objectif en cours de recherche pour différentes raisons. D'une part, les fonds documentaires ne permettaient pas le même degré d'approfondissement dans toutes les villes44 et donc limitaient fortement le caractère systématique de notre étude; et d'autre part nous n'avions pas pour objectif de mener un travail d'historien45. Notre démarche géographique nous a aussi conduits à ne pas mener une démarche d’exploration exhaustive des archives municipales des villes étudiées. Nous avons fait le choix de limiter l’étude des archives municipales dans un souci de cohérence épistémologique, méthodologique et d’analyse systémique. Nous n’avons pas dépouillé les délibérations des conseils municipaux car nous ne souhaitions pas faire un travail d’histoire de ces villes qui nous aurait éloignée à la fois de notre sujet et de notre approche spatiale. Les dossiers des séries S des archives départementales contenant la correspondance entre les différents acteurs et en particulier entre les municipalités, les préfectures et le Service Spécial du Rhône, et les archives de la CNR permettent de caractériser le système d’acteurs.

Dans les archives de la Compagnie Nationale du Rhône, nous avons étudié les documents contemporains de la genèse des aménagements au droit des villes qui nous intéressent afin de comprendre la nature des relations établies entre la Compagnie et les villes, ainsi que l'impact des ouvrages CNR sur le façonnement des espaces fluvio-urbains. Nous ne donnons pas ici le détail ni le référencement des archives à la demande de la C.N.R. et par respect envers le caractère privé de ces fonds dont la consultation est soumise à autorisation.

L’étude de documents iconographiques et photographiques (gravures, photographies et cartes postales anciennes46) apporte des renseignements sur le paysage fluvio-urbain, la morphologie du bâti, les types d’activités et les inondations.

L’analyse diachronique de documents cartographiques existants fournit des données brutes concernant les territoires, et renseigne en particulier sur l’occupation des sols et le paysage. Nous avons ainsi analysé des cartes et plans extraits du fond des archives du Service Spécial du Rhône. Nous avons aussi analysé l'évolution des villes grâce à l'étude comparée des cartes de l'Institut Géographie National.

Nous avons conduit des entretiens 47 libres ou semi-directifs avec les acteurs des territoires fluvio-urbains afin de procéder à analyse formalisée du jeu d'acteurs. Des entretiens systématiques ont été menés dans une dynamique comparative avec les directeurs des services techniques des six villes et les directeurs des antennes régionales de la C.N.R. Des rencontres complémentaires ont été organisées : elles ont concerné des acteurs spécifiques intervenant sur l'ensemble du terrain (V.N.F., D.I.R.E.N., E.T.P.B. Territoire Rhône) ou dans un contexte local (certains acteurs sont spécifiques à un espace donné comme le S.Y.M.A.D.R.E.M.). Elles ont aussi concerné des personnes susceptibles d'apporter des compléments ponctuels d'information.

Notes
42.

Par analyse systémique, nous entendons une analyse qui envisage les éléments d’une conformation complexe, les faits, non pas isolément mais globalement, en tant que parties intégrantes d’un ensemble dont les différents composants sont dans une relation de dépendance réciproque.

43.

Nous avons consulté les inventaires et dépouillé uniquement les dossiers apportaient des informations qui nous ont semblé significatives et importantes.

44.

Le fonds municipal de Vienne est très lacunaire à ce sujet.

45.

Les archives ne constituent pas l'essentiel de notre corpus réflexif mais une partie seulement.

46.

Les cartes postales proviennent essentiellement du fonds Dürrenmatt de la Maison du fleuve Rhône (qui présente une collection très riche de cartes postales et qui a été mis à notre disposition) ainsi que des archives municipales d'Avignon. Jean-Paul Bravard nous a aussi ouvert sa collection personnelle.

47.

Voir liste des entretiens à la fin de la thèse.